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mercredi 13 avril 2011

Cantat-Mouawad-TNM – La cérémonie du pardon

par Micheline Carrier






Écrits d'Élaine Audet



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Depuis une semaine, il flotte sur le Québec un discours public aux relents de lyrisme catholique qui n’est pas sans rappeler les prêches des curés d’autrefois et n’a pas grand-chose à voir avec le théâtre et l’Art. Je veux parler des forces mobilisées en faveur du pardon et de la réhabilitation de Bertrand Cantat, qui a tué Marie Trintignant, sa compagne, en 2003, et que le metteur en scène Wajdi Mouawad a invité à participer à des pièces de Sophocle qui seront présentées au Théâtre du Nouveau Monde, l’an prochain.

D’un côté, on nous a dit que le choix de Cantat pour composer et jouer sur scène la musique des chœurs dans des pièces du « Cycle des femmes », titre donné aux œuvres de Sophocle qui seront jouées, a été un choix purement artistique. Lorraine Pintal, la directrice du Théâtre du Nouveau Monde, l’a répété vendredi en annonçant que Cantat ne montera pas sur scène à Montréal ni à Ottawa. En même temps, on nous a parlé pendant une semaine de catharsis, de pardon, de réhabilitation, et d’un geste d’amitié du metteur en scène envers le chanteur.

« Ceux qui savent », et les autres

Certains tentent de culpabiliser les gens qui ne suivent pas la ligne tracée par "ceux qui savent", et parmi ceux-là, des animateurs du matin à la radio de Radio-Canada, des critiques de cinéma et des chroniqueurs de La Presse et du Devoir. Parmi eux, il y en a qui ont défendu bec et ongles le réalisateur Roman Polanski, violeur d’une adolescente qu’il avait séquestrée et droguée, et dont la justice américaine voulait l’extradition pour qu’il rende compte de son crime. Polanski étant un réalisateur « génial », il ne fallait pas y toucher, et de toute façon le crime datait de plusieurs années. Par ailleurs, s’agissant lors d’un festival d’honorer l’écrivain Céline, dont les écrits sont fortement teintés d’antisémitisme, certains de ceux qui défendent le choix de Mouawad s’étaient objectés à une telle reconnaissance. Il est bien plus grave, comme tout le monde le sait, de heurter des juifs par des écrits que de tuer une femme et de séquestrer et violer une adolescente dans la vie réelle.

« Ceux qui savent » sont si sûrs de détenir à eux seuls la vérité que les gens qui ne les suivent pas sont à leurs yeux des réactionnaires, pas loin d’être des retardé-es. Le comble ! Les mêmes qui reprennent le discours judéo-chrétien du pardon et de la compassion, qu’ils accommodent à toutes les circonstances, accusent les autres de moralisme. Des démagogues, tranche de façon lapidaire Robert Lévesque – un autre Monsieur-je-sais-tout-et-les-autres-sont-des imbéciles - à l’émission « 24 heures en 60 minutes » le 8 avril. La suffisance s’invite un peu trop souvent sur les ondes de la radio et de la télévision d’État, comme dans certains blogues ou certaines chroniques. On a parfois l’air de croire qu’un metteur en scène talentueux et admiré dans le monde entier est forcément un génie, qu’il jouit d’un jugement infaillible, que ses intentions sont toujours celles qu’il paraît avoir et, par conséquent, qu’on devrait l’exempter de toute critique. On a souvent eu la même attitude à l’égard de Robert Lepage et d’autres vedettes admirées, comme Céline Dion. J’avoue que cette tendance québécoise à voir du génie partout, - du moment que quelqu’un réussit brillamment dans son domaine, surtout à l’étranger -, et à l’entourer d’une aura protectrice contre la critique, m’irrite royalement. Je me demande même si certain-es ne s’ennuient pas des saints de l’Église catholique et n’en ont pas inventé une version profane.

