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mercredi 27 mai 2009

Le voile, la FFQ et la laïcité

par Pierre Mouterde, professeur de philosophie






Écrits d'Élaine Audet



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Une fois encore... on a l’impression que le débat sur "le voile" ré-enflamme les esprits. Comme si cette question était si lourde d’enjeux qu’elle en devenait insoluble, y compris dans les rangs des féministes et de la FFQ, de la gauche ou de Québec solidaire. Pourtant, ne suffit-il pas de revenir à quelques principes de fond pour éclairer les choses d’un tout autre angle ?

Quand on est de gauche, féministe ou membre de Québec solidaire, pourquoi la laïcité devrait-elle emporter notre adhésion ? Parce, dira-t-on, elle assure la séparation de l’Église et de l’État. Mais il faut aller plus loin. Car ce qui compte ce sont les raisons pour lesquelles on a jugé nécessaire de penser à une telle séparation et de militer pendant des générations pour qu’elle puisse être clairement définie. Et là, impossible de ne pas relever au fil de l’histoire le fait que les religions dans leur immense majorité (je ne parle pas de la foi ou de l’expérience spirituelle !) ont été, non seulement synonymes pour les femmes d’oppression manifeste, mais encore porteuses d’une vision non démocratique des collectivités humaines.

Et pour cause : le recours à la transcendance divine (pensée à travers une logique religieuse institutionnelle) appelle toujours à dénier au profane (aux êtres humains ordinaires, aux femmes, aux minorités, etc.) un certain nombre de pouvoirs auxquels seuls ceux qui se jugent les dépositaires du message divin peuvent avoir accès. Qu’on pense à ce propos à la façon dont les castes sacerdotales mâles des grandes religions se sont, sur le mode de la cooptation, constitués en pouvoirs extrêmement hiérarchisés et comment elles ont eu toujours tendance à soutenir, dans la sphère du politique, le "pouvoir établi", quand ce n’est pas des gouvernements qui leur étaient étroitement congruents, c’est-à-dire non démocratiques et patriarcaux (voir à titre d’exemple paradigmatique l’appui qu’ont reçu de l’Église catholique officielle (du Vatican), les dictatures de sécurité nationale dans les années 70 en Amérique latine).

Limiter le pouvoir des Églises

Ce qui fait que si on est porté à se revendiquer de la laïcité, c’est parce qu’elle permet — dans le domaine du politique et plus généralement dans la sphère publique — de limiter le pouvoir des Églises et par là même de contenir leur velléité d’installer des rapports entre les humains dans lesquels les principes d’égalité et de démocratie ne sont pas reconnus à leur juste valeur, particulièrement dans le domaine social et politique.

En ce sens, se reconnaître de la laïcité (une laïcité de l’ouverture, je reviendrais sur cette nuance), c’est adhérer à un certain nombre de valeurs positives (l’égalité sociale, la démocratie politique authentique, la tolérance, etc.) et c’est avoir la mémoire de toutes ces luttes collectives qui ont permis à ce que ces valeurs commencent à s’incarner dans la vie concrète de nos sociétés, et le plus souvent — soit dit en passant — à l’encontre des interventions des représentants religieux.

Il suffit à ce propos de penser à la lutte pour le droit à l’avortement et aux pressions exercées par les Églises pour s’y opposer. Ou encore aux batailles menées par les homosexuels pour être reconnus à part entière, et cela contre tant de préjugés ressassés par la plupart des religions ! Et s’il y a bien quelque chose — de la tradition de gauche dont nous venons — dont nous pourrions nous revendiquer avec fierté, c’est bien justement ces idées d’égalité sociale et de démocratie politique, mais à condition que nous les pensions non pas comme quelque chose d’acquis et que nous posséderions déjà, mais plutôt comme un enjeu, quelque chose qu’il reste à gagner et à élargir.

C’est d’ailleurs au Québec autour de telles idées, que se sont nouées les luttes d’émancipation menées par les Patriotes du début du 19ième siècle ou par les indépendantistes des années 60 et les féministes des années 70. Et ce sont ces idées et ces valeurs qui sont précisément en jeu aujourd’hui et dont Québec solidaire cherche à reprendre le flambeau ! Encore faut-il que ce ne soit pas n’importe comment !

