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lundi 15 mars 2010

Féministes de mères en filles
Album de famille pour la Journée internationale des femmes 2010

par Diane Guilbault, auteure du livre "Démocratie et égalité des sexes"






Écrits d'Élaine Audet



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L’auteure de Démocratie et égalité des sexes (Éditions Sisyphe, 2008) était l’invitée de la Corporation de dévelopement communautaire de Drummond (CDC Drummond) le 8 mars 2010. Elle a présenté cette communication dont voici le texte.

Bonsoir,

L’histoire des femmes et du féminisme est comme une immense courtepointe qui ne se finit jamais et dont le patron final peut différer de l’intention de départ.

En cette Journée internationale des femmes, j’avais décidé de vous raconter des petits carrés de cette courtepointe pour vous parler aujourd’hui de féminisme, de laïcité, de droits des femmes, du passé du présent et du futur. Mais malheureusement, je n’ai pas hérité des talents d’artisane de ma tante Louisette, qui a gagné de nombreux prix d’artisanat remis par le Cercle des fermières. Alors, j’ai transformé cette courtepointe en livre de famille. Ce soir, je voudrais vous en présenter quelques chapitres.

Pas évident de savoir par où commencer... Mais d’abord , qu’est-ce que le féminisme ? Juste un autre mot en isme ?
Le féminisme, pour moi, c’est d’abord une vision du monde, un monde dans lequel hommes et femmes sont égaux, en droits, mais aussi en dignité et en réalité. C’est une vision humaniste, démocratique, qui souhaite dépasser des millénaires de culture et de civilisation qui ont infériorisé les femmes, en ont fait la propriété des hommes et qui les ont fait vivre en marge de la société :

  • Une fille n’avait pas besoin d’étudier, pour devenir épouse et mère,
  • Une fille ne savait pas gérer l’argent
  • Une fille devait être protégée quitte à être enfermée
  • Une fille ne jouait pas, elle devait aider à la maison
  • Une femme devait quitter son emploi lorsqu’elle se mariait
  • Une femme devait rester discrète lorsqu’elle était enceinte
  • Une femme ne devait pas avoir le droit de vote,
  • Une femme mariée devait laisser son mari gérer ses biens à elle
  • Une femme célibataire qui travaillait n’avait pas le droit de recevoir le même salaire qu’un homme.

    J’ai mis toutes ces phrases à l’imparfait, mais vous savez comme moi que, dans bien des pays, elles se conjuguent encore au présent. Et même ici, il y a loin de la coupe aux lèvres.

    C’est parce que cette égalité est encore un rêve, une non-réalité, que le féminisme est aussi un combat. C’est un combat contre le patriarcat, contre une vision patriarcale du monde, qui veut confiner les femmes dans l’espace privé de toutes sortes de manières. Le féminisme, c’est la volonté de mettre fin aux discriminations contre les femmes, contre le sexisme omniprésent, contre la ségrégation des espaces publics et privés, contre les marquages physiques et symboliques imposés aux femmes, sous toutes sortes de prétextes, contre l’exploitation sexuelle des jeunes filles et des femmes.

    Généralement, il n’est pas bien vu de se dire féministe, que les médias et la société de consommation confondent avec haïssant des hommes. Les adjectifs et les surnoms ne manquent pas. Mais le pire, pour une féministe comme moi, c’est de voir des femmes aux antipodes du féminisme se réclamer du féminisme, genre Sarah Palin. Mais bon, cela est un détail.

    Revenons à mon fil d’Ariane. Tous ces chapitres, je voulais bien leur donner un sens, alors j’ai décidé d’appeler mon album de famille :

    Féministes de mères en filles

    Ce soir, je vais vous raconter des épisodes, des combats et des victoires à partir de l’histoire de ma mère, de la mienne et de mes rêves pour mes enfants, pour leur futur. Mais vous reconnaîtrez cette histoire car c’est aussi la vôtre. Elle appartient à toutes les femmes qui ont construit et qui continuent de construire le Québec.

    Premier chapitre

    Ma mère, France, née en 1923, a coiffé Catherine... et sa mère pensait bien que sa cause était perdue. Imaginez : une femme, célibataire, 27 ans, avec un bel emploi comme secrétaire, toute la liberté, enfin, celle que les femmes célibataires pouvaient avoir, bien sûr.

