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vendredi 18 avril 2014

Lettre de remerciement aux prostitueurs

par Dublincallgirl






Écrits d'Élaine Audet



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J’aimerais vous dire un grand merci.

Merci d’avoir fait partie de ma vie, merci de m’avoir aidée à devenir la personne que je suis aujourd’hui.

Merci de m’avoir amenée à devenir la bitch la plus forte qui ait jamais vécu. C’est seulement à cause de mes expériences avec vous que je suis la personne invincible que je suis aujourd’hui.

Merci pour cette matrice d’expériences qui ont toutes contribué à me façonner en faisant de moi un être de compassion, une personne empathique, généreuse et compréhensive.

Merci de m’avoir montré ce qu’est l’exploitation de sorte que je la connais, je l’ai ressentie et je peux maintenant la reconnaître rapidement. Merci de m’avoir montré ce à quoi ressemble le sexe en tant qu’escorte, de sorte que je peux apprécier bien plus encore le sexe normal.

Merci de m’avoir montré ce à quoi ressemble le sexe en tant qu’objet à orifices, je suis maintenant tellement reconnaissante d’avoir des rapports sexuels avec quelqu’un qui souhaite avoir des relations sexuelles avec moi, avec ma personne toute entière, et pas seulement mon vagin ou ma bouche.

Merci de m’avoir montré ce qu’est le skullfucking et ce qu’est le facefucking, afin que je puisse ne jamais, au grand jamais, poser ces actes à nouveau.

Merci de m’avoir montré la différence entre la coercition et l’envie de plaire volontairement à quelqu’un parce qu’on l’aime et pas parce que l’on est payée pour le faire.

Merci de m’avoir montré ce qu’est la véritable vulnérabilité, vous m’avez appris l’empathie.

Merci à tous ces hommes qui m’ont dit : « Vous ne ressemblez pas au genre de fille qui fait normalement ça » ; merci d’avoir ainsi mis en évidence l’objectivation et la marchandisation des femmes qui est le menu principal de l’industrie du sexe.

Merci de m’avoir rendue consciente et honteuse de ma naïveté, de ma féminité, de mon identité irlandaise. Je suis aujourd’hui en mesure de me remémorer ma jeunesse avec amour et compassion.

Merci au prostitueur qui a jeté l’argent sur le sol de sorte que j’ai dû me mettre à terre pour le ramasser. Maintenant que je sais ce que c’était que d’être à terre, je ne vais jamais y retourner.

Merci de m’avoir amenée à vous détester – aujourd’hui, enfin – pour m’avoir suffisamment maltraitée de sorte que je vous haïsse en nourrissant une colère constructive et non autodestructrice. Je vais dire au monde à quel point vous êtes de la merde pour le restant de ma vie. Merci de m’avoir donné les munitions pour le faire.

À ceux qui ont été aimables envers moi, merci de m’avoir montré de la gentillesse et de l’humanité, même si cela ressemblait à une agression amicale.

Aux deux prostitueurs que j’ai convaincus de cesser d’acheter des femmes, merci de m’avoir montré que les gens peuvent faire des erreurs, et qu’ils peuvent changer.

Merci de m’avoir donné un peu de foi envers les hommes et l’humanité. Merci de m’avoir traitée comme un être humain et de m’avoir écoutée. Merci de ne m’avoir donné rien à craindre.

Chaque fois que vous êtes venus chez moi et que vous ne m’avez pas souri, ne m’avez même pas dit bonjour, vous avez rendu plus difficile pour moi de vous servir.

Chaque fois que vous avez ouvert votre porte et m’avez toisée de haut en bas, sans sourire et peu accueillants, vous m’avez fait paniquer. Vous m’avez inquiétée. Vous m’avez fait peur. Je ne savais pas si vous alliez me faire du mal ou non. (« Ce sera fini dans une heure. Ce sera fini dans une heure. Ce sera fini dans une heure. Ce sera fini dans une heure. »)

Chaque fois que vous m’avez ordonné de prendre telle ou telle position, vous avez fait rétrécir mon âme un peu plus.

Chaque fois que vous avez fait une petite remarque bizarre à propos d’une partie de mon corps, ou un claquement de langue approbateur, ou que vous avez soupiré quand je ne voulais pas faire quelque chose, vous m’avez fait me sentir un peu moins puissante, un peu plus soumise, un peu plus dévalorisée.

Pour chaque rendez-vous que vous avez rendu si difficile à subir jusqu’à la fin, vous avez contribué à créer une survivante, vous avez contribué à créer votre propre ennemie.

Chaque fois que j’ai dû mettre votre bite puante dans ma bouche, vous m’avez fait apprécier un peu plus les hommes de qualité dans ma vie.

Merci de m’avoir montré le côté obscur, pour m’avoir amenée à apprécier beaucoup plus encore le bon côté des choses.

Merci de m’avoir montré de la haine ; aujourd’hui je suis en mesure de vraiment comprendre l’amour.

