La commission Bastarache sur le processus de nomination des juges a démarré hier sur les chapeaux de roues en annonçant la liste des avocats qui y travailleront.
Sauf qu’elle est partie en marche arrière.
Huit postes « senior » dans l’équipe, huit hommes. Le scénario a l’air sorti d’un épisode de Mad Men, façon 1961. Mais il nous tombe sur la tête en 2010, au Québec.
Gênant ? « Une honte », a réagi aussi succinctement qu’efficacement Me Christiane Pelchat, présidente du Conseil du statut de la femme, peu après avoir appris la nouvelle.
Dans le milieu des femmes avocates, colère et découragement se mélangent. Grondent.
« Je ne suis pas féministe, mais on a là un beau boys club », a lancé Me Catherine Morrissette sur un réseau social après avoir vu la liste des membres.
« Rien ne peut expliquer un tel déséquilibre », a ajouté Me Pascale Pageau, présidente du Comité sur les avocates dans la profession du barreau de Montréal.
« Totalement anachronique », a en outre commenté Me Louise Langevin, professeure à la faculté de droit de l’Université Laval. « Et tout cela va totalement à l’encontre des principes de parité dont le premier ministre Charest lui-même s’est beaucoup vanté... »
Cette décision de ne nommer que des hommes, aussi compétents et expérimentés soient-ils, ne trouve de justification et d’explication auprès d’aucune d’entre elles. « Il y a un travail qui n’a pas été bien fait », affirme Me Langevin.
* * *
Nommer des femmes était essentiel, pour plusieurs raisons.
D’abord, pour montrer que la commission n’est pas, justement, un old boys network. Puisqu’elle est là pour faire la lumière sur le processus de nomination des juges, pour voir si l’accès à la magistrature est ou n’est pas une vaste opération de favoritisme, faire preuve d’un engagement impeccable face à l’égalité et à la diversité et d’une ouverture hors des cercles traditionnels aurait été la moindre des choses.
Ensuite, comment justifier, en 2010, près de 100 ans après qu’Annie Macdonald Langstaff fut devenue la première femme diplômée en droit au Québec (à l’Université McGill), près de 60 ans après l’admission (enfin) des femmes au Barreau du Québec, que des postes publics d’un tel prestige, aussi bien payés, soient réservés uniquement à des hommes ?
Surtout quand on sait que près de 50% des avocats québécois sont des femmes.
« Ces postes sont des tremplins importants », explique Louise Langevin. Ce sont des étapes dans une carrière, qui ouvrent, justement, les portes de la magistrature.
En outre, note une autre avocate, les honoraires offerts sont fort intéressants. « C’est impossible qu’ils aient proposé les postes à des femmes et qu’elles aient refusé. Je n’y crois pas, personne ne dit non à des jobs comme ça », m’a expliqué cette plaideuse, hier. Pourquoi préférait-elle taire son nom ? « Parce que ces gars-là vont tous être juges bientôt ! »
Hier, le relationniste de la Commission, Guy Versailles, m’a affirmé que le choix d’une équipe entièrement masculine n’était pas du tout délibéré. « On a fait un effort pour rassembler les compétences nécessaires pour réussir le mandat », a-t-il expliqué.
Très sincèrement, je n’en doute pas. Personne ne remet en question la valeur des personnes choisies. Compétence, expérience...
Mais est-ce qu’une lumière s’est allumée, quelque part, quand on s’est rendu compte que seuls des candidats masculins étaient sur la liste ? « Il n’y a pas que des hommes qui ont été pressentis », a répondu M. Versailles.
Mais l’effort supplémentaire pour s’assurer qu’il y aurait des femmes a-t-il été fait ?
À cette question, je n’ai jamais eu de réponse.
Pourtant, bien des avocates l’attendent, cette explication. Des avocates compétentes et chevronnées : en 2009, 51,5% des avocats comptant de 16 à 20 ans d’expérience étaient des femmes. Ceux qui ont entre 21 et 25 ans de pratique sont des femmes à 44,9%. Et ceux de 26 ans d’expérience ou plus ? Des femmes à 21%, pas zéro !
Comment croire que, parmi toutes ces professionnelles, personne n’était apte à faire le boulot ? Toutes les avocates à qui j’ai parlé hier étaient capables de nommer sans hésiter des collègues, des profs de droit, même d’anciennes juges qui réunissent assez d’expérience et de compétences pour s’acquitter des responsabilités de la Commission.
De toute évidence, les responsables n’ont pas trouvé de femmes parce qu’ils n’ont pas bien cherché, parce qu’ils n’ont pas assez cherché, parce qu’ils n’ont pas jugé important de faire cet effort.
Hier, la ministre de la Justice, Kathleen Weil, a refusé de commenter la situation, expliquant que la Commission avait entamé un processus indépendant. Ironique car, dans la tourmente qui a suivi les allégations de Marc Bellemare - celles qui ont rendu nécessaire la Commission -, lorsque la ministre a été appelée à préciser, en entrevue, pourquoi elle soumettait certaines listes de candidats à la magistrature au premier ministre, elle a répondu qu’elle tenait à vérifier, avec lui, l’équité homme-femme dans les nominations...
– Source : Cyberpresse, le 12 mai 2010
Lire aussi :
« La commission des cravates », par Josée Legault, dans Voix publique, blogue de Voir.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 mai 2010
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