    Dans ce temps-là, une fille qui n’était pas mariée à 25 ans était destinée à rester vieille fille. Mais elle pouvait exercer un métier, secrétaire, femme de ménage, elle pouvait gérer son argent, une chose impossible à faire une fois mariée... Ma mère a profité de cette belle autonomie pour voyager un peu, à Montréal, dans Charlevoix, toutes ces places lointaines qu’on voyait seulement sur les cartes postales !

    Quand elle a eu 17 ans, sa mère, folle de joie, l’a appelée et lui a dit : Viens voir, ma fille, les suffragettes qui défilent ! L’oncle Ernest à côté, lui, a crié à sa femme de rentrer à la maison : il ne voulait pas qu’elle voit ça !

    Ça, les suffragettes. Vous vous rappelez ? Idola St-Jean ? Thérèse Casgrain ? Elles ont marché jusqu’au Parlement de Québec bien des fois pour convaincre les députés d’accorder le droit de vote aux femmes. Les curés étaient contre, les maris étaient contre, les partis politiques étaient contre...Françoise Gaudet-Smet était contre...

    C’est ma première photo. Nous, les Québécoises, sommes devenues des citoyennes à part entière en 1940. Ça voulait dire que le gouvernement devait nous demander notre opinion. Depuis, on n’a pas arrêté de la donner. Même quand on ne nous la demande pas !

    Mon deuxième chapitre, c’est Claire Kirkland Casgrain. Écoutez, c’est pas croyable cette femme s’est fait élire députée, la première au Québec et elle a été nommée ministre. C’est grâce à elle que les femmes mariées ne sont plus traitées comme des incapables par la loi une fois qu’elles se marient. Car, vous les jeunes ici ce soir, vous n’avez pas idée. Avant Mme Casgrain, quand un enfant était malade, une mère ne pouvait pas faire soigner son enfant sans la signature du mari. Mon père était camionneur, souvent parti à l’autre bout de la province. Vous dire comment ma mère était insultée, lorsqu’elle se faisait répondre qu’il fallait avoir l’autorisation de son mari !!! Je le suis moi-même pour elle !! Ça a pris une femme ministre pour mettre fin à l’incapacité juridique des femmes. La joie de ma mère quand elle a signé son premier chèque comme femme mariée. Elle n’avait pas pu le faire depuis son mariage, 14 ans avant.

    Une autre anecdote. Mme Casgrain venait d’une famille bourgeoise, ça se voyait, elle avait de belles manières ! (C’était très, très important à l’époque pour une fille : savoir se croiser les jambes comme il faut, ne pas rire trop fort, se pencher avec délicatesse, tout faire avec délicatesse, comme une petite fleur fragile... Ça paraît plus tellement, mais moi-même j’ai suivi des cours de maintien...)

    Je disais donc que Mme Casgrain avait de belles manières. Elle arrive au Parlement comme nouvelle députée et on lui dit : Stop Madame, vous ne pouvez pas entrer. On voit vos cheveux, ça vous prend quelque chose sur la tête....Mme Casgrain n’a pas apprécié. Elle n’était quand même pas dans une église. Il n’était pas question qu’elle soit obligée de porter quelque chose sur la tête si les hommes n’en portaient pas. À force d’entêtement, elle a fait changer le règlement et elle a pu entrer au Parlement la tête haute et la tête nue...

    Cette anecdote est un chapitre à part entière, qui est d’autant plus d’actualité de nos jours avec ces discours sur le fait que les femmes devraient se couvrir la tête dans l’espace public...

    Mon 4e chapitre, c’est la pilule anticonceptionnelle... Ma mère avait déjà 6 enfants, cinq filles et un garçon, et elle n’en voulait pas d’autre, mais bon elle aimait son mari.... Et il l’aimait lui aussi....

    Deux ans après qu’ils se soient mariés, ils n’avaient pas encore d’enfant. L’abbé Leclerc est venu à la maison voir ma mère un après-midi, quand son mari n’était pas là, pour lui demander comment ça se faisait qu’ils n’avaient encore d’enfant... Et il lui avait rappelé, en montant le ton, que si on faisait des choses pour éviter la famille, on était dans le PÉCHÉ... Ma mère lui avait répondu : « Monsieur l’abbé, Gilles et moi, on fait les enfants le soir, mais on les défait le matin... » L’abbé Leclerc l’a trouvé très impertinente.