À tous les prostitueurs qui ont écrit en ligne des critiques de moi, horriblement détaillées, à tous ceux qui ont commenté mon ventre mou, mes tatouages, ma taille (trop grande, apparemment), à tous ceux qui ont fait des remarques misogynes déguisées sur mes cheveux, mon apparence, mon corps, ma jeunesse – merci, puisqu’aujourd’hui j’ai totalement confiance en mon corps.

Je l’aime plus que jamais auparavant, à cause de la façon dont vous l’avez décrit, dont vous l’avez utilisé, dont vous l’avez traité comme bon vous semblait. Vous avez dû payer des centaines de billets pour être dans la même pièce que moi. Je suis belle, et aucun d’entre vous ne l’était, aucun. Je sais aujourd’hui que je suis belle. À l’époque, je pensais que ma beauté était aussi une sorte de service à rendre aux hommes.

Je pouvais à peine respirer pendant que vous me baisiez, tant j’éprouvais de répulsion pour vous. Quelle femme de 22 ans a envie de baiser quelqu’un de 48 ans de toute façon ? Personne. Il est facile de croire les sourires et autres joyeusetés, n’est-ce pas, de croire en sa « disponibilité » ?

Je ne comprends pas comment votre estime de soi peut être si faible que vous deviez payer quelqu’un pour coucher avec vous. « Ayez une relation sexuelle avec moi, s’il-vous-plaît ! Je suis juste un vieil homme solitaire ! »

Quelle pitié ! Vous êtes un vieil homme pathétique, qui a de l’argent, et qui voit les vagins comme une chose avec qui négocier. Comme vous devez vous mépriser !

Que vous est-il arrivé pour faire de vous un prostitueur ? Cela ne peut être uniquement cette culture d’objectification sexuelle des femmes où nous vivons, il doit y avoir autre chose, peut-être quelque chose à voir avec le rejet ? Peut-être quelque chose à voir avec le vieillissement ? Peut-être quelque chose à voir avec le sentiment d’insuffisance ? Vous seriez beaucoup plus heureux si vous vous occupiez un peu de vos problèmes au lieu de louer mon vagin pendant une heure. Mais c’est le chemin le plus difficile à prendre n’est-ce pas ? Il est bien plus facile de prétendre que tout ce que vous faites est légitime et que j’aime secrètement baiser des hommes âgés, hostiles, qui font de l’embonpoint et qui perdent leurs cheveux.

L’argent vous donne du pouvoir, n’est-ce pas ? L’argent vous donne le pouvoir de décider qui vous voulez baiser, quand vous voulez baiser, comment vous voulez la baiser, et pour combien de temps, indépendamment de ses désirs à elle, de son seuil de douleur, de son degré de confort. Vous payez, alors vous décidez. Cela doit vous donner un formidable élan d’adrénaline d’exercer ce genre précis de pouvoir, d’avoir du pouvoir sexuel sur quelqu’un d’autre. Cela semble tellement tout croche. Parce que c’est tout croche, espèce de saligaud d’homme !

Si l’un d’entre vous connaissait mon histoire, je me demande s’il continuerait à être prostitueur. Probablement. Vous avez ce don extraordinaire d’être en mesure de vous distancier instantanément de toute suggestion d’un comportement mauvais ou illégal. Vous pouvez affirmer : « Je ne savais pas qu’elle avait seize ans ! Comment étais-je censé le savoir ?! » (Indice : vous êtes censé le demander – vous assurer que l’adolescente que vous baisez n’est pas une enfant !) Vous pouvez affirmer : « Mais je ne savais pas qu’elle avait un souteneur ! » (Indice : vous êtes censé le lui demander et bien vous assurer qu’elle n’en a pas de souteneur.) Si vous aviez su pourquoi je faisais cela, vous seriez-vous quand même servis de moi ? Probablement, vous aviez déjà payé…

Mais merci, merci d’avoir fait de moi la fille forte que je suis aujourd’hui, merci car si ce n’était pas de vous et de l’industrie que vous créez, je ne serais probablement pas aussi enthousiaste et généreuse et charitable maintenant.

Je ne serais probablement pas aussi profonde et émotionnelle. Et j’aime être profonde et émotionnelle. Donc, merci.

J’espère que vous êtes fiers de votre « passe-temps inoffensif ». Est-ce qu’un orgasme vaut vraiment toute la merde que vous, sans le savoir (ou sciemment), faites vivre aux prostituées ? Pourquoi devrais-je aller en thérapie pour surmonter vos orgasmes s’ils sont aussi inoffensifs ?

Vous savez que ce que vous faites est mal. Alors cessez d’être un lâche. Soyez un homme.

Cordialement,

Chaque prostituée que vous avez jamais baisée.

* On comprendra que l’auteure emploie un pseudonyme. Elle a autorisé la traduction et la diffusion de ce texte.

 Lire aussi : « Services sexuels pour les handicapés : la pitié dangereuse », par Catherine Albertini.

Traduction : Martin Dufresne

Mis en ligne sur Sisyphe, le 5 février 2012



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