Dans une entrevue, Lorraine Pintal a dit souhaiter qu’on n’oublie pas Sophocle dans cette affaire. Elle a contribué elle-même à le faire oublier et à occulter le sujet de ses pièces adaptées par Wajdi Mouawad et dans lesquelles Bertrand Cantat devait jouer. Elle a plaidé vigoureusement, non pour Sophocle et son art, mais pour le seul personnage controversé qui devait monter sur scène, réclamant qu’on ne lui fasse pas un second procès parce qu’il avait droit à la réhabilitation. Ce discours fait-il partie du rôle habituel des directeurs et directrices de théâtre ? N’est-il pas singulier que le metteur en scène ne daigne justifier lui-même son choix ? Peut-être les « génies » n’ont-ils de compte à rendre à personne.

Sophocle+Cantat : le nœud de l’affaire

Parlons-en de l’œuvre de Sophocle à l’origine de l’invitation du metteur en scène faite à son ami Bertrand Cantat de se donner en spectacle peu de temps après avoir purgé une peine de prison pour avoir tué sa conjointe. C’est précisément l’association de Bertrand Cantat à ces pièces qui fait problème, pour moi, et c’est ce qui ressemble à un geste de provocation. Cantat aurait donné un spectacle de chansons au Centre Bell, ou joué de la musique à un festival quelconque, je ne serais pas allée l’entendre, mais j’aurais réagi différemment. Je serais même d’avis de lui accorder le droit de circuler où bon lui semble au Canada si les lois le permettent.

Mais les trois pièces en question mettent en scène des femmes en butte à l’ordre patriarcal et qui en mourront : une fille qui défie les ordres inhumains de son oncle, une épouse et mère révoltée contre les actes inhumains de son mari, homme qui a sacrifié sa fille sur le bûcher, une mère étant elle-même tuée par son fils, car l’ordre patriarcal ordonne au fils de venger son père en tuant sa mère. Et Cantat, dont l’acte de violence extrême et fatale est une illustration moderne de cet ordre patriarcal, qui se perpétue même dans les pays les plus progressistes, Cantat surgirait au milieu de ces tragédies pour accompagner les chœurs de femmes avec sa musique… Peut-on mieux banaliser la violence faite aux femmes ? Puisque les gens de théâtre comprennent les symboles plus aisément que le bon peuple, selon certain-es, ils devraient être sensibles à la symbolique de ce choix et à la réaction qu’elle provoque.

L’idée que l’homme qui a tué Marie Trintignant, dans les circonstances que l’on sait, puisse « mettre sa musique sur les mots de Sophocle (Lorraine Pintal) » dans les chœurs de femmes de la pièce « Antigone » - en être le « maître de chœur » - me fait frémir. Le personnage d’Antigone est un modèle de défi et de courage face à l’ordre patriarcal. L’héroïne fait passer son amour pour son frère avant l’obéissance à son oncle (dépositaire de la loi patriarcale injuste), et c’est là un crime que Créon punira de mort. Ce même ordre patriarcal, que les batteurs et les meurtriers de femmes perpétuent de siècle en siècle jusqu’à aujourd’hui, quand ils rencontrent de la résistance face à leur domination, quand des femmes refusent de leur obéir, ou simplement, quand elles expriment des opinions personnelles ou résistent à s’affubler d’un vêtement qui les fait disparaître de la vue d’autrui et les marque comme des personnes inférieures et soumises au diktat des hommes.

Comment ne pas voir du cynisme dans le choix de Wajdi Mouawad de confier ce rôle à Cantat ? Ce metteur en scène, qu’on dit sensible et compatissant, n’aurait pas pressenti qu’il allait heurter et blesser bien des gens au Québec, où des événements tragiques (Polytechnique, notamment) ont exacerbé chez des hommes comme chez des femmes la sensibilité aux violences sexistes ? Si c’est le cas, il vit dans une bulle qui le sépare du commun des mortels, et surtout des mortelles. À moins qu’il ait pressenti tout cela et décidé de passer outre, tentant un coup de force dans le but de réhabiliter son ami, au risque ou avec l’intention de provoquer. À moins qu’il ait mal évalué le penchant "accommodant" des Québécois-es. On l’ignore, le « grand homme » se terrant dans le silence et ayant laissé cette semaine la directrice du TNM se débrouiller avec la controverse.

Qui est moraliste et démagogue ?

On ne pardonne pas dans les pièces de Sophocle, on règle des comptes, on est torturé par ses actes et on les expie. Le grand dramaturge a vécu quatre siècles avant l’ère chrétienne, alors, le pardon chrétien, il ne connaît pas.