    Alors la pilule. .. Enfin, les femmes pouvaient faire l’amour sans avoir peur de tomber enceinte.

    La contraception. Quelle belle invention ! On n’en parle pas autant aujourd’hui, les jeunes s’inquiètent plus de savoir si elles auront besoin d’une fécondation in vitro. Mais pour les femmes de la génération de ma mère, dont le destin humain a été marqué par l’enfantement pas toujours voulu, le monde venait de se transformer. Il y en a plusieurs qui ont demandé la permission à leur curé avant d’aller voir le docteur, mais vite, elles ont compris que c’était une permission dont on pouvait se passer. Il paraît qu’à Ste-Anne de Beaupré, à l’époque, il y avait un abbé qui donnait l’absolution aux femmes qui confessaient prendre la pilule.

    Encore aujourd’hui, le pape interdit la contraception. L’Église catholique a sans doute bien des qualités, mais en ce qui concerne les femmes, il lui en manque un méchant bout. On dirait que l’Église est encore coïncée dans une vision primaire des femmes : Ou vierge ou putain... Comme s’il n’y a avait pas de possibilité entre les deux. Pourtant, on le sait nous toutes, que la grande majorité des femmes ne sont ni vierges ni putains, mais des femmes, des mères, des amantes, des maîtresses, des inventrices, des créatrices.

    Mon 5e chapitre, je le réserve à l’Année 1975, l’Année internationale des femmes. Ça c’était toute un année internationale, tout le monde le savait que c’était l’Année des femmes. Savez-vous ce que c’est cette Année ?
    l’Année internationale du rapprochement des cultures... Heureusement que l’Année internationale des femmes est venue avant qu’on soit tanné des Années internationales....
    Ma mère a eu le privilège et l’audace d’ouvrir le premier Centre femmes de Québec. Nous, les enfants, étions très fiers de maman, même mon père, qui était naturellement un peu suspicieux au début, l’a encouragée.

    C’était la grande époque des groupes de femmes. Il faut dire qu’il y avait une bonne toile de départ, avec les Cercles de Fermières, l’AFÉAS, qu’on trouvait dans toutes les régions du Québec. Mais peu à peu, les groupes se sont mobilisés, les femmes ont pris la parole et ont NOMMÉ des problèmes importants auxquels les femmes étaient confrontées : la violence conjugale, la pauvreté après le divorce, l’exclusion du marché du travail, le viol, les grossesses non désirées et la nécessité d’avoir accès à l’avortement, le besoin de services de garde de qualité... Ce chapitre sur les groupes de femmes mérite d’être remémoré car cette explosion de militantisme a fait le Québec d’aujourd’hui : services de garde, maisons d’hébergment pour les femmes en dfficulté, groupes de soutien pour les femmes qui veulent se faire élire.

    Les années 1970-1980 ont été extraordinaires car elles ont été marquées par de nombreuses victoires pour les femmes.
    C’est au Centre Femmes de ma mère que j’ai fait mes premières armes de militante féministe.

    Je suis de la génération du rapport Parent. Je suis allée à l’université, où les filles étaient encore très rares. Mais jamais mes parents n’ont remis en question notre désir d’aller à l’université, bien au contraire.

    J’ai fini mon bac dans l’effervescence de la première élection du Parti québécois, qui a donné au Québec de nombreuses lois modernes, comme le changement du Code civil. Le gouvernement de cette époque a aussi donné la Charte de la langue française, les premiers congés de maternité, le partage du patrimoine, la Charte québécoise des droits et libertés de la personne qui interdisait dorénavant les discriminations à l’égard des femmes. Vite un petite photo pour la Charte car ces temps-ci, on a l’impression que la Commission des droits de la personne a oublié cette partie de son mandat ! Et une autre belle page de choix pour le rapport Égalité et indépendance publié en 1978 par le Conseil du statut de la femme qui a tracé le programme d’action gouvernemental pour les années à venir.

    Autre chapitre fondamental de notre livre de famille : la reconnaissance de l’égalité dans le couple par le Code civil.

    Quand je me suis mariée, le mari était encore le détenteur de l’autorité familiale. Pour la jeune féministe que j’étais, c’était un repoussoir important. Les premières féministes qui ont choisi l’union de fait plutôt que le mariage faisaient ce choix notamment à cause de cette inégalité que consacrait le mariage encore à cette époque.