Un processus de laïcisation inachevé

Car c’est ce qu’il ne faut pas oublier : nous sommes au Québec, dans une société où vis-à-vis du pouvoir religieux dominant (le pouvoir catholique ultramontain), le processus de laïcisation est relativement récent et pour une part encore inachevé. En ce sens, se questionner en 2009 sur la pertinence du port du voile (hijab) dans les espaces publics du Québec devrait immédiatement nous amener à nous interroger sur nous-mêmes et sur notre propre rapport à la religion. Comment peut-on s’offusquer du port du voile, si en même temps, - en ce début du 21e siècle ! - on tolère le crucifix au Parlement et si on continue à financer largement les écoles privées catholiques ou autres ?

Et qui plus est, si l’on n’aide en rien à une intégration réelle les nouveaux arrivants, c’est-à-dire si l’on ne leur donne pas les moyens de ne pas être des citoyens de seconde classe, en somme de parvenir à s’intégrer à la société d’accueil en termes de travail, de formation, d’apprentissage de la langue, de garderies, de reconnaissance des études, etc. ? Car une fois encore, cette tradition émancipatrice dans laquelle s’enracine la gauche a le mérite d’avoir "les pieds sur terre" et d’avoir compris toute l’importance que peut avoir, pour un individu, les conditions d’existence matérielles dans lesquelles il vit (a priori s’il est immigrant).

C’est ce qu’une laïcité bien comprise doit avant toute autre chose prendre en compte : si l’on veut promouvoir les valeurs de l’égalité sociale et de la démocratie authentique, il faut d’abord en installer les conditions matérielles concrètes. Et cela commence par une intervention résolue de l’État qui devrait assurer à tous les citoyens et citoyennes vivant sur son territoire les moyens leur permettant d’y accéder, d’autant plus si on ne cesse par ailleurs de proposer ces valeurs comme une promesse et une panacée.

Tenir à distance le pouvoir religieux

Ceci dit, cette volonté de promouvoir l’égalité et la démocratie réelles aux coeur de nos sociétés exige en même temps que s’affirme le principe laïc de la neutralité de l’espace étatique. Ne serait-ce que parce que l’histoire nous a appris que si l’on veut parvenir à plus d’égalité réelle, il faut qu’existe une force collective capable de tenir à distance le pouvoir religieux, ou plus exactement capable de tenir à distance tout ce qui dans le religieux prend la forme d’un pouvoir arbitraire et illégitime. Et dans notre tradition, nous n’avons rien trouvé de mieux pour y parvenir que de bâtir un État sur le mode laïc, c’est-à-dire un État qui, dans les fonctions qu’il chapeaute, instaure la séparation de l’Église et de l’État, en faisant de la religion une affaire privée et en prônant, dans l’espace public, la tolérance et les vertus "du pouvoir de l’égal sur l’égal".

Certes le multiculturalisme ambiant, et le relativisme qui lui est concomitant, nous ont fait oublier cette dimension traditionnellement (répressive et politique) du religieux, tendant à nous le présenter sous des oripeaux anodins, comme le résultat d’un choix individuel ne touchant qu’à la dimension spirituelle de chacun d’entre nous. Il ne faut pas oublier cependant que cette conception du religieux (culturaliste et relativiste), non seulement n’est pas le fait de tous, mais encore n’a pu se développer et être acceptée comme telle dans de larges secteurs de la population que parce qu’a existé un État laïc qui n’a cessé de promouvoir dans les faits (en légiférant) l’idée que la foi est une affaire privée, que la religion ne doit pas se mêler à la politique, et qu’on ne peut pas être tolérant vis-à-vis de l’intolérance religieuse s’exprimant dans l’espace public.

Et cette remarque est d’autant plus importante dans le cas du Québec que sa situation de petite nation (en mal d’affirmation nationale et identitaire) tend à le rendre plus vulnérable vis-à-vis de certains préjugés concernant — dans le contexte de l’après 11 septembre 2001 — certaines classes d’immigrants. Il est donc, en guise d’antidote, d’autant plus important de valoriser cet État laïc et les valeurs d’égalité et de tolérance qui appartiennent en propre à un certain héritage culturel québécois dont il ne faut pas avoir peur aujourd’hui de réactualiser la richesse et l’originalité envers et contre tous les intégrismes.