Le pardon et la rédemption semblent des thèmes chers au metteur en scène Wajdi Mouawad. Ils étaient présents dans « Incendies », dont j’ai beaucoup apprécié l’adaptation cinématographique de Denis Villeneuve, mais dont le dénouement m’a laissée muette : un pardon si facilement accordé, sans la contre-partie des regrets ou de la réparation chez ceux qui ont infligé violences et ignominies… Un pardon qui fait l’économie de la révolte et du refus, passages obligés dans tout cheminement humain vers la guérison et la réconciliation. Je pensais surtout à la mère, une femme, - une femme, une mère, pardonne toujours, n’est-ce pas, selon l’idéologie judéo-chrétienne.

Mais dans le contexte actuel, il est indécent de forcer le pardon et la réhabilitation d’un homme dont la présence blesserait de nombreuses personnes. Comprenez-moi bien, je suis d’accord avec le pardon. Que celui ou celle qui n’a jamais eu besoin du pardon d’autrui se lève. Mais là n’est pas la question. Il s’agit de réhabiliter un homme dans un contexte qui revient à banaliser la violence contre les femmes. Il ne nous appartient pas de pardonner à Bertrand Cantat ni de participer à un cérémonial pour le réhabiliter. Si Wajdi Mouawad veut le faire, qu’il le fasse pour lui-même et ailleurs. Ce qu’il fera, selon ce que vient d’annoncer Lorraine Pintal : Cantat ne montera pas sur scène à Montréal ni à Ottawa dans « le Cycle des femmes ». Mais il le fera sur certaines scènes en France.

Wajdi Mouawad pourra décider de présenter le « Cycle des femmes » sans la présence de Cantat ou bien de ne pas le présenter du tout au Québec et à Ottawa. S’il annule cette présentation à cause de l’absence de Cantat, il confirmera qu’il était plus important pour lui de forcer la réhabilitation spectaculaire de son ami, et nous punira de n’avoir pas participé à cette belle mise en scène. Ne venez pas alors parler de choix artistique. Il existe au Québec plusieurs bons musiciens de rock qui pourraient remplacer Cantat et donner ainsi l’occasion à un plus grand nombre d’apprécier le talent de Wajdi Mouawad.

À ceux et à celles qui accusent les autres de moralisme parce qu’ils et elles réagissent négativement à la présence de Cantat dans cette trilogie de Sophocle, je propose le scénario suivant : le Cardinal Turcotte mobilise tous les médias, toutes les églises et autres tribunes du Québec pour appeler la population à pardonner et à réhabiliter les prêtres pédophiles qui ont brisé la vie de milliers enfants. Allez, un bon mouvement de l’âme, il faut savoir pardonner, prêche-t-il, tout le monde a droit à la réhabilitation, à une seconde chance, le pardon est une vertu chrétienne. Dieu seul a le droit de juger. Laissant son serviteur aller seul au front, le pape Benoît XVI se terre dans l’ombre en silence, au cas où l’initiative tournerait mal.

Qu’en direz-vous, ô grands prêtres et grandes prêtresses de la célébration du pardon et de la réhabilitation de Bertrand Cantat qui, lui, a enlevé la vie à une femme et a brisé celle de ses enfants, de sa mère, de son père, de ses ami-es, de ses admirateurs et admiratrices ?

Bien sûr, ce n’est pas pareil.

Le cardinal Turcotte et le Vatican ne pourraient, eux, se réclamer de la liberté artistique, source de bien des indulgences… partielles ou plénières.

* Complément d’information - Le "présupposé religieux" chez Wajdi Mouawad

Après la publication de cet article, un lecteur nous a signalé des sources concernant les influences de nature religieuse que Wajdi Mouawad se reconnaît. L’une de ces sources parle de "présupposé religieux" chez le metteur en scène. À propos de ce « présupposé religieux », voici ce que Wajdi Mouawad a écrit dans le programme de « Don Quichotte » de Cervantes, qu’il a mis en scène pour le TNM en 1998 : « J’ai pensé à [...] OEdipe qui se met en route parce qu’il est raisonnable et que les autres sont fous. [...] Mais le lien le plus important s’est produit cet été lors d’un pèlerinage que j’ai fait avec Jean-François Casabonne : on a marché mille kilomètres en visitant toutes les églises, de Carleton à Montréal. [...] Au long de cette marche en prière, j’ai pris le temps de me pencher sur le personnage que j’aime le plus, le Christ, et sur ce qu’il a dit. La foi est chez moi tantôt affaire de volonté, tantôt affaire de grâce. » (p. 8)

