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jeudi 17 novembre 2011

Pornographie – La toile blanche

par Rebecca Mott, survivante et écrivaine






Écrits d'Élaine Audet



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La violence que la pornographie inflige à des femmes et des jeunes filles réelles n’a rien de nouveau.

Il serait facile de croire que ce n’est que depuis l’invention de la caméra que des femmes et des jeunes filles réelles sont violentées dans la pornographie. Il serait facile de croire que la violence pornographique extrême n’existe que depuis l’invention du cinéma et d’Internet.

Ce n’est pas vrai : la violence infligée à des femmes et à des filles réelles par la porno est aussi ancienne que le premier dessin ou texte dépeignant la violence sexuelle sadique faite aux femmes et aux jeunes filles.

Ce n’est pas une nouvelle forme de violence ; c’est simplement que la violence de la pornographie a été et demeure principalement infligée à la classe prostituée, c’est-à-dire tenue à l’abri des regards.

Pour la classe prostituée, la porno ne consiste pas en idées ou en fantasmes mais en objets enfoncés de force en elles.

La porno est perçue comme inoffensive longtemps après la mort de toutes les femmes et jeunes filles qu’elle dépeint comme des prostituées.

Leurs voix sont réduites au silence, leurs souvenirs personnels sont éliminés.

Quand nous traitons la pornographie comme de l’art « haut de gamme » ou des artefacts historiques, ces femmes et ces jeunes filles prostituées deviennent des fantômes hurlants.

Regardez l’accumulation incessante de livres et de reportages photo sur les bordels romains. Voyez les scènes de violence sexuelle peintes sur les murs. Cela doit être de l’art, ça ne peut être réel…

Regardez les photos glamour de courtisanes de grande classe dans l’art occidental – on n’y trouve aucune suggestion qu’il s’agit de femmes jetables, désirées seulement le temps qu’elles peuvent être un objet sexuel.

Lisez les romans masculins qui présentent interminablement la vie de prostituée comme une affirmation de la vie et qui inventent le mythe de la « happy hooker ».

L’art cache la violence, l’art cache le désespoir total, l’art ment à propos de la classe prostituée.

Mais beaucoup d’œuvres d’art reconnaissent avec une clarté brutale que la classe des « putains » est ramenée à rien d’autre que des trous destinés aux fantasmes porno des hommes.

L’art grec et romain dépeignait constamment des images de ce qu’on appelle aujourd’hui la porno hardcore ou gonzo.

La double pénétration, la fellation profonde, l’enculage au poing, etc. ne sont pas des pratiques nouvelles ; elles n’ont jamais été nouvelles.

La porno est répétitive et, quand on est celle qui la reçoit, la porno est très lassante à cause de sa répétition.

Il n’existe qu’une quantité limitée de choses que l’on peut faire au corps d’une femme, et la porno a sans doute atteint cette limite il y a des siècles.

La seule chose qui change est ce qui est enfoncé dans le corps et la technologie utilisée pour produire la porno et l’envoyer aux consommateurs.

Mais la violence intrinsèque à la porno a toujours été extrême et a toujours menacé la vie des femmes et des jeunes filles maintenues à l’intérieur de la classe prostituée.

La porno a toujours empli de violence les corps et les esprits de la classe prostituée, parce que c’est la façon de prouver que ce ne sont pas de « vraies » femmes, parce que c’est leur « métier » d’éponger toute cette haine et cette violence.

La porno a toujours été violente à l’égard de la classe prostituée et elle a été banalisée parce que la plupart des cultures et des sociétés disent qu’il est naturel pour les hommes d’avoir des fantasmes porno, qu’il est naturel de prendre ensuite ce fantasme et d’en empoisonner la classe prostituée.

Qu’importe après tout, il s’agit simplement de femmes et de jeunes filles jetables.

Eh bien, si vous croyez ces excuses insensées et destructrices pour les femmes, vous devriez imaginer ce que c’est que d’être cette prostituée, à n’importe quelle époque et dans n’importe quel lieu.

