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vendredi 14 janvier 2011

Mes craintes face aux pressions pour dissimuler la prostitution derrière des portes closes

par Rebecca Mott, survivante et écrivaine






Écrits d'Élaine Audet



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Rebecca Mott écrit : Je suis une femme ayant quitté la prostitution et une survivante d’agressions sexuelles dans l’enfance. À partir de l’âge de 14 ans, je suis entrée et sortie de l’industrie du sexe jusqu’à 27 ans. J’en suis profondément traumatisée ; j’en garde une mémoire fragmentée et un corps marqué de souvenirs douloureux. Je suis écrivaine et je rédige un blog où j’explore ce que c’est que de vivre avec un syndrome post-traumatique extrême, en plus d’écrire en vue d’abolir l’industrie du sexe.

___________________

Ce message est profondément personnel, et du fait d’être personnel, il est très politique.

Ma politique d’abolitionniste de l’industrie du sexe est vécue dans la douleur, la terreur, le sang et les tripes, et le désespoir complet où m’a laissée la
prostitution derrière des portes closes.

Plus je m’éloigne de ces expériences personnelles, plus j’apprends qu’elles ne m’étaient pas particulières, qu’elles n’étaient même pas si exceptionnelles.

Non, la raison pour laquelle je lutte si fort, je lutte à mort, c’est qu’il s’agit de pratiques largement répandues dans la prostitution vécue à l’intérieur. La violence sexuelle sadique et la manipulation mentale sont monnaie courante dans la plupart de ces situations, mais elles sont bien tenues hors de vue de la population.

Mais je vis présentement un profond désespoir à cause de ce qui semble être une contrainte mondiale à pousser la prostitution derrière des portes closes.

On prétend le faire pour la sécurité des femmes prostituées, et pour faciliter un contrôle des pratiques illégales dans l’industrie du sexe. Eh bien, je ne crois pas à ces motivations.

Car ce discours, c’est l’évangile des proxénètes, qu’il s’agisse de propriétaires d’agence ou de politiciens au pouvoir de certains gouvernements. Mais en fait, le projet de pousser la prostitution à l’intérieur vise à
s’emparer des tonnes d’argent que génère l’industrie du sexe. Il vise à préserver un flux constant de femmes et de filles prostituées d’accès facile pour n’importe quel homme qui veut en faire son jouet porno personnel. Il rend invisible le fait que des femmes et des filles prostituées sont violées, battues, sexuellement torturées et assassinées à une échelle industrielle,
puisque l’industrie du sexe les remplace simplement par de nouvelles marchandises baisables.

Je ne pourrai jamais comprendre comment la prostitution intérieure peut être sécuritaire, quand autant de ses aspects semblent si dangereux.

Qu’y a-t-il de sécuritaire à être une escorte ? Alors que la « transaction » typique consiste pour l’escorte à se retrouver seule, souvent dans une chambre d’hôtel ou un appartement, avec un étranger. Un étranger qui a payé pour la posséder aussi longtemps que dure son argent. Pourquoi cette relation de propriété empêcherait-elle cet homme de croire qu’il peut la violer ? Que s’il la malmène ou lui impose du sadisme sexuel, elle ne fait que son travail ? Pourquoi la verrait-il comme un être humain à part entière, qui ressent de la douleur, qui peut être terrifiée, ou qui déteste être une escorte ?

Bien sûr, l’industrie du sexe va dépeindre les escortes comme des femmes d’affaires qui contrôlent leur vie. L’industrie du sexe parle d’empowerment des femmes mais ne cesse de nous parler de la sécurité des escortes : pourquoi ?

Si c’est une carrière si merveilleuse, pourquoi a-t-on besoin d’autant de systèmes d’alarme, de gardes du corps, de caméras dans les chambres, de chauffeurs pour aller et venir, de vérifications de sécurité pour tous les « clients », de listes de mauvais clients et de tonnes d’autres précautions ?

Si les clients qui utilisent des escortes sont si corrects, pourquoi toutes ces précautions ?

Se peut-il que ce qui m’est arrivé, à moi et à mes amies qui ont été escortes, était simplement la norme ?

La norme, que des escortes haut de gamme peuvent être battues, violées et torturées au point qu’elles se retrouvent aux soins intensifs. Que des hommes qui ont assez d’argent peuvent vous garder pendant des jours ou des semaines comme jouet porno. Que des escortes se font simplement dire que c’est une malchance si un client est sadique envers elles, jusqu’à ce qu’elles
découvrent qu’on les envoie plusieurs fois chez cette malchance.

Le travail d’escorte est terrifiant - mais vous apprenez à vous plaquer un sourire sur le visage, parce que tout le monde semble se foutre complètement des escortes.

J’ai travaillé dans ce que je reconnais maintenant comme des bordels - j’étais trop fuckée pour comprendre ma propre réalité à l’époque.