 Sources : Document PDF, « De Wajdi… à Wahab », par Pierre L’Hérault, Jeu : revue de théâtre, n° 111, (2) 2004, p. 97-103. L’auteur citait lui-même Diane Godin, « Wajdi Mouawad ou le pouvoir du verbe », Jeu 92, 1999, 3, p.99.

Lire aussi :

 « Bertrand Cantat au TNM : mépris et manque de jugement », par Élaine Audet
 « Marie Trintignant a été tuée par un homme violent : Bertrand Cantat », par Micheline Carrier
 « Antigone, figure mythique inspirante », par Micheline Carrier
 Voir l’entrevue du metteur en scène Serge Denoncourt, à l’Émission "Tout le monde en parle", le 10 avril 2011. Il se prononce sur l’affaire Cantat-TNM à la fin de l’entrevue enregistrée. NDLR : Il se peut que l’entrevue ne soit disponible en ligne que pour un temps limité.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 8 avril 2011



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Micheline Carrier



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  • Bertrand Cantat et le TNM – La cérémonie du pardon
    13 avril 2011 , par   [retour au début des forums]

    Correction au précédent message :

    la stupidité des circonstances de sa mort (Cantat saoul).

    Bertrand Cantat et le TNM – La cérémonie du pardon
    13 avril 2011 , par   [retour au début des forums]

    Je ne suis pas d’accord que la présence de Cantat aurait "banalisé" la violence. Au contraire elle nous aurait mis face à elle. Nous sommes responsables de nos réactions en tant que spectateur. Je pense qu’il y avait de la part de Cantat une manière de dire "je reconnais avoir participé à cette violence" en participant à la pièce. C’est un rapport qui me semble plus troublant que banal.

    On veut toujours tout cacher dans la société. Je pense que Mouawad a tenté de lier le théâtre à la vra vie. Montrer que ce n’est pas de la petite bière quand on parle de violence au théâtre. Je ne crois pas du tout que c’est banal.

    Si il n’y avait pas eu cet événement, on aurait oublié Trintrignant. Il est clair que cet événement aurait rappelé la cruauté (et la stupidité) de sa mort. Ce n’aurait pas été à l’encontre de sa mémoire, pour ainsi dire.

    Bertrand Cantat et le TNM – La cérémonie du pardon
    10 avril 2011 , par   [retour au début des forums]

    Il y a autre chose que personne ne mentionne et qui ajoute à l’odieux du choix de Cantat. La femme que Cantat a assassinée était non seulement sa conjointe mais aussi une comédienne. C’est un peu une trahison envers elle de la part de gens de théâtre comme Mouawad et la directrice du Théâtre du Nouveau Monde.

    Bertrand Cantat et le TNM – La cérémonie du pardon
    10 avril 2011 , par   [retour au début des forums]

    Cantat et Chara, même combat ?

    Je fais le pari que Bertrand Cantat trouvera du boulot et le support d’une partie de la population plus facilement qu’un chauffeur d’autobus qui aurait tué sa femme dans les mêmes circonstances. Ou même, peut-être, qu’un joueur de hockey : que serait-il arrivé à Zdero Chara si Max Pacioretty était mort ? Rappelez-vous du tsunami national que cette affaire a provoqué il y a peu de temps. Est-ce plus acceptable, au Québec, de se scandaliser pour la violence au hockey que pour la violence conjugale ?

    Cantat est remonté sur scène en 2010, une tournée musicale est déjà prévue et il jouera au théâtre en Belgique en 2012. Donc, sa réhabilitation est bel et bien en cours en Europe, car il réussit à travailler dans son domaine (2000 personnes l’ont applaudi l’automne dernier.) Il s’est retiré du festival d’Avignon car Jean-Louis Trintignant devait y être- mais tranquillisez-vous, ce ne sera pas toujours le cas. Bref, cela m’étonnerait qu’on croise le chanteur dans la rue en train de vendre des crayons et des portefeuilles comme plusieurs ex-détenus.

