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mars 2003

En éducation, l’ADQ propose un recul sensible

par Jean-Claude St-Amant, chercheur en éducation, Université Laval






Écrits d'Élaine Audet



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L’ADQ procédait il y a quelque temps à des ajouts à son programme dans le domaine de l’éducation, après la mise en veilleuse des fameux "bons d’éducation". Il s’agit cette fois de trois "solutions" que le parti entend adopter pour régler la question du décrochage scolaire des garçons : le recours à la non-mixité, un concours national de dissertation et les récréations obligatoires. Ces mesures s’ajoutent à la volonté déjà annoncée d’augmenter la présence d’hommes dans les écoles, position que l’on retrouve dans la section "Allez les gars !" du programme. Je n’hésite pas à qualifier les propositions avancées de véritables cul-de-sac. Non seulement font-elles montre d’une méconnaissance impardonnable du dossier, mais elles se fondent sur une vision tout à fait stéréotypée des hommes et des femmes. Qui plus est, l’application de certaines de ces mesures risque d’amplifier les difficultés scolaires éprouvées par certains garçons plutôt que d’améliorer leur sort. Voici pourquoi.

École, lieu féminisé ? Non !

Bien que ce ne soit pas spécifié dans le programme, la proposition d’inciter "plus d’hommes à faire carrière dans l’enseignement et faciliter […] leur embauche dans les écoles" viserait probablement l’ordre d’enseignement primaire, dans la mesure où le personnel enseignant au secondaire est composé à peu près également d’hommes et de femmes. La stratégie repose sur le présupposé selon lequel l’école primaire serait un lieu féminisé où les garçons ne trouveraient pas les modèles masculins dont ils auraient besoin pour s’épanouir. Les auteurs du programme de l’ADQ auraient eu avantage à consulter le rapport du Conseil supérieur de l’éducation Pour une meilleure réussite scolaire des garçons et des filles (1999). Il n’y a pas de lien démontré entre la proportion de femmes enseignant au primaire et les écarts de réussite entre garçons et filles. Deux sources d’information supplémentaires vont dans le même sens. D’une part, une analyse serrée qui montre que le rattrapage des filles dans le système scolaire français a débuté avant la féminisation de la profession enseignante. En clair, les filles ont dépassé les garçons alors qu’elles avaient des enseignants masculins ! D’autre part, une recherche américaine menée par un spécialiste des masculinités a identifié les sources de l’assertion. Il la qualifie de préjugé ("prejudice") que les faits ne peuvent confirmer (Plech, 1989 : 132).

Je le répète, la proportion d’hommes et de femmes au primaire n’a rien à voir avec les difficultés scolaires qu’éprouvent certains garçons. Se servir du sexe d’une personne comme critère de sélection à l’embauche ou plus largement, l’utilisation de critères autres que les compétences en enseignement, ne se justifient d’aucune façon. Le faire risque plutôt d’appauvrir la qualité de l’enseignement.

Mais, il n’en demeure pas moins que très peu d’hommes choisissent l’enseignement au préscolaire et au primaire, tout comme ils restent fermés à certains secteurs d’emploi. Pourquoi ? Voilà une véritable question d’éducation concernant les garçons. Pourquoi ne pas contribuer à leur ouvrir les horizons, pourquoi ne pas les aider à se débarrasser de conceptions trop souvent limitatives et contraignantes de ce que font les hommes et les femmes ?

La ségrégation dans les écoles ? Non !

L’ADQ propose d’ouvrir les écoles à la non-mixité. Encore ici, les auteurs auraient eu avantage à se documenter davantage. Un rapport de recherche australien portant sur les "besoins éducatifs des garçons" (Lingard et al, 2002) démontre clairement que le changement de structures, c’est-à-dire l’introduction de la non-mixité, ne produit en soi aucune amélioration des apprentissages des garçons, ni de leurs résultats scolaires ; le rapport souligne qu’il existe certains risques très réels associés à la formation de classes non mixtes.

