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lundi 3 octobre 2011


Lettre ouverte aux “Slutwalks”
Pendant que vous défilez, nous, on se noie !

par Rebecca Mott, survivante et écrivaine






Écrits d'Élaine Audet



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J’ai déjà écrit au sujet des “Slutwalks” (marches des salopes), mais je tiens aujourd’hui à répéter ce pourquoi la grande majorité de la classe prostituée ne pourra jamais s’intégrer au mouvement des “Slutwalks”.

Il nous est impossible d’en être tant que les “Slutwalks” se permettent de fonctionner main dans la main avec les promoteurs et les profiteurs de l’industrie du sexe. J’aimerais croire que c’est de la naïveté, mais plus ça va, plus l’alliance de “Slutwalks“ avec l’industrie du sexe devient une déclaration politique délibérée.

Cela tient à leur position de base : « Being a Slut can be from pleasure or through work » (« On peut être une salope par plaisir ou par le travail. ») Cela tient à avoir pour oratrices, lors de la plupart des “Slutwalks”, des porte-parole d’associations de « travailleurs du sexe », et à défiler avec les partisans du statu quo de l’industrie du sexe – jamais avec les femmes qui ont quitté l’industrie et qui sont aujourd’hui abolitionnistes ou avec celles qui appuient des changements véritables, en soutenant la classe prostituée.

Cela tient au sentiment qu’il est correct de tenir des activités de levée de fonds pour les “Slutwalks” dans des cabarets de « lap-dancing ». Cela tient au fait de ne pas reconnaître que la plupart des femmes et des filles qui sont dans l’industrie du sexe peuvent être forcées de s’habiller en « salopes ». Et cela tient au refus de tenir compte du fait que la plupart des femmes et des filles voient le mot « salope » utilisé contre elles, comme une arme de guerre sadique.

Compte tenu de tout cela, il est devenu clair que les “Slutwalks” ont fait le choix conscient d’exclure de leurs rangs la classe prostituée. Parce que nous allons continuer à lutter avec obstination pour que cet enjeu ne soit pas défini comme un travail, ce n’est pas une question syndicale – nous luttons pour montrer qu’il s’agit d’une question de droits humains et qu’il s’agit d’empêcher la normalisation de la torture sexuelle.

Je ne vois pas encore de signe qu’il existe une “Slutwalk“ qui tienne compte de cette dimension. On semble trop occupées à chercher des putains heureuses – dont un livre quelque part affirme l’existence – pour constater que près de 98% des femmes et des filles qui sont dans l’industrie du sexe se sont fait voler tous leurs choix.

Il est plus facile de définir la prostitution comme un simple travail – un travail qui, dans quelque imaginaire romantique, consiste à rencontrer des hommes intéressants, apprendre des techniques sexuelles incroyables – voire devenir une « déesse-pute », qui gagne des tas d’argent, et peut quitter l’industrie sans la moindre difficulté.

Dans cette perspective idyllique, il serait facile de repérer les viols commis contre la classe prostituée, puisque la violence sexuelle serait inhabituelle, les gestionnaires et “pimps“ (proxénètes) seraient bien sûr outragés, les policiers croiraient la prostituée et les agresseurs seraient bannis et arrêtés…

Car bien évidemment, toute violence sexuelle serait résolue à l’interne et la classe prostituée serait respectée, une fois sa condition redéfinie et normalisée comme « travail du sexe ».

Voilà le fantasme que soutiennent les “Slutwalks” en disant que la prostitution n’est qu’un travail du sexe.

La réalité du commerce du sexe est qu’il est organisé autour du viol comme norme – mais que lorsqu’il est présenté comme un travail, il n’est pas dénoncé comme un viol mais comme le rôle/choix de chaque femme ou fille au sein de ce commerce.

Comment ne pas comprendre qu’il est normal pour les femmes de se distancer du mot « viol » pour décrire leur réalité ? Les viols, les tortures sexuelles et la violence affective y sont si constants et sans fin que les femmes de la classe prostituée doivent les voir comme un « travail » pour conserver leur équilibre.

Mais c’est une trahison de la classe prostituée que de définir socialement leur condition comme un travail – cela équivaut à les laisser à l’intérieur d’une institution fondée sur la torture sexuelle et qui voit les personnes prostituées comme des marchandises jetables.

Quant à moi je m’en tiendrai aux défilés « Reprendre la Nuit » – parce qu’ils affrontent la violence sexuelle masculine, ce qui signifie que la classe prostituée peut y trouver une voix.

Version originale : "You March, We Drown".

Traduction : Martin Dufresne. Relue par : Michèle Briand

Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 octobre 2011



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Rebecca Mott, survivante et écrivaine

Je suis une écrivaine britannique, survivante d’abus sexuels dans l’enfance et de la prostitution. Une partie de la maltraitance que m’a infligée mon beau-père durant mon enfance a été la violence psychologique de me faire regarder de la pornographie hyperviolente. Combinées à la violence sexuelle qu’il m’infligeait, ces images me faisaient ressentir que je n’avais d’autre valeur que celle de servir d’objet sexuel à un homme et que le sexe était toujours associé à la violence et à la douleur. À 14 ans, je suis tombée dans la prostitution et elle était extrêmement sadique. Je ne m’en suis pas détournée pas car j’éprouvais trop de haine de moi-même pour y reconnaître de la violence et du viol - j’avais l’impression que c’était tout ce que je méritais. J’ai fait de la prostitution entre l’âge de 14 ans à 27 ans et, la majorité du temps, les hommes qui m’achetaient tenaient à m’infliger des rapports sexuels très sadiques. Je me suis habituée à des viols collectifs, du sexe oral et anal violent, et au fait de devoir jouer des scènes de porno dure - cela devint mon existence. J’ai failli être tuée à plusieurs reprises, et fait beaucoup de tentatives de suicide, mais j’ai survécu. Quand j’ai réussi à quitter le milieu, j’ai effacé durant 10 ans la plupart de mes expériences. Ce n’est qu’après avoir dépassé le souvenir des violences de mon beau-père que j’ai trouvé l’espace mental pour me souvenir. Se souvenir de la prostitution est terrible, et je souffre d’un lourd syndrome de stress post-traumatique (SSPT). J’ai créé mon blog pour explorer mon SSPT à titre de survivante à la prostitution, pour réclamer l’abolition du commerce du sexe et pour faire état des conditions terribles de la prostitution vécue à l’intérieur. J’essaie d’écrire de la prose poétique, mais je crois que mon travail est de nature politique.



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