    Apparemment, le fait d’être artiste concède plusieurs avantages. Plusieurs journalistes, ici et en France, ont affirmé qu’il est possible de séparer l’homme-qui-a-commis-un-crime de L’Homme-Artiste. De sorte qu’on peut apprécier le Créateur-en -Lui sans penser à l’homme-qui-a-involontairement-tué-sa-conjointe. Cela me fait penser à l’émission François en série. Je ne sais pas comment ça se passerait pour le chauffeur d’autobus - ou pour le joueur de hockey ayant tué involontairement un joueur du Canadien, par contre. Se trouverait-il du boulot aussi facilement, aurait-il autant de gens se portant à sa défense ? Bref, les artistes sont-ils traités de la même façon que le reste des mortels ?

    Que les positions soient aussi polarisées, c’est normal. L’affaire est grave, car il y a eu mort d’un être humain, qui a laissé dans le deuil ses enfants, ses parents, ses proches. Une femme de 5 pi 5 po qui a reçu une vingtaine de coups à la tête de la part d’un homme de plus de 6 pi, coups si violents qu’ils ont entraîné sa mort cérébrale quelques heures plus tard. Mais, il a dit qu’il ne voulait pas la tuer. D’accord. Elle a perdu connaissance, il est allé la porter dans son lit. Il a téléphoné à son frère (à elle) en mentionnant qu’il était dans une ’’sale situation.’’ Ce dernier est venu, et ils ont discuté jusqu’à l’aube. Il avait donc conservé un tantinet de lucidité.

    Bon. À cause de tout cela, il a fait 4 ans de prison, dont il est sorti depuis 2007. Il avait déjà recommencé à travailler. Que tous les journalistes et que le public qui déchirent leur chemise en accusant ceux qui ne veulent pas aller applaudir Cantat de manquer d’humanité se rassurent : le chanteur a eu du boulot et aura du boulot, avec ou sans Wajdi, avec ou sans le Québec.

    Manifestement, une partie de la population et de nos portes-voix a davantage envie de tenter de comprendre et d’applaudir un chanteur qui veut revenir sur scène après avoir commis un homicide involontaire - que de tenter de comprendre ceux qui n’ont pas envie de le faire. Ça leur donne sans doute un sentiment de grandeur d’âme, c’est beaucoup plus spectaculaire et moins exigeant que de tenter d’établir un dialogue avec ses congénères. Finalement, l’humanisme, c’est de faire ce qu’eux font, de penser ce qu’eux pensent. Auraient-ils le courage de dire aux Trintignant qu’ils ne sont pas humanistes ?

    Finalement, tous, nous discutons du sexe des anges. Tant qu’une tragédie pareille ne nous est pas arrivée personnellement, c’est impossible de comprendre réellement, dans nos tripes. Je ne dis pas qu’il ne faut pas tenter de le faire, par contre. Mais si c’était arrivé à votre fille, votre amie, votre soeur, votre amoureuse ou votre amoureux, je doute que vous auriez envie de courir applaudir le coupable et de militer pour son retour sur scène après seulement 4 ans de prison. Il faut tenir compte de tous les aspects de la médaille, alors qu’on ne fait que parler de la souffrance du coupable.

    Et si Cantat, après une discussion qui aurait malheureusement dégénéré, l’alcool et les tempéraments d’artiste passionnés aidant, aurait tabassé à mort Wajdi Mouawad, réagirions-nous de la même façon ? Imaginez-le revenir ici faire un spectacle, après quelques années, et nous répéter : je ne voulais pas tuer Wajdi.

    On ne le saura jamais, bien sûr. Mais arrêtez de dire que c’est anormal que les gens soient aussi émotifs et qu’ils ne pensent pas tous la même chose. C’est très sain, au contraire, et ça fait partie de la démocratie. Ça veut dire que la mort de quelqu’un compte, qu’on n’efface jamais totalement un tel geste. Sinon, on risque d’envoyer le message que la vie n’a plus de valeur ni de sens, ce qui, à mon avis, ne risque pas de diminuer le taux de suicide au Québec.