Le fait de concevoir les garçons comme un groupe homogène, avec les mêmes besoins éducatifs, parce qu’ils sont de même sexe, s’avère contre-productif en ce qui a trait aux apprentissages ; les auteurs nous apprennent que les écoles qui ont obtenu les meilleures améliorations dans le rendement scolaire des garçons sont celles qui ont su abandonner des stratégies qui ne fonctionnaient pas pour rediriger leurs interventions vers les garçons et les filles dont les résultats sont faibles. Très concrètement, cela a signifié l’abandon de la non-mixité et l’élaboration de nouvelles pratiques pédagogiques centrées sur les besoins éducatifs de tous les jeunes en difficulté. Bref, et aussi simple que puisse paraître le constat, les interventions efficaces sont celles qui ciblent les élèves qui en ont réellement besoin ! Et la non-mixité érigée en méthode pédagogique fait partie du problème, pas de la solution.

Pour ajouter à l’ironie de la situation, et si on se fie à ce qu’en ont rapporté les médias, le ministre actuel de l’éducation s’est empressé de faire savoir qu’il applique déjà la non-mixité proposée par l’ADQ ! Qui est de droite, qui est social-démocrate ? Monsieur Simard, combien votre ministère a-t-il investi à l’aveugle dans des programmes visant les garçons ? Et que fait-il pour les filles en difficulté ?

Exclure les filles ? Non !

L’ADQ espère ensuite motiver les garçons par un concours national de dissertation qui leur serait exclusivement réservé. Le raisonnement est simple : puisque les filles sont meilleures, retirons-les du concours. Je frémis quand j’imagine cette même logique appliquée par exemple dans les universités où les filles font en général mieux. Je présume que cette mesure est dictée par le fait que les écarts entre garçons et filles quant aux résultats scolaires se situent essentiellement en lecture et en écriture. Les rendements sont en effet très semblables dans les autres matières, incluant en mathématique et en sciences.

Mais encore ici, l’ADQ fait fausse route. Par quelle opération du St-Esprit les garçons en difficulté scolaire s’intéresseraient-ils tout à coup à un concours de dissertation ? Parce que les filles sont exclues et ne peuvent l’emporter ? Cette motivation, très critiquable en soi, ne vaut que pour les garçons qui ont déjà acquis une certaine facilité en langue et qui, eux, n’ont pas besoin de stimulation supplémentaire de toute façon. À preuve, nous avons mesuré chez les jeunes du secondaire la volonté d’améliorer leurs résultats (Bouchard et St-Amant, 1996). Ce sont les garçons "forts" qui désirent le faire alors que ceux dont la réussite est aléatoire se déclarent satisfaits. Ils se contentent de vouloir "passer leur année". Rien pour ces derniers dans un concours national ! Enfin, bien que certains garçons soient en difficulté sur le plan scolaire, il ne faut pas pour autant les prendre pour des imbéciles. Ils savent où ils se situent dans la hiérarchie entre garçons et ils ont appris à compenser sur d’autres plans.

En effet, non seulement risquent-ils de n’avoir aucun intérêt pour un concours national, mais à l’inverse, certains d’entre eux "compétitionnent" plutôt entre eux dans le rejet de l’école. Ce phénomène, bien documenté, est plus prégnant en milieu socio-économiquement faible, là où le décrochage scolaire est le plus élevé. Nous touchons ici à une deuxième véritable question concernant la réussite des garçons. Certains se construisent une identité par le développement de formes de masculinité dont le rejet de l’école fait partie intégrante (Bouchard, St-Amant et Gagnon, 2001). C’est un domaine d’intervention névralgique. Il exige un effort soutenu, une stratégie de longue haleine et des investissements en temps et en argent. Mais le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ?

