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jeudi 15 mars 2012


Les Carnets de Sisyphe
Le gouvernement Harper : danser sur les tombes

par Micheline Carrier






Écrits d'Élaine Audet



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Au hasard de mes lectures, je suis tombée sur une citation de Susan B. Anthony*, militante américaine des droits civiques, qui a joué un rôle important dans la lutte pour le suffrage des femmes aux États-Unis :

"Aucune femme qui se respecte ne devrait souhaiter le succès ni travailler au succès d’un parti qui ignore son sexe" (1872).

Cette citation m’a fait penser au gouvernement Harper et aux désastreuses politiques qu’il a adoptées depuis le début de son "règne" à la Chambre des communes.

Certaines politiques, qui visaient les femmes, notamment le quasi-démantèlement de Condition féminine Canada, ont été dictées par la croyance - je dis la croyance, car le gouvernement Harper agit le plus souvent sur la base de croyances et non de faits -, que l’égalité des femmes est déjà réalisée au Canada (selon l’ex-ministre Beverley J. Oda, de triste mémoire).

Si l’égalité n’est plus un objectif à atteindre, on peut gommer du langage officiel les inégalités dont de nombreuses femmes souffrent. Une fois gommées du langage, ces inégalités n’existent plus... Ce n’est ni la première ni la derrière fois que ce gouvernement distortionne la réalité en faisant disparaître du discours les mots qui le gênent.

Le pire, c’est que plusieurs se sont empressés de croire cette fable conservatrice. L’égalité des Canadiennes étant à leurs yeux réalisée, ils se demandent aujourd’hui : "Mais qu’est-ce qu’elles veulent encore ? Ne pourraient-elles pas se taire ?" "Souligner le 8 mars n’est plus nécessaire." Et bla-bla-bla. Il faudrait maintenant une journée de l’homme !

Avancer en arrière

Comme Sisyphe condamné à rouler sans cesse son rocher au sommet d’une montagne, les femmes font l’expérience que rien n’est jamais acquis une fois pour toutes quand la loi du plus fort parle.

En 2012, il serait difficile de dire qu’il faut "préserver les acquis". Il faut plutôt récupérer les pertes, combler les reculs, recommencer des luttes. Au Canada et au Québec - prétendus paradis des libertés et des droits des femmes - les femmes ont perdu et perdent du terrain à cause du conservatisme et de la domination du libéralisme économique. Comme ailleurs dans le monde, les marchés financiers dictent les priorités et, par la même occasion, le sort des êtres humains.

*

La situation des femmes canadiennes est le dernier souci du gouvernement de Stephen Harper. Elle n’est pas un souci du tout. Jamais a-t-on vu auparavant des dirigeants si peu aptes à écouter les points de vue différents. Ils finissent par se convaincre que le monde EST comme ils le conçoivent, et ne saurait être autrement.

Ces gens croiraient dur comme fer que la terre est plate, je n’en serais pas surprise. Ils sont allergiques à la rigueur scientifique, ils censurent et discréditent les personnes qui la pratiquent. Ils sont allergiques aux faits. Point. Ils carburent à l’idéologie.

Plus encore qu’un jugement douteux, ces individus qui avancent sous la houlette évangélique de Stephen Harper semblent avoir une pierre à la place du cœur.

J’en veux pour preuve récente – ils en ont donné bien d’autres depuis 6 ans, notamment envers des personnes immigrées, les autochtones, Omar Khadr, etc. - cette petite fête organisée pour célébrer l’abolition du registre des armes d’épaule.

L’idéologie motivant l’abolition de ce registre était déjà simpliste. Il ne fallait pas, a dit en ondes l’ineffable Maxime Bernier, criminaliser les chasseurs. Hey, ministre à la noix, les conducteurs et conductrices sont-ils criminalisé-es parce que la loi les oblige à enregistrer leurs véhicules et à détenir un permis de conduire ?

Le drame de Polytechnique a été à l’origine de la création de ce registre, afin d’exercer un meilleur contrôle des armes en circulation au pays et de réduire la quantité de crimes commis par ces armes trop facilement accessibles.

La petite fête des conservateurs a ajouté l’insulte à l’injure.

Il est compréhensible que cette célébration déplacée ait laissé de l’amertume chez plusieurs, c’est comme si les fêtards avaient "dansé sur les tombes" des victimes.**

*

L’Histoire nous enseigne qu’idéologie conservatrice et évolution des droits et libertés ne font pas bon ménage. Mais je ne m’habitue pas à ce que cette idéologie, portée comme un flambeau au nom du Canada – donc en notre nom à toutes et à tous – s’impose comme une loi d’airain.

Si Stephen Harper, des membres influents de son cabinet et leurs lobbies chouchou – groupes religieux, associations de chasseurs, militaires, grandes entreprises et autres gens d’affaires - estiment qu’il faut penser et agir de telle manière, on voit apparaître une nouvelle loi qui impose à toute la population de penser et d’agir ainsi.