    Bertrand Cantat et le TNM – La cérémonie du pardon
    10 avril 2011 , par   [retour au début des forums]

    Lorraine Pintal s’est étouffée dans sa bulle. La décision de faire monter Cantat sur les planches du TNM montre un mépris des Québécois qui viennent à peine de se libérer d’une religion qui considérait (et considère encore) les femmes comme des machines à reproduction devant être soumises en tout point à leur mâle de mari.

    Le même mépris qui a mené les Bouchard et Taylor à considérer comme des retardés les Québécois qui refusaient de tolérer l’étalage des symboles d’une religion d’un autre dieu alors qu’ils viennent à peine de mettre au rancart soutanes et capines d’une religion qu’ils ont délaissée sans oser encore en nier le dieu.

    L’élite financière du Québec nous vole ; l’élite culturelle nous méprise.

    Roland Berger

    • Le metteur en scène
      10 avril 2011 , par
        [retour au début des forums]

      Il faut plutôt demander des comptes au metteur en scène. C’est trop commode de se porter absent et de laisser les autres faire face à la tempête.

      Voici ce qu’en pense le metteur en scène Serge Denoncourt, dans un enregistrement de l’émission "Tout le monde en parle" qui sera diffusée à Radio-Canada, le 10 avril.

      « Ben c’est qui, Wajdi Mouawad ? a dit Serge Denoncourt. Est-ce que c’est le pape ? En quoi il pardonne à Bertand Cantat et qu’il va nous imposer son pardon ? Fais de l’art. De quoi tu te mêles ? »

      « Opposé à la participation de Cantat dans le Cycle des femmes de Sophocle, l’ancien directeur artistique du Trident a aussi reproché à Wajdi Mouawad une certaine condescendance. « Je trouve que Wajdi Mouawad, ça fait 10 ans qu’il nous fait la leçon au Québec, puis tout le monde me dit que c’est un génie, a-t-il lancé sur le plateau de Guy A. Lepage. Ça fait 10 ans qu’il nous dit que nous, on comprend pas la guerre, que nous, on comprend pas ceci, que nous, on comprend pas cela. Mais des batteurs de femmes, mon petit gars, on comprend ça, on en a nous autres aussi. »

      « Serge Denoncourt a par ailleurs déploré que Mouawad n’explique pas son choix aux Québécois de vouloir intégrer Cantat à sa pièce.

      « Wajdi Mouawad, mets tes culottes ! s’est-il exclamé. Viens-t’en ici puis explique. C’est Wajdi qui a fait ce choix-là, on entend que Wajdi réfléchit en Europe, il se terre. Excuse-moi, tu vires ma société québécoise sens dessus dessous, tu vas contre certains principes et tu te caches. Aie au moins l’audace et le courage de tes convictions ! »

      Le Soleil, 9 avril 2011

      [Répondre à ce message]

    Bertrand Cantat et le TNM – La cérémonie du pardon
    10 avril 2011 , par   [retour au début des forums]
    Vous mélangez deux choses

    Je crois sincèrement que vous mêlez deux choses, madame Carrier. Lorraine Pintal, Robert Lévesque et les autres que vous citez se sont drapés avant tout dans la liberté artistique pour justifier le choix de Bertrand Cantat. Ils voudraient que les choix artistiques soient affranchis de tous les consensus sociaux, sous prétexte que l’art diffuse des lumières uniques sur le monde, que les créateurs sont des avant-gardistes, ou que sais-je encore. Vous avez raison de critiquer une telle conception de l’art lorsqu’elle conduit à des résultats comme celui-ci.
    Au Québec, nous avons globalement le sentiment que Cantat n’a pas eu à purger une sentence proportionnelle à la gravité de son crime. C’est ce qui explique notre indignation collective, et témoigne que nous avons le sens des valeurs bien placé.
    Ceci dit, le pardon est une des grandes valeurs chrétiennes et humaines. Le pardon bénéficie d’ailleurs surtout à celui ou celle qui l’exerce. En ce sens, il faut souhaiter que tous les sénateurs Boisvenu de ce monde, comme la famille Trintignant puissent réussir un jour à se mettre sur le chemin du pardon. Ce sera pour eux se remettre sur le chemin de la vie. La vengeance, la détestation sont mortifères d’abord pour les personnes elles-mêmes, mais aussi pour le lien social. Nous devons promouvoir le pardon, et ne pas le critiquer simplement parce que c’est une valeur à ce point importante qu’une des grandes religions de l’humanité, le christianisme, en a fait un de ses fondements cardinaux.

