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lundi 23 mai 2011 Affaire D. Strauss-Kahn : "Oui, il faut prendre au sérieux la femme victime !"
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Les hommes et femmes politiques français-es, ainsi que les médias, ont répété à l’envi que Dominique Strauss-Kahn était "présumé innocent". Peu ont cru bon de préciser que la femme de chambre était, elle, "présumée victime". Jusqu’à preuve du contraire, et même si c’est un exercice difficile, on doit les croire tous les deux. Il n’y a aucune raison de remettre en cause a priori la parole de cette femme : même si son statut social est considéré comme inférieur à celui de l’accusé, sa parole, devant la justice, vaut autant, et il faut se réjouir de ce principe d’égalité. Pourquoi n’est-ce pas le principe qui prévaut dans le traitement médiatique de cette affaire ? Parce que la victime présumée est une immigrée ? Parce qu’elle est femme de chambre ? Ou simplement parce qu’il s’agit d’un crime sexuel et sexiste ? La mise en doute de la parole des victimes de viol ou d’agression sexuelle est monnaie courante, beaucoup plus que pour d’autres types d’agressions. Leur entourage, puis parfois la police, peut les accuser d’affabuler, d’exagérer ; au mieux, elles sont soupçonnées d’avoir été imprudentes, peut-être même tentatrices. Et si on finit par les croire, les pressions sont souvent fortes pour étouffer l’affaire. C’est pour ces raisons que seule 1 victime sur 10 porte plainte, alors que plus de 75 000 femmes sont violées chaque année en France. Dans cette mesure, comment reprocher aux femmes victimes de violences sexuelles de ne pas avoir parlé ou porté plainte immédiatement – comme on l’a entendu sur certains plateaux de télévision ? Lorsque, au surplus, l’agresseur est un homme disposant d’une aura médiatique, d’une position sociale privilégiée, est-il si difficile d’imaginer leur sentiment d’impuissance et d’écrasement ? Dans ce contexte, il faut saluer le courage de cette femme de chambre, qui maintient sa version malgré les pressions de l’opinion internationale voire les insultes, ainsi que celui de son employeur, qui l’a soutenue dans sa plainte contre un client pourtant rémunérateur… Le soupçon systématique qui pèse sur les victimes d’agression sexuelle sévit de nouveau. Les commentaires au sujet de l’aspect physique de la femme de chambre plaignante, "peu séduisante" pour certains, "très jolie" pour d’autres, sont hors de propos : cherche-t-on à établir le profil type de la "bonne" victime ? Il n’existe pas, les associations d’aide aux victimes le savent. On voit bien, en revanche, quel est le but de ces remarques : si elle n’est pas séduisante, il n’y a, dit-on, aucune raison de la violer ; si elle l’est, elle a donc aguiché ; dans les deux cas, sa parole est disqualifiée. Par chance pour elle, l’enquête de voisinage se révèle favorable ; ses voisins n’en disent que du bien et sa vie semble "moralement irréprochable", selon les critères retenus. On comprend que le viol d’une femme désagréable avec les voisins et ayant plusieurs amants ne serait plus vraiment un crime ! Libertinage Cette façon de jauger la légitimité de la victime renvoie à la confusion entre ce qui relève de la vie privée et des actes condamnables au regard du code pénal. Pourtant, entre des relations sexuelles et un crime sexuel, la frontière est claire : le consentement entre adultes. Un homme qui plaque une femme au sol et tente de lui arracher ses vêtements contre son gré, c’est une tentative de viol. Un homme qui, après avoir rencontré une femme dans un cadre professionnel, multiplie les messages insistants et grossiers, c’est du harcèlement sexuel. Un homme qui abuse de sa position professionnelle pour forcer une collaboratrice à avoir une liaison, c’est du harcèlement sexuel et un viol. Un homme qui va, seul ou accompagné, dans des bars échangistes… il s’agit alors de vie privée. Lorsque les journalistes parlent de libertinage pour évoquer l’agression sexuelle dont Dominique Strauss-Kahn est accusé, ils participent de cette confusion et confortent la tolérance de notre société envers les violences sexuelles, au nom d’une pseudo-séduction à la française. Pour faire reculer ces violences, il est essentiel d’écouter la parole des victimes, même supposées. Si la présomption d’innocence est un principe fondamental, elle ne peut être un alibi à la négation de cette parole. Dominique Strauss-Kahn dispose d’avocats efficaces, de moyens financiers, d’une famille et d’amis prêts à le défendre. Souhaitons à cette femme migrante, mère seule avec enfant, autant de soutiens à l’heure où sa vie, en plus d’être bouleversée, va être disséquée. – Source : Point de vue, Le Monde, le 20 mai 2011. Mis en ligne sur Sisyphe, le 20 mai 2011 |