Le gouvernement Harper intervient dans des conflits de travail par une loi spéciale ou une menace de loi spéciale, le plus souvent favorable aux employeurs (Poste Canada, Air Canada). Ses interventions équivalent à supprimer le droit de grève reconnu par la loi. Par le projet de loi C10 qui sera adopté sous peu, le gouvernement imposera une peine minimale pour certains crimes, sans égard aux circonstances ni aux conséquences de cette décision pour les personnes et la collectivité. Le pouvoir politique imposera aussi aux juges son idéologie vindicative en s’en prenant aux jeunes contrevenants qu’il veut criminaliser comme s’ils étaient des adultes.

Nous sommes dans l’idéologie pure qui peut même empêcher que justice soit rendue. En effet, dit une amie, en fixant des peines minimales exagérées, on pourrait être tenté de réduire les chefs d’accusation pour ne pas envoyer un criminel en prison pendant une période de temps excessive. Par exemple, une accusation de viol pourrait être réduite à une tentative de viol, ce qui ne rendrait pas justice ni à la victime ni à la société.

L’objectif ultime des attaques du gouvernement conservateur contre des droits liés à l’équité salariale, à la procréation, aux services de garde à l’enfance, à l’aide juridique et aux droits de la personne en général nous échapperait, si l’on ne les savait pas dictées par cette idéologie tordue. Ces attaques ressemblent à du harcèlement moral et psychologique destiné à nous maintenir en permanence sur le qui-vive. Périodiquement, un député conservateur menace de forcer la réouverture du débat sur l’avortement en présentant un projet de loi pour en limiter, sinon en interdire l’accès.

Le Canada d’avant Stephen Harper n’était pas parfait, loin s’en faut. Mais il ne niait pas de façon systématique les inégalités structurelles entre les hommes et les femmes. Il a essayé de les atténuer par certaines mesures, dont un soutien financier à des organisations qui offraient des services aux femmes pour les aider à acquérir plus d’autonomie dans différents domaines de l’existence.

Entre 2007 et 2010, l’idéologue Stephen Harper a sapé les chances de survie de plusieurs de ces organisations, et par conséquent aggravé la situation des femmes qu’elles soutenaient, en modifiant les critères de subventions.*** Les groupes de défense des droits et de recherche ont été exclus du financement par l’État. C’est le cas notamment de l’Association nationale Femmes et Droit (ANFD) qui a dû fermer ses portes après 30 ans de travail remarquable. Les féministes ont conclu qu’Harper voulait les bâillonner. L’opposition à la Chambre des communes a conclu à peu près la même chose, mais elle n’en a pas moins permis à un gouvernement, alors minoritaire, de passer outre aux protestations des femmes, des artistes et autres groupes visés. On ne fait pas "tomber" un gouvernement seulement pour défendre les droits des femmes et des artistes...

La sécurité de la vieillesse

Le premier ministre Stephen Harper fait maintenant planer la menace de réduire les prestations de la sécurité de la vieillesse et/ou de reporter l’âge de la retraite à plus de 65 ans. Il l’a annoncé d’abord au forum de Davos, ce qui donne la mesure de sa considération à l’égard de la population canadienne qu’il est censé représenter.

Plusieurs voix autorisées, dont celle du directeur parlementaire du budget, contredisent sa prétention selon laquelle le Canada ne pourra assumer, dans 15 ou 30 ans, les coûts du régime de la Sécurité de la vieillesse s’il ne le modifie pas substantiellement maintenant. Qu’à cela ne tienne, toutes ces voix ont tort, seuls Flaherty et Harper ont raison !

Le programme de la Sécurité de la vieillesse est une mesure progressiste dont le Canada s’est doté en 1927 dans le but d’assurer une certaine équité sociale en réduisant la pauvreté chez les personnes âgées. Pas étonnant qu’un gouvernement conservateur le prenne pour cible.

C’est toujours aux plus vulnérables de la société et aux programmes destinés à leur venir en aide que les gouvernements conservateurs, préoccupés avant tout par la loi et l’ordre, s’en prennent en premier lieu. Les dépenses militaires, les baisses d’impôts pour les contribuables nantis, les subventions aux entreprises, voilà ce qui les intéresse.

À l’origine, pour être admissible aux prestations de Sécurité de la vieillesse, il fallait répondre à certains critères, par exemple, avoir atteint l’âge 70 ans, disposer d’un revenu déterminé et détenir la citoyenneté canadienne. De sorte que seulement environ la moitié des personnes de 70 ans et plus étaient admissibles à ce régime, jusqu’à ce qu’il devienne universel en 1951 (information diffusée à la Télévision francophone de l’Ontario - TFO).

Pas besoin d’être experte en statistique ou en économie pour savoir que les femmes seraient davantage touchées par une diminution des prestations de la Sécurité de la vieillesse et/ou le recul de l’âge de la retraite, si Harper mettait sa menace à exécution. (Et il le fera, - cet homme fait malheureusement ce qu’il dit quand il s’agit de réduire les programmes sociaux - à moins que quelqu’un puisse l’arrêter ou que la population ne le réélise pas à la prochaine élection.)