De toute façon, qu’on ne nous dise pas que cette idée d’un "pouvoir religieux" dangereux et réactionnaire serait d’un autre siècle. Dans le sillage de ces « identités meurtries », dont nous parle Amin Maalouf, le retour de l’intégrisme se note partout. Et évidemment pas seulement au coeur d’un certain islamisme, mais aussi au sein du catholicisme ou du protestantisme, de l’hindouisme et du judaïsme, etc.. C’est là une peste qui, avec ses dogmatismes figés et fanatismes d’un autre âge, nous rappelle que la lutte pour la laïcité est toujours à l’ordre du jour. Plus que jamais, pourrait-on dire !

Une laïcité de l’ouverture

Toute la question reste cependant de savoir comment la mener, sans être contre-productif ! C’est là d’ailleurs toute la différence que nous faisons entre une "laïcité ouverte" (telle que défendue par la commission Bouchard-Taylor qui, au nom d’un certain multiculturalisme, tend à la mettre en berne) et une "laïcité de l’ouverture" qui cherche à développer les meilleures stratégies pour l’affirmer et la renforcer. En ce sens-là, il faut être capable de tracer des lignes de partage nuancées prenant en compte le contexte social et politique dans lequel on se trouve. Si les symboles valent mille mots et si l’on souhaite installer les conditions pour que n’apparaissent pas (ou ne ré-apparaissent pas) les symboles du religieux dans l’espace politique et étatique, il ne faut pas pour autant user de moyens malheureux.

À ce niveau, comme le rappelait Diane Guilbault (Démocratie et égalité des sexes, éditions Sisyphe, 2008), il y a une distinction que le conseil d’administration de la FFQ n’a pas su faire : celle de différencier le cas des usager-Ères de celui des représentantEs (en position d’autorité ou d’influence) des services étatiques. Si, par exemple, il peut être tout à fait inopportun d’interdire à une étudiante voilée l’entrée à un Cegep ou à une université, justement parce qu’elle trouvera là l’occasion de connaître les pratiques laïques (pour en apprécier toutes les vertus émancipatrices), il en va tout autrement des employéEs des services publics, et plus particulièrement de ceux et celles qui sont en position d’autorité et d’influence. Leurs fonctions, en effet, ne sont pas les mêmes, ne serait-ce que parce qu’en tant qu’employéEs de l’État, ils/elles sont tenuEs à un devoir de réserve et restent les dépositaires des principes laïcs qu’ils/qu’elles doivent incarner "in situ".

Et qu’on n’aille pas, comme le fait le conseil d’administration de la FFQ, tenter de "victimiser" celles qui, parce que ne se résolvant pas à abandonner leurs symboles religieux, ne pourraient pas trouver du travail dans la fonction publique. Si l’on reconnaît que le symbole du voile (hijab) est un symbole de soumission, on ne peut pas du même souffle arguer que l’interdiction de le porter sur son lieu de travail serait de la discrimination envers les femmes musulmanes, surtout si l’on a mis en place des mesures d’intégration positive leur permettant d’avoir accès à de tels emplois.

Après tout, de la même manière qu’on demande à une immigrante d’apprendre la langue de son pays d’accueil (en lui offrant les moyens de le faire), en quoi y aurait-il la moindre discrimination à lui demander qu’elle suive certaines règles concernant la profession que, dans la fonction publique, elle a choisie, surtout si celles-ci ont précisément pour objectif d’assurer pour tous et toutes la liberté de conscience, l’égalité entre hommes et femmes, la démocratie et la tolérance dans l’espace étatique ?

On ne s’y trompera pas : il ne s’agit pas d’une question sociale ou d’assistance humanitaire, mais d’une question politique. Et à l’avoir oublié, le conseil d’administration de la FFQ nous a montré tout le chemin qu’il reste à parcourir pour que la laïcité soit comprise pour ce qu’elle est : un indispensable instrument d’émancipation !

 Publication originale dans Presse-toi à gauche.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 26 mai 2009



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Pierre Mouterde, professeur de philosophie

Pierre Mouterde est professeur de philosophie au Collège Limoilou et l’auteur de Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (Montréal, Écosociété, 2009) et de Apre bal tanbou lou, 5 ans de duplicité américaine en Haïti (91-96), Paris, Austral 96 (en collaboration avec Christophe Wargny).



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