Mais j’ai travaillé dans de grands appartements, où dans chaque chambre des filles se faisaient baiser et payer, où des gérants et du « personnel » étaient
assis à la porte de ces chambres, et où, pendant les heures où vous étiez là, il y avait un flot continu d’hommes voulant baiser.

J’appellerais cela un bordel, mais je suis certaine que l’industrie du sexe dirait que c’était tout sauf un bordel, que c’était simplement un endroit illégal, parce que dans leur propagande, tout est si propre, agréable et bien organisé dans les bordels.

Eh bien, nous y avons subi des viols de groupe, beaucoup de filles d’âge mineur y étaient prostituées, les hommes étaient souvent filmés à torturer sexuellement et laisser presque mortes les femmes et les filles prostituées (filmées par les gérants), et on donnait aux femmes et aux filles prostituées des tonnes de boisson et de dope pour tenir le coup, cela faisait simplement partie de notre norme.

Tout cela, et bien pire, est monnaie courante dans les bordels de chaque pays et de chaque ville, parce que les bordels font leur argent en fournissant aux hommes des femmes et des filles prostituées pour incarner leur fantasme porno, quel qu’il soit. On garde secret le niveau de violence du client, il a payé pour ce droit au secret.

Les bordels sont des prisons pour la majorité des femmes et des filles qui y sont prostituées, et je me fous de savoir si ces prisons sont gérées par des
femmes et appelées coopératives, ou si elles sont propres et ont des agents de sécurité et des piles de condoms.

Les bordels sont des usines où les hommes vendent et achètent des marchandises baisables, l’acheteur et le vendeur ne voient jamais les femmes et les filles
prostituées comme des êtres humains à part entière. Chacune est dépouillée de tout droit de dire non, d’être en sécurité face au viol ou autres tortures
sexuelles, elle n’a aucun droit de s’en aller.

Les bordels ne servent qu’à tenir toute cette violence bien à l’abri des regards du public, et ils prétendent ensuite être de bons employeurs.

Alors, résistez aux pressions pour dissimuler la prostitution à l’intérieur.

Si vous voulez vraiment que les femmes et les filles prostituées soient en sécurité, prenez plutôt pour cible l’achat et la vente des personnes prostituées.

Les hommes qui achètent les femmes et les filles prostituées se contentent rarement de n’en acheter qu’une, et plus ils en prennent l’habitude, plus ils
risquent d’être violents envers les femmes et les filles prostituées.

Donc, est-ce exagéré de dire qu’ils peuvent être des violeurs en série, qu’ils exercent peut-être à grande échelle leur violence mentale et physique ; ne
devraient-ils pas aller en prison pour cela, au lieu de s’en tirer avec des amendes ?

Quant aux profiteurs de l’industrie, pourquoi sont-ils si rarement jetés en prison pour les meurtres, les viols, les raclées et la destruction mentale que subissent leurs « employées » ? J’aimerais voir les prisons remplies de tous ces profiteurs.

C’est seulement ce jour-là que les femmes et les filles prostituées feront leurs premiers pas sur la route vers la sécurité.

 Voir le blog de Rebecca Mott.

Traduction : Michelle Briand et Martin Dufresne

Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 octobre 2010



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Rebecca Mott, survivante et écrivaine

Je suis une écrivaine britannique, survivante d’abus sexuels dans l’enfance et de la prostitution. Une partie de la maltraitance que m’a infligée mon beau-père durant mon enfance a été la violence psychologique de me faire regarder de la pornographie hyperviolente. Combinées à la violence sexuelle qu’il m’infligeait, ces images me faisaient ressentir que je n’avais d’autre valeur que celle de servir d’objet sexuel à un homme et que le sexe était toujours associé à la violence et à la douleur. À 14 ans, je suis tombée dans la prostitution et elle était extrêmement sadique. Je ne m’en suis pas détournée pas car j’éprouvais trop de haine de moi-même pour y reconnaître de la violence et du viol - j’avais l’impression que c’était tout ce que je méritais. J’ai fait de la prostitution entre l’âge de 14 ans à 27 ans et, la majorité du temps, les hommes qui m’achetaient tenaient à m’infliger des rapports sexuels très sadiques. Je me suis habituée à des viols collectifs, du sexe oral et anal violent, et au fait de devoir jouer des scènes de porno dure - cela devint mon existence. J’ai failli être tuée à plusieurs reprises, et fait beaucoup de tentatives de suicide, mais j’ai survécu. Quand j’ai réussi à quitter le milieu, j’ai effacé durant 10 ans la plupart de mes expériences. Ce n’est qu’après avoir dépassé le souvenir des violences de mon beau-père que j’ai trouvé l’espace mental pour me souvenir. Se souvenir de la prostitution est terrible, et je souffre d’un lourd syndrome de stress post-traumatique (SSPT). J’ai créé mon blog pour explorer mon SSPT à titre de survivante à la prostitution, pour réclamer l’abolition du commerce du sexe et pour faire état des conditions terribles de la prostitution vécue à l’intérieur. J’essaie d’écrire de la prose poétique, mais je crois que mon travail est de nature politique.



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