    Mais à partir de cette refonte importante du Code civil, le père n’est plus le seul détenteur de l’autorité, on parlera dorénavant d’autorité parentale.

    Et en passant, c’est à ce moment aussi que le Mademoiselle est disparu, faisant disparaître du coup le dévoilement automatique du statut matrimonial des femmes, ce qui n’était plus un devoir depuis longtemps pour les damoiseaux.... Les femmes ont pu aussi à partir de 1981, garder leur nom de jeune fille une fois mariée, et donner ce nom à leurs enfants. Bon, vous me direz que ca fait long à dire Charles-Antoine Bouchard-Lévesque et Kelly-Ann Desjardins-Vaillancourt.... Mais au moins c’est un choix que peuvent faire les parents qui le désirent.

    Le dossier de la conciliation travail-famille existe depuis que les femmes sont entrées sur le marché du travail qui peine à reconnaître que la société a changé et qui se comporte encore comme si leur employé-e avait à la maison une femme qui s’occupait des enfants et de l’intendance. Les taux de participation des femmes, puis des mères, au marché du travail vont progesser de façon importante, malgré l’absence de services de garde, qui se mettent en place lentement, grâce à la persévérance de groupes communautaires qui obtiennent ici et là des places et qui survivent à cause des salaires de misère qui sont payés aux éducatrices. Ce n’est qu’au milieu des années 1990 que le salaire des éducatrices sera revu à la hausse – on s’entend qu’on ne parle pas de salaires de banquiers...- mais il y a une amélioration significative.

    C’est aussi ma génération qui a pu bénéficier des congés de maternité. Pour ma part, j’ai perdu mon emploi à ma première grossesse, mais à la deuxième, j’ai eu droit au congé de maternité. Ça change la vie...

    Ce sont les féministes qui ont réclamé les congés parentaux et les congés de paternité. Comme le disait la journaliste Francine Pelletier : « Grâce aux féminisme, les femmes ont découvert les femmes et les hommes ont découvert leurs enfants. »

    C’est le changement le plus spectaculaire à mon avis, qu’on observe aujourd’hui avec la participation accrue des jeunes pères à la vie familiale. Franchement, je n’aurais pas cru voir un tel changement de mon vivant. Mais c’est extraordinaire de voir ces jeunes couples qui se partagent un congé parental, les soins du bébé, la cuisine, les courses... La balayeuse, pas encore...!

    C’est un progrès incroyable, dont je me réjouis. Et là-dessus, c’est aux féministes, comme vous, qu’il faut rendre hommage car ce sont elles qui se sont battues pour le partage des tâches, pour le congé de paternité, le congé parental.

    Est-ce que vous êtes d’accord avec moi pour lever notre chapeau à ces nouveaux pères !!!

    (Vous savez, nous, les féministes, essayons toujours d’encenser beaucoup les hommes qui soutiennent les féministes, pour ne pas trop se faire dire que nous sommes négatives...).

    Ces années 1980-1990 ont donc été marquées par l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail. C’est un autre chapitre important, car accès au travail signifie également autonomie économique. En fait, c’est une des raisons fondamentales pour lesquelles les féministes se sont battues si fort pour que les femmes puissent avoir un accès égal au marché du travail. Mais c’est aussi parce que la société ne peut pas se permettre de se priver de la moitié de ses forces vives. Alors que les pouvoirs politiques et financiers n’ont jamais dans le passé été des alliés des femmes dans leur lutte pour accéder au marché du travail, de nos jours, il est de mise pour des institutions de rappeler régulièrement que le développement d’un pays passe par l’égalité des femmes et leur participation pleine et entière à la société.

    Mais il y a un coût à cette révolution. Les femmes de la génération 1975-1995 vivent avec une génération d’hommes pour qui ces changements sont difficiles à vivre, ne correspondant sans doute pas à l’idée qu’ils se faisaient de la vie de famille. Dans leur vie privée, les hommes ont été bousculés par ces nouveaux rapports hommes-femmes. La sociologue Céline Saint-Pierre faisait remarquer à la fin des années 1990 que les femmes qui sont sur le marché du travail connaissaient un taux de séparation et de divorce important ; il se remarquait particulièrement chez les professionnelles, les cadres, chez celles qui sont dans une trajectoire de mobilité verticale et de prise en charge de responsabilités professionnelles de plus en plus grandes. Beaucoup de couples sont passés à travers ces changements profonds, mais ce n’est pas d’eux dont on entend le plus parler...