Le concours national proposé par l’ADQ repose sur une perception non seulement stéréotypée, mais erronée des garçons. Elle part du postulat naturalisant que ceux-ci fonctionneraient mieux en situation de compétition. De même en ce qui a trait aux filles associé par opposition à la coopération, ce qui relève également de la stéréotypie. Or, nous l’avons documenté, l’utilisation de la compétition comme mode de fonctionnement à l’école nuit à la réussite scolaire des garçons (Bouchard et St-Amant, 1996 : 145-148 et 200-201). Cloisonner les unes et les autres dans des modèles fermés aussi !

Plus de récréation pour les gars ? Non !

Que dire de la récréation extérieure obligatoire, "solution" proposée pour aider les garçons ? Certaines écoles emploient quelquefois à d’autres fins ce court temps prévu pour la détente ou encore choisissent de finir plus tôt. Est-ce là une pratique suffisamment répandue pour commander, par l’ADQ, une intervention de l’État ? Permettez-moi d’en douter. Par contre, je dois avouer que cette insistance sur la récréation tend à rejoindre la conception de l’école idéale qu’entretiennent certains garçons en difficulté scolaire et dont les témoignages sont connus : une école à temps partiel, des récréations plus longues, l’absence de devoirs, la multiplication des congés, etc. (Bouchard et al, 2000). C’est ça qu’on souhaite mettre de l’avant pour favoriser la réussite des garçons ? Plusieurs s’interrogent plutôt sur les façons d’augmenter leur implication et de les intéresser suffisamment pour qu’ils y investissent les efforts requis.

La logique est ailleurs. Elle repose encore ici sur une perception étriquée et dépassée de ce que seraient les filles et les garçons : aux premières la passivité, aux deuxièmes l’activité (la récréation !). Et laquelle de ces caractéristiques est la plus valorisée socialement ? Chose certaine, cette attribution sexuée tout à fait arbitraire ne correspond pas du tout à la façon dont les jeunes du secondaire se perçoivent. À une question sur le sujet lors d’une enquête qui a couvert toute la province, 82% des garçons et exactement le même pourcentage de filles se considèrent actifs et actives (Bouchard et St-Amant, 1996).

Soyons sérieux, il est possible de se documenter sur le défi que représente la réussite scolaire. Et comme dans tous les domaines, les solutions efficaces viendront avec des diagnostics bien étayés.

Sources

Bouchard, P., St-Amant, J. - C. et C. Gagnon (2001), "Pratiques de masculinité à l’école québécoise", Revue canadienne d’Éducation, vol. 25 (2) : 73-87
Bouchard, P., St-Amant, J. C, Gauvin, M., Quintal, M., Carrier R. et C. Gagnon (2000), Familles, école et milieu populaire,Sainte-Foy, Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire, série Études et recherches, vol. 5, no 1.
Bouchard, P. et J.-C. St-Amant (1996). <Garçons et filles, stéréotypes et réussite scolaire. Montréal, Les éditions du remue-ménage.
Lingard, B., Martino, W., Mills, M. et M. Bahr (2002). Addressing the Educational Needs of Boys. Research Report submitted to the Department of Education, Science and Training. Sydney.
Plech, J. H. (1989), "Prisoners of Manliness", dans Kimmel, M. et M. Messner (Éds), Men’s Lives, New York, Macmillan Publishing Company.

Un site à visiter absolument : NonADQ.com



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Jean-Claude St-Amant, chercheur en éducation, Université Laval

Jean-Claude St-Amant est professionnel de recherche à l’Université Laval depuis 1992, rattaché au Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire (CRIRES) ainsi qu’à la Chaire d’étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes. Historien de formation, il a été professeur-chercheur pendant une dizaine d’années avant de se consacrer entièrement à la recherche. Intéressé par le rôle de l’éducation dans la réduction des inégalités, ses travaux récents ont porté sur la réussite scolaire en milieu autochtone, sur les dynamiques scolaires dans les familles de milieu populaire et sur les écarts de réussite entre garçons et filles.

Il prépare maintenant une enquête sur les difficultés scolaires selon le sexe vues par le personnel scolaire québécois.



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