Soyez cette femme, puisque ce que voit le prostitueur n’est pas vous mais une série d’orifices où se soulager des contenus pornographiques qu’il a gravés dans le cerveau.

Dites-moi que vous ne ressentez pas de frayeur, que vous ne ressentez pas de dégoût, et dites-moi que vous ne mourrez pas intérieurement.

Depuis qu’elle existe, la porno enseigne aux hommes qui l’achètent que la classe prostituée ne ressent pas de douleur, pas de véritable terreur, qu’elle aime les « jeux » de vie et de mort, qu’elle adore le sexe sadique, qu’elle adore la violence psychologique, et qu’il n’y a pas de racisme dans ce qu’elle vit.

La porno fait disparaître toute la haine, parce que la classe prostituée n’en a aucun souci, n’est-ce pas ?

Alors, soyez la prostituée qui est très probablement la cible de ce sexe alimenté par la porno.

Vous allez sourire et simuler le bonheur, vous allez flatter son ego, vous allez pousser tous les gémissements porno dont vous arriverez à vous souvenir… tout en cherchant constamment à vous rappeler comment rester en vie.

C’est la norme de la porno actualisée dans le corps de femmes et de jeunes filles véritables, mais rendue invisible parce qu’il s’agit « seulement » de femmes et de filles prostituées.

J’écris cela non seulement pour aujourd’hui, non seulement à cause de ma douleur et de mon chagrin personnels. Je l’écris pour les millions de femmes et de jeunes filles prostituées au fil des siècles, dans la plupart des pays, des femmes et des filles qui ont été réduites au rang de marchandises pornographiques.

J’écris pour dire que toutes ces femmes et ces filles ont vécu à l’intérieur de la torture, ont vécu une vie où l’espoir a été volé.

L’histoire humaine est entachée par le cri silencieux de leur destruction.
La pornographie a assassiné leur avenir.

 Version originale : « Blank Canvass ».

Traduction : Martin Dufresne

Mis en ligne sur Sisyphe, le 16 novembre 2011



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Rebecca Mott, survivante et écrivaine

Je suis une écrivaine britannique, survivante d’abus sexuels dans l’enfance et de la prostitution. Une partie de la maltraitance que m’a infligée mon beau-père durant mon enfance a été la violence psychologique de me faire regarder de la pornographie hyperviolente. Combinées à la violence sexuelle qu’il m’infligeait, ces images me faisaient ressentir que je n’avais d’autre valeur que celle de servir d’objet sexuel à un homme et que le sexe était toujours associé à la violence et à la douleur. À 14 ans, je suis tombée dans la prostitution et elle était extrêmement sadique. Je ne m’en suis pas détournée pas car j’éprouvais trop de haine de moi-même pour y reconnaître de la violence et du viol - j’avais l’impression que c’était tout ce que je méritais. J’ai fait de la prostitution entre l’âge de 14 ans à 27 ans et, la majorité du temps, les hommes qui m’achetaient tenaient à m’infliger des rapports sexuels très sadiques. Je me suis habituée à des viols collectifs, du sexe oral et anal violent, et au fait de devoir jouer des scènes de porno dure - cela devint mon existence. J’ai failli être tuée à plusieurs reprises, et fait beaucoup de tentatives de suicide, mais j’ai survécu. Quand j’ai réussi à quitter le milieu, j’ai effacé durant 10 ans la plupart de mes expériences. Ce n’est qu’après avoir dépassé le souvenir des violences de mon beau-père que j’ai trouvé l’espace mental pour me souvenir. Se souvenir de la prostitution est terrible, et je souffre d’un lourd syndrome de stress post-traumatique (SSPT). J’ai créé mon blog pour explorer mon SSPT à titre de survivante à la prostitution, pour réclamer l’abolition du commerce du sexe et pour faire état des conditions terribles de la prostitution vécue à l’intérieur. J’essaie d’écrire de la prose poétique, mais je crois que mon travail est de nature politique.



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