    Mais ce soir, réjouissons-nous des congés de maternité qui ont finalement été accordés aux Québécoises par différentes entourloupettes, notamment, le recours à l’assurance chômage. car comme on le sait bien, les femmes qui ont des enfants ne travaillent pas.... Vous vous rappelez le monologue d’Yvon Deschamps qui expliquait : Moman travaille pas, a trop d’ouvrage !!!

    Ce magnifique élan des années 80, qui a été une seconde révolution tranquille au Québec à la fois dans la vie publique et dans les vies privées des familles et des individus, ce magnifique élan disais-je a été brisé en 1989 par la tuerie de Polytechnique et les réactions que cette tragédie a suscitées.

    Alors que les femmes avaient clairement été les cibles visées et tuées, et ici je veux rappeler les victimes de cette tuerie sexiste, alors que la haine des féministes avait clairement été exposée par le tueur lui-même, des hommes, les premiers masculinistes avoués, ont pris toute la place, ils ont pris officiellement et presqu’exclusivement la parole, pour accuser les féministes d’être la cause du drame. Aujourd’hui, 20 ans plus tard, la société québécoise commence à peine à être capable de parler du drame et de ce qu’il recouvrait. Mais toute une génération de jeunes femmes a gardé cette image du féminisme qui ferait peur et qui peut susciter la haine de certains hommes qui veulent garder leurs privilèges. Nombreuses sont celles qui se sont dépêchées de dire qu’elles, elles n’étaient pas des féministes.

    Le mouvement des femmes a survécu, au prix de plusieurs sacrifices. Pour moi, un de ces sacrifices est le renoncement à une parole plus politique, capable de dénoncer le patriarcat et capable d’assumer sa dissidence dans la société québécoise.
    Cette parole renaît doucement, sans doute pressée par l’évolution d’un monde où les forces réactionnaires se sont organisées. Le mouvement féministe doit reprendre ses lunettes pour analyser ce retour en force du patriarcat, habilement déguisé de nos jours sous la couverture religieuse ou de l’hypersexualisation.

    Je reconnais que les religions peuvent donner un sens à une quête spirituelle, et que chacun, chacune peut s’y référer dans ses décisions personnelles. Mais dans la vie civique, notre vie de citoyennes et de citoyens, la neutralité de l’État est une condition essentielle pour un vivre-ensemble harmonieux. C’est pour cela que je fais partie de celles qui réclament une charte de la laicité pour qu’aucun homme ne puisse refuser dans une société d’état comme la SAAQ, de faire affaire avec une femme, sous prétexte que sa religion lui interdit de parler avec une femme. Il ne faut pas que nos institutions s’abaissent aux pratiques sexistes les plus primaires qui consistent à discriminer sur la base du sexe. Même si on invoque un motif religieux. Quand les règles religieuses s’imposent, les femmes sont les grandes perdantes car ces règles font fi du droit à l’égalité des femmes. Elles datent pour la plupart de plus de 1000 ans, écrites à une époque où les femmes n’avaient aucun statut. Et ça paraît.

    Les règles religieuses n’ont pas leur place dans les institutions publiques. Seules les régles démocratiques doivent y être appliquées. Accepter d’appliquer des règles religieuses dans l’espace public, c’est comme si on acceptait de faire cohabiter sur le même territoitre le code de la route britannique – où les gens conduisent à gauche de la route – avec le nôtre où on conduit à droite. Les collisions sont assurées. Et c’est exactement ce qui se produit avec les exigences religieuses que certaines personnes insistent pour amener dans l’espace civique. Une charte de la laïcité ne signifie par qu’on rejette les religions. Mais c’est pour leur conduite privée, personnelle, que les gens peuvent s’y réfèrer.