    • Se draper dans le pardon pour justifier un choix artistique
      10 avril 2011 , par
        [retour au début des forums]

      Je pense que ceux qui mêlent deux choses sont Wajdi Mouawad, Lorraine Pintal et plusieurs de ceux qui appuient leur choix : ils mêlent le théâtre et le sentiment religieux, l’art et la réhabilitation d’un homme. Ils « se drapent » dans un discours sur la rédemption en prétendant ne faire qu’un « choix artistique ». Ce n’est pas mieux que de mêler la politique et la religion.

      Bertrand Cantat a-t-il des talents musicaux tels qu’il serait impossible de monter cette pièce sans faire appel à lui ? Si oui, et si ce motif a guidé le metteur en scène, démontrons-le avec des arguments et cessons le prêchi-prêcha sur le pardon et la réhabilitation, qui me paraît plus démagogique que le propos de ceux et celles qui critiquent le choix de Cantat pour cette pièce au centre de laquelle sont des figures féminines qui meurent pour avoir défié le patriarcat. La symbolique a son importance.

      Le pardon et le christianisme font partie de notre héritage, j’en conviens volontiers, mais ils relèvent des valeurs et croyances personnelles. Mon propos est qu’ils n’ont rien à voir dans un choix qu’on dit « artistique » et qu’on ne saurait en faire une prescription collective - c’est le rôle du Pape et autres leaders religieux de faire ce genre de prescription. Que ceux et celles qui veulent pardonner pardonnent et laissent les autres libres de le faire quand ils le pourront ou de ne jamais le faire. Cette liberté me semble aussi important que la liberté artistique. Enfin, et c’est là un point majeur à rappeler, c’est un droit - et à mon sens un devoir de vigilance - de contester l’appel au pardon chrétien pour justifier un choix qui contribuerait à la banalisation de la violence faite aux femmes.

      [Répondre à ce message]

    Bertrand Cantat et le TNM – La cérémonie du pardon
    9 avril 2011 , par   [retour au début des forums]
    Crimes sexistes

    W.Mouawad prône le pardon. La guerre civile au Liban semble l’avoir influencé, ce qui peut se comprendre. Mais vouloir briser le cycle de la violence entre groupes religieux ou ethniques m’apparaît d’un autre ordre que de demander aux gens (et particulièrement aux femmes) de pardonner la violence conjugale (comme dans le cas Cantat) ou le viol (dans Incendies). (Même si je ne dis pas non plus que ces derniers sont intrinsèquement impardonnables).

    Les crimes qui sont faits dans le cadre d’une relation de couple ou qui sont sexuels (y compris ceux qui se font dans un contexte de guerre) sont d’une nature différente que le fait de se battre contre un groupe ennemi. Le violeur, dans Incendies, ne viole pas simplement pour se venger du groupe qu’il combat politiquement : il viole aussi par sexisme. Et c’est peut-être ce en quoi Incendies demeure si insatisfaisant : on nous parle de pardon entre groupes ennemis, mais on oblitère la nature sexiste des crimes infligés, qui, elle, continue, même en contexte de paix.

    • Bertrand Cantat et le TNM – La cérémonie du pardon
      11 avril 2011 , par
        [retour au début des forums]
      Se renseigner sur l’homme avant de condamner le crime