L’espérance de vie des femmes dépasse de 5 ou 6 ans celle des hommes. En 2010, pour l’ensemble de la population canadienne âgée de 65 ans et plus, la proportion de femmes s’élevait à 56%, elle passait à 67% dans le groupe des 85 ans et plus, et à 80% dans celui des centenaires. (Sauf indication contraire, ces données chiffrées et les suivantes proviennent de Statistique Canada.)

À l’heure actuelle, de nombreuses femmes ne peuvent prendre leur retraite avant 65 ans et même davantage : elles ont passé plusieurs années à la maison avec leurs enfants avant de commencer une carrière ; elles occupent des emplois moins bien rémunérés que ceux des hommes ; elles subissent des écarts de salaires injustifiés par rapport aux salaires des hommes. Elles n’ont donc pas accumulé assez d’argent dans un fonds de retraite ou dans des placements. Je pense en particulier aux femmes chefs de familles monoparentales, dont les responsabilités financières sont plus lourdes que celles des autres familles.

Selon le chroniqueur Michel Girard, 50% des Québécoises et Québécois ayant atteint l’âge de 65 ans n’ont pour revenus que les prestations la Régie des rentes du Québec (RRQ) et de la Sécurité de la vieillesse. Quand on pense au taux d’endettement des Canadiens, Québécois inclus, - 140$ pour 100$ de revenus - on ne peut envisager que la situation change sensiblement d’ici quelques décennies.

Dans une proportion plus grande que les hommes du même âge, les femmes de 65 ans ou plus auront besoin des prestations de la Sécurité de la vieillesse parce qu’au cours de leur vie active leurs revenus auront été moindres.

En 2008, les Canadiennes disposaient d’un revenu total annuel moyen de 30 100$ par rapport à 47 000 $ pour les hommes. Au Québec, le revenu moyen des femmes étaient de 28 500$ et des hommes 39 600$.

Du côté des personnes âgées, le revenu total moyen était de 24 800$ pour les femmes et pour les hommes de 38 100$.

L’idée même de s’attaquer au régime de la Sécurité de la vieillesse, mince filet de sécurité pour une partie importante de la population, m’apparaît carrément scandaleuse lorsque j’apprends que les contribuables canadiens déboursent 23$ pour chaque dollar (1$) que les députés mettent eux-mêmes dans leur fonds de retraite (selon Michel Girard). On s’assure une retraite confortable aux frais des contribuables, mais on veut s’en prendre à celle des moins nantis.

Si le gouvernement Harper atteint son objectif, des députés organiseront-ils une fête pour célébrer leur victoire ? En plus de danser sur la tombe des victimes de crimes, vont-ils danser sur la tombe des personnes âgées ? L’image est peut-être exagérée, mais elle traduit mon profond dégoût pour ces gens sans coeur ni jugement.

*

Ni jugement, ni équité, ni sensibilité, ni compassion. Mais des idées fixes à la tonne qu’il ne remet jamais en question. Voilà le profil du gouvernement Harper.

Une autre de mes amies affirme qu’il existe un terme clinique qualifiant un individu (ou un groupe) qui n’éprouve aucune empathie, aucun remords, des émotions superficielles ; qui s’enferme dans une idée fixe de sorte qu’il ne peut entendre ce que les autres disent, qui se ferme à la voix du bon sens tout en se persuadant du contraire et en croyant que le reste du monde a tort, et par surcroît, qui essaie d’en convaincre les autres.

Ce terme traduirait un trouble de la personnalité. On l’emploierait aussi pour définir une pathologie. De quoi peut-il s’agir ? Si vous le savez, écrivez-le en cliquant sur Commenter cet article.

* Voir une brève biographie de Susan Brownell Anthony, née le 15 février 1820 et décédée le 13 mars 1906. Co-fondatrice, avec Élizabeth Cady Stanton, de la National Woman Suffrage Association, elle sillonne les États-Unis et l’Europe en donnant de 75 à 100 conférences par an pour les droits des femmes, pendant plus de 45 ans. Le 5 novembre 1872, le président Grant est réélu pour un second mandat. Susan Anthony est arrêtée et condamnée pour avoir tenté de voter. Aussi : "Trois mousquetaires au féminin : Susan B. Anthony, Elizabeth Cady Stanton et Matilda Joslyn Gage", par Élaine Audet. Enfin, dans Wikipédia en français.
** Une expression qu’emploie aussi Marie-Claude Lortie dans une chronique de La Presse sur l’abolition du registre des armes d’épaule.
*** On peut lire des articles sur les agissements passés du gouvernement Harper dans la rubrique Politique Canada.

Toutes les chroniques des Carnets de Sisyphe 2012 :

  • Quand on tolère la violence misogyne pour accommoder l’extrémisme religieux.
  • Le gouvernement Harper : danser sur les tombes.

  • Que faut-il célébrer le 8 mars 2012 ?
  • Les Carnets de Sisyphe 2002-2011.

    Mis en ligne sur Sisyphe, le 8 mars 2012



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  • Micheline Carrier
    Sisyphe

    Micheline Carrier est éditrice du site Sisyphe.org et des éditions Sisyphe avec Élaine Audet.



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  • Le gouvernement Harper : danser sur les tombes
    (1/1) 11 mars 2012 , par





  • Le gouvernement Harper : danser sur les tombes
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