    J’aime beaucoup cette explication du besoin religieux, proposée par un Québécois d’origine algérienne : « Zeus, Jupiter, Dieu, Allah, Yahvé ou le Bouddha sont au fond représentatifs de l’immense appel au secours de l’homme vers le mystérieux, vers l’infini. »

    Les religions ont été des cadres législatifs pendant des siècles, mais aujourd’hui, ce ne sont plus les lois de Dieu qui s’appliquent dans la vie de la cité, contrairement à l’Arabie saoudite où, par exemple, une femme ne peut conduire un auto parce que le Coran ne le permettrait pas ; ou encore en Iran, où les femmes vivent aussi un apartheid réel contre lequel elles se battent, parfois au péril de leur vie. On peut avoir aujourd’hui une pensée pour la jeune Neda, tuée le 15 juin dernier par un membre de la milice islamique pour avoir manifesté dans la rue. On peut avoir une autre pensée pour les milliers de femmes qui partout dans le monde sont emprisonnées, torturées ou assassinées pour avoir revendiqué leurs droits. Je fais donc une place à la mémoire de ces femmes dans notre livre de famille, à toutes les Néda de la terre, car le monde des femmes est sans frontières.

    Que l’on soit née en Asie, en Amérique, sur un plateau montagneux ou dans une vallée africaine, nous les femmes avons en commun une lentille pour regarder le monde : c’est celle de notre capacité de donner la vie. C’est notre chance et la cause de notre mise à l’écart historique par des hommes troublés par cette vie que nous pouvons porter. Si nous le voulons. Quand nous le voulons. Ça, c’est sans doute la plus grande victoire du féminisme, être en mesure de maîtriser une partie de notre destin, qui s’est joué si longtemps exclusivement en fonction de la maternité. Moi qui ai quatre enfants qui sont ma plus grande fierté, je sais que la maternité peut être un bonheur. Mais je sais aussi que la matenrité subie peut être d’une grande tristesse qui déteint sur les générations qui suivent. Je crois qu’il est essentiel de reconnaître l’importance que joue ce potentiel de maternité, maternité choisie de préférence, qui rapproche les femmes, qu’elles aient ou non des enfants. Car notre maternité potentielle nous définit dans le patriarcat, il faut donc savoir la revendiquer sans s’en rendre esclave. Une femme n’a pas à être mère pour être une femme. Mais une femme peut être mère et cela marque toujours son destin.

    Un autre des déguisements du patriarcat dont je parlais tout à l’heure, c’est l’hypersexualisation de l’espace et des attitudes proposées aux filles et aux femmes. Tout comme le voile religieux que devraient porter des femmes pour cacher leur sexualité, l’hypersexualisation a la même fonction : réduire les femmes à leur statut d’objet sexuel. Le girl power, je n’y crois pas. La banalisation de la prostitution appartient à cette même manière de voir, où les femmes seraient heureuses d’être l’objet sexuel d’un ou de plusieurs hommes. Comme si leur identité ne dépendait que du regard que les hommes portent sur elles.

    Le patriarcat n’est pas mort, il s’est déguisé subtilement, il faut dire que c’est plus facile puisque ce sont encore les hommes qui détiennent majoritairement les rênes du pouvoir.

    Malgré toutes les victoires que je tiens à célébrer, il y a quand même des creux importants : la violence que vivent encore de trop nombreuses femmes, et la pérennité du patriarcat qui décidément ne lâche pas prise.

    Mon prochain album n’est pas prêt, je les réserve aux rêves que nous avons pour nos enfants, garçons et filles.

    Évidemment, je rêve pour eux d’un monde où garçons et filles, hommes et femmes, vivront en toute égalité. D’un monde du travail qui reconnaîtra équitablement et en toute justice l’apport des travailleuses autant que celui des travailleurs, où maternité ne rimera plus avec pauvreté, où vie de couple ne se conjugera plus jamais avec violence conjugale.

    Je rêve d’un monde où les pères et mères n’auront pas à craindre pour leur fille lorsqu’elle se promène seule le soir. Je rêve d’un monde où le pouvoir politique, économique, sera partagé entre hommes et femmes. Je rêve d’un monde où les stéréotypes ne marqueront plus les choix des filles comme des garçons.

    Je rêve d’un monde dans lequel aucune petite fille n’aura à demander le divorce à 10 ans, ni craindre d’être tuée simplement pour être allée à l’école.

    Je rêve d’un monde où la solidarité sera telle que nulle personne ne fera de choix personnels sans penser aux conséquences que ce choix peut avoir sur autrui, en particulier sur les femmes les plus démunies.

    Dans l’attente de la réalisation de ces rêves, je vous dis Bravo à toutes.

    Nous sommes venues de loin, mais nous irons encore plus loin.
    Merci et bonne fin de soirée.

    Mis en ligne sur Sisyphe, le 8 mars 2010



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  • Diane Guilbault, auteure du livre "Démocratie et égalité des sexes"



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