      SVP - un simple message - merci de ne pas censurer.
      Bertrand Cantat était le parolier de Noir Désir.
      Le groupe n’a pas survécu à son incarcération. Mais...
      Y a t’il des gens ici pour savoir de quoi traitaient leurs chansons et en connaître les paroles ? SVP une visite sur youtube : ’un jour en France’, ’comme elle vient’, ’aux sombres héros’, ’Marlene’. , a l’envers a l’endroit’, ’l’homme pressé’, ’des armes’ (magnifique reprise du libertaire Léo Ferré)....
      Observez les images très simples de leurs clips très axées sur la vie du peuple qui travaille sur les femmes, sur les handicapés (’’comme elle vient’’ met en scène des femmes parlant le langage de signes et s’interrogeant sur la montée de l’extrême droite en france).
      Noir Désir fit partie des influences qui, adolescent et jeune adulte, ont forgée ma foi en un certain progressisme social.
      Les paroles de Cantat m’ont incité à remettre en cause la psychorigidité de nos gouvernants ou des lobbies qui les manipulent.
      Le drame de Cantat c’est celui de la jalousie (et de Marie Trintignant aussi si on se fie au récit des événements) de l’alcool et de la drogue (dans le cas de marie) qui l’ont amenés à tuer une femme qu’il aimait sans doute du plus profond de son être.
      J’ai connu des événements difficiles en couple, j’ai été rabaissé et trainé dans la boue, ma confiance a été mainte fois humiliée. Heureusement je n’étais ni enclin a la drogue, ni a l’alcool, ni doté d’un baggage intellectuel trop faible pour prendre du recul. Sans quoi qu’aurais-je fait à ma conjointe et son amant ? J’ai cru mourrir pourtant.
      N’aurais-je pas tué pour sauver ma peau et mettre fin au suplice ? Je ne l’ai pas fait mais tout le monde n’est pas aussi "chanceux"... Y a rien de pire a faire pour soi, sa conjointe et ses enfants que d’en arriver là...
      En prenant pour cible Cantat vous prenez pour cible un homme qui a beaucoup oeuvré, en dehors de ce drame, pour des luttes qui nous tiennent à coeur, et n’a jamais fait preuve de mysoginie par ailleurs en dehors de cet accident lié à une vie personnelle dont il a perdu le contrôle un instant... Un instant de trop...
      La loi canadienne est ce qu’elle est et lui interdit comme a tout tueur d’individu, quelque soit son sexe, l’entree au pays.
      Le pogrom de surcroit n’est peut être pas nécessaire ;o)

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      • Bertrand Cantat et le TNM – La cérémonie du pardon
        15 avril 2011 , par
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        uoi

        Comme le dit Rhéa, Noir Désir était un très bon groupe avec des paroles sensées.

        Cantat n’est pas un tueur ! Il n’a pas été accusé de meurtre mais bien d’homicide involontaire ! Il y a ici une grosse nuance que tout les démago de ce monde oubli. Il a poussé Marie Trintignant dans l’escalier... Maintenant, il a purgé sa peine et il tente de se réhabilité. Pourquoi s’acharné sur son cas ? Sa réhabilitation n’est pas possible ? En quoi sa présence sur scène est de la provocation ? "C’est un batteur de femme" ? ... Grosse affirmation gratuite, démago.

        Et laissez tomber le Judéo-Christiannisme.. ça AUCUN rapport ! On parle ici de justice pas de religion. Le pardon est justiciable.

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        • Bertrand Cantat et le TNM – La cérémonie du pardon
          15 avril 2011 , par
            [retour au début des forums]

          Je n’ai pas lu que la personne qui signe Rhéa ait dit ce que vous dites, et il n’est pas question du groupe Noir Désir.

          Cantat n’est pas un batteur de femmes, ni un tueur. Alors, le Saint-Esprit a infligé 20 fractures du visage à Marie Trintignant et l’a tuée, puisqu’elle est bel et bien morte. Le déni aveugle est pire que la démagogie.

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        • Bertrand Cantat et le TNM – La cérémonie du pardon
          10 mai 2011 , par
            [retour au début des forums]

          rendre à César ce qu’il lui appartient...
          Pourquoi la double peine ? Pourquoi un citoyen qui a commis un meurtre et purgé sa peine devant la loi des hommes devrait être caché aux yeux du monde et ne plus avoir d’activité publique au nom de la décence ? Un tel citoyen a le droit de produire une parole publique. Dénier ce droit en empêchant le chanteur de se produire sur scène serait une grave atteinte aux libertés, aux fondements de la vie communautaire. Respecter le droit ne signifie absolument pas qu’il faille renoncer aux combats contre les injustices que le monde inflige aux hommes et aux femmes.
          Lupac

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