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2003

Comment inciter les femmes à devenir des professeurs à l’université ?

par Nathalie Dyke, journaliste et auteure






Écrits d'Élaine Audet



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Depuis quelques mois, au Québec et au Canada, les universités commencent à faire face à un problème de recrutement de professeurs. Dans plusieurs disciplines, il manque de finissants docteurs pour combler les postes nécessaires afin de répondre aux besoins de la population étudiante qui ne cesse d’augmenter et aux départs à la retraite de toute une génération de professeurs. Or derrière ce début de pénurie se cache un autre problème. Même si certaines disciplines sont pratiquement devenues des " ghettos roses " tant la population étudiante est à dominante féminine et même si le ratio entre les hommes et les femmes chargés de cours est à peu près égal dans plusieurs universités, les femmes ne représentent que 30 % du corps professoral. Malgré les programmes d’accès à l’égalité en emploi, elles ne choisissent pas de faire carrière comme professeures d’université. Pourquoi et, surtout, comment les y inciter ?

Faire un doctorat

Entreprendre des études doctorales est un périple qui ne ressemble d’aucune façon à ce que les professeurs titulaires ont pu connaître il y a 35 ans. Aujourd’hui, la durée des études est en moyenne de près de six ans. Compte tenu des trajectoires multiples des jeunes, les candidats au doctorat sont pour la plupart dans la trentaine. Cet âge correspond exactement aux années où les femmes peuvent enfanter et construire une vie de famille, ce qui les oblige à faire des choix. Devant la charge et la nature du travail requis pour réussir ces études, certaines préfèrent quitter l’université, d’autres vont reporter leur projet d’avoir des enfants après l’obtention de leur diplôme, et de très rares vont tenter de concilier les deux en donnant 150% d’elles-mêmes.

De plus, le système actuel de financement des études oblige les étudiants au doctorat à persévérer dans des conditions très précaires, qui ne correspondent plus du tout au coût de la vie. Diplôme en poche, il n’est pas rare de devoir rembourser entre 20 et 30 000 $ en prêts au gouvernement. Cette absence de véritable soutien révèle aussi le peu de valeur que la société actuelle accorde à ce type d’études. Faire un doctorat est considéré comme un choix étrange. " Pour faire quoi après ? ", entend-t-on si souvent. Il y a 30 ans, les " Ph.D. " occupaient presqu’automatiquement les postes haut placés au gouvernement et dans les grandes entreprises. Aujourd’hui, la nouvelle garde se fraye un chemin autrement. En cours d’études, on réalise à quel point ce diplôme n’est pas gage d’un emploi en dehors du milieu universitaire. Dans ce contexte, en sciences humaines et sociales, seulement 45 % des étudiants persévèrent jusqu’à l’obtention de leur diplôme, alors qu’au départ ce sont les disciplines qui attirent le plus grand nombre de candidats au doctorat.

Les conditions de travail

Comme milieu de travail, l’université fonctionne désormais sous le règne de la performance. D’un point de vue administratif, cet objectif est fort louable, mais la création intellectuelle et l’enseignement se conjuguent mal avec l’idée de performance. Les grandes intuitions et les nouvelles idées surgissent dans des conditions particulières, difficiles à définir d’avance, souvent surprenantes. Et la qualité d’un enseignement passe avant tout par la capacité à établir une relation avec un groupe d’étudiants.

Si elle a déjà existé, l’image du prof d’université assis sur ses lauriers à contempler le monde du haut de sa tour est complètement révolue. Les nouvelles recrues sont surchargées de travail administratif, de cours à préparer, de subventions à demander, de recherches à produire et à diffuser, d’étudiants à encadrer et de collègues à gérer ! Il peut prendre aussi jusqu’à huit ans avant de pouvoir enseigner dans sa spécialité et l’agrégation dépend, non seulement du " rendement " fourni, mais aussi des bons rapports établis avec les pairs qui sont les premiers à la recommander ou non au doyen.

Conséquences ? La culture organisationnelle de ce milieu peut transformer l’université en véritable broyeuse et rendre certains professeurs malades. Le taux de détresse psychologique dans l’enseignement supérieur est très élevé. Certaines femmes - et de plus en plus d’hommes - vivent mal les pressions de cette culture. Pour plusieurs, leur rapport à la création intellectuelle sort du cadre dominant de la recherche scientifique pure et dure et, contrairement à d’autres, elles valorisent davantage l’enseignement que la quantité de publications à leur feuille de route. La non reconnaissance de leur travail mine leur estime d’elles-mêmes et éteint le plaisir d’œuvrer dans ce milieu.
Les femmes sont vulnérables aussi aux pressions de cette culture car elles continuent d’être plus présentes auprès de leurs enfants et de leurs parents vieillissants, y compris, dans certaines familles, auprès de leurs beaux-parents.

Des solutions

Pour inciter les femmes à entreprendre un doctorat, il faudra offrir un véritable soutien financier qui ne les endettera pas jusqu’à l’âge de 40 ans, réduire la durée et les exigences des études doctorales, garantir un meilleur encadrement et offrir des perspectives d’emploi. Sans ces conditions, les femmes vont définitivement choisir de faire autre chose de leur vie.

Une fois diplômées, ce ne sont pas les salaires, aussi alléchants soient-il, qui vont les inciter à choisir une carrière professorale, mais la possibilité de mener une vie équilibrée. Aujourd’hui, les femmes ne mettront pas de côté leur vie affective et familiale pour œuvrer dans le milieu universitaire. Elles ont vu leurs prédécesseures payer cher le prix d’une place dans ce milieu et refusent de suivre le même chemin. La vie nourrit la pensée. Il faut laisser aux professeurs, hommes et femmes, le temps de vivre, d’aimer, d’enfanter, de réfléchir, de lire, de débattre, de chercher et de diffuser les connaissances dans un cadre ouvert à la diversité.

Les solutions au problème de recrutement reposent alors sur la capacité de ce milieu à renouveler sa culture organisationnelle, à élargir sa conception de la création intellectuelle, et à revaloriser l’enseignement ainsi que la quantité de travail que cette tâche exige. Plutôt que d’alimenter, par des exigences de rendement de plus en plus élevées, la compétition qui prévaut présentement, il est temps de repenser en profondeur la distribution du travail pour faire plus de place à la coopération.

Comment diviser le travail alors ? Comment ne pas submerger les professeurs de tâches qu’aucun n’est capable de remplir à lui seul ? Faudrait-il créer deux ou plusieurs types de professeurs ? La question mérite d’être posée. Ce ne sont pas tous les professeurs qui deviennent de grands chercheurs et générateurs d’idées nouvelles. De la même façon, de très grands créateurs dans la société pourraient devenir d’excellents professeurs dans certaines disciplines sans nécessairement détenir un doctorat. Peut-être aurait-il lieu de revoir aussi ce système de " castes " et les exigences requises pour être professeur d’université ?
Chose certaine, l’université reste le lieu principal de la création intellectuelle dans la société. C’est là que les plus riches idées devraient émaner d’hommes et de femmes animés par le désir de vouloir réellement contribuer à l’avancement des connaissances sur la société et à l’amélioration de la vie humaine. Espérons que devant le problème de recrutement actuel, l’université ne ratera pas cette belle occasion qu’elle a de se redéfinir.

Cet article a été publié dans Le Devoir, le 26 février 2003. L’auteure en a autorisé la diffusion sur Sisyphe.

Mis en ligne sur Sisyphe le 3 avril 2002



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Nathalie Dyke, journaliste et auteure

Journaliste et auteure, Nathalie Dyke s’est beaucoup penchée ces dernières années sur des problématiques liées à la famille. Détentrice d’un doctorat (Ph.D.) en Sciences de l’éducation et d’une maîtrise en Sciences de la communication de l’Université de Montréal, elle est l’auteure d’une thèse sur l’expérience de devenir parent (à paraître) et co-auteure du livre " Cultures et paternités. Impact de l’immigration " aux Éditions Saint-Martin (2000). Communicatrice dans l’âme, cette journaliste se soucie de diffuser au grand public les connaissances en sciences humaines et sociales. Elle a publié plusieurs portraits, reportages, opinions et recensions dans Madame, Interface, Affaires universitaires et Le Devoir. Nathalie Dyke enseigne aussi au département des Lettres et communications de l’Université de Sherbrooke et prépare un essai sur les femmes et la création intellectuelle, subventionné par le Conseil des arts du Canada.



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  • > Comment inciter les femmes à devenir des professeurs à l’université ?
    (1/2) 14 décembre 2006 , par

  • la reproduction du champ academique aux universites canadiennes.
    (2/2) 18 octobre 2004 , par





  • > Comment inciter les femmes à devenir des professeurs à l’université ?
    14 décembre 2006 , par   [retour au début des forums]

    Cet article est très intéressant et dépeint plutôt fidèlement la réalité que j’ai observée au cours de mes études de deuxième cycle.

    Je le dis tout de suite : je ne suis pas une femme. Toutefois, je n’en ai pas moins décidé de ne pas entreprendre de doctorat et de plutôt faire une seconde maîtrise dans un domaine où il y a de l’emploi et où on ne me demandera pas de travailler 100 heures par semaine (la traduction), et ce malgré mes résultats (moyenne de 4,1, triple mention d’excellence pour le mémoire), qui dénotent certaines aptitudes pour la recherche.

    La raison ? J’ai envie de vivre un peu ; je n’ai pas envie non plus de me retrouver à 40 ans bardé de diplômes et sans aucune expérience "réelle" sur le marché du travail (car les employeurs ne semblent pas beaucoup priser l’expérience acquise dans le milieu académique, qu’ils considèrent souvent comme "une autre planète").

    C’est paradoxal, mais depuis que je ne suis plus étudiant en littérature, j’ai plus de temps que jamais pour lire les oeuvres dont j’ai envie ; et j’ai la liberté absolue de les choisir, mes lectures, ce qui est loin d’être le cas d’un doctorant qui doit se taper un océan de pages de théorie littéraire (pas toujours écrites par dens gens très brillants), sans compter les oeuvres à lire (qui doivent bien entendu relever de son champ de spécialisation — alors, si vous vous plaisez à lire le théâtre existentialiste même si vous avez choisi la période médiévale, car c’est là votre véritable passion, alors adieu Sartre pour au moins les dix prochaines années !) Qu’on ne se méprenne pas : j’ai adoré travailler sur "La Belle Dame sans Mercy", poème écrit par Alain Chartier vers 1424 ; j’ai tellement aimé lire cet auteur en français que j’ai appris le latin pour le lire dans la langue du "clerus litteratus" qu’il était. Mais cela veut-il dire que j’ai envie de toujours lire sur le même sujet (ou à peu près) pour les 10 ou 15 prochaines années ? Nenni gentes dames ! nenni gentils sires !

    Devenu "aptus ad latinum legendum", je suis bien sûr "tombé" dans les textes des poètes latins, écritures dans lesquelles j’aime bien encore "barboter" à l’occasion (pour reprendre l’expression qu’utilise Paul Valéry dans la préface de sa traduction des "Bucoliques" de Virgile, traduction rééditée récemment). Depuis longtemps je rêvais de lire Dante et Pétrarque dans leur langue ; eh bien tant pis pour les publications ! Andate via, publicazioni ! quest’anno imparai la dolce lingua e adesso posso leggere cose che mi piaciono moltissimo !

    Bon, il est bien possible que mon italien écrit (et parlé !) ne soit pas exempt d’erreurs, mais cela ne m’empêche en rien de lire cette langue. Si j’avais décidé de suivre la "voie du jeune loup" (qui est la bonne voie ces temps-ci), croyez-vous que j’aurais osé prendre le temps d’apprendre une nouvelle langue étrangère ? Je n’aurais même pas appris le latin ! (Car en cette époque de grande civilisation qui est la nôtre, même en sciences humaines, on peut désormais fort bien se dispenser des langues anciennes. Vae victis litteratis ! Vitam longuam** pulchramque viridibus ululantibus lupis universitum in omni mundo ! Mais il est vrai, cette langue dite "morte" est très mal enseignée quand elle l’est ; si je puis m’en servir aussi spontanément — ce qui me fait ressembler à un fantôme sorti du Purgatoire ; et à un "macaronique" car mon latin est celui d’un charbonnier de l’enfer —, c’est bien parce que je l’ai apprise, cette belle langue que je personnifie volontiers sous les traits d’une jolie "vestale-néréide et fille de la mer", comme on apprend une langue moderne. Car le cerveau — et quoi qu’en diront les latinistes puristes—ne fait pas de différence entre une langue "morte" et une qui est "vivante". Cela fait cinq langues que j’étudie et je n’ai pas remarqué de grandes différences quant aux mécanismes d’apprentissage ; tout indique que l’esprit absorbe les unités sémantiques par itération et finit tôt ou tard par "digérer" le tout.

    Pour la faire courte, je mène une vie que je trouve tout à fait stimulante et j’habite une ville (Québec) qui est vraiment très belle. Et si ça me chante, j’écrirai de nouveaux poèmes ou j’achèverai mon premier roman ; ou bien encore je concocterai quelque traduction littéraire inédite ! Et il me restera même du temps pour aller me détendre dans un café à deux pas du château Frontenac ! Pourquoi diable irais-je me foutre les deux pieds dans un doctorat qui exige tout et n’offre à peu près rien (niente dolce !/pas de gâteaux !) en retour ? Il est vrai par contre que s’abstenir de gâteaux fait maigrir ! Vivre avec moins de stress aussi !

    Gente lectrice, noble lecteur, si vous m’avez lu jusqu’ici, un grand merci pour m’avoir prêté la "troisième oreille".

    Ayez l’amabilité, je vous prie, d’agréer l’expression de mes meilleurs sentiments !

    Dominique Locas Maître ès Lettres UQAC.

    ** Les puristes, gens toujours utiles au public, qui voudront critiquer cet emploi de l’accusatif sont courtoisement priés de bien vouloir me faire la grâce de se reporter à la grammaire du latin de Bescherelle, sous la rubrique "accusatif d’exclamation". Je sais bien qu’il arrive à mon "néo-néo latin" de néophyte de pécher en eaux troubles, mais je crois qu’il était bien à propos d’y aller d’un accusatif d’exclamation ; cela fait plus vivant. Car l’auteur de ces lignes respire encore et se trouve encore assez jeune, à 34 ans, pour donner des cacahuètes à la Mort qui, en croquant un ou deux radis, l’attend pour souper — ce ne sont pas mes diplômes qui m’empêcheront de souper le soir, plutôt que de dîner, comme tout bon Québécois qui se respecte et qui respecte aussi ses ancêtres flamands, qu’il rejoindra toujours bien assez tôt — comme la bonne Mère qu’elle est.

    • > Comment inciter les femmes à devenir des professeurs à l’université ?
      22 novembre 2007 , par
        [retour au début des forums]

      J’ai lu tout ce débat avec intérêt. La critique de Leroux a beau être dure mais il me semble qu’il a raison sur au moins un point : Nathalie Dyke, en demandant que l’on embauche des femmes avec moins de compétences que les hommes tombent en quelque sorte dans le sexisme, dans la mesure où elle argue que nous ne sommes pas capables, nous les femmes, d’obtenir des carrières sans que l’on abaisse les critères d’embauche pour nous. Je crois que nous pouvons réussir à faire du travail solide au plan académique sans que l’on nous embauche à rabais, si je puis dire. Si un jour je deviens professeure d’université je veux que ce soit en raison de mes compétences et non simplement parce que je suis une femme. Qu’on relise le texte de Mme Dyke et on verra que, sur le fond, Leroux, malgré son langage corrosif, a raison. Sur le point que je viens d’évoquer à tout le moins.

      Sophie Germain
      Étudiante en science politique

      [Répondre à ce message]

    la reproduction du champ academique aux universites canadiennes.
    18 octobre 2004 , par   [retour au début des forums]

    Bonjour,
    le texte a ses points forts,notament les questions qui souléve et qui méritent d’etre bien etudiées du point de vue psychosociologique.je pense que pour mieux sesir la question ,il faut creuser dans la problematique de la socialisation des individus , leurs trajectoires personnelles et leurs representations par rapport au savoir.la distinction social basée sur la variable sexe est révélatrice des pratiques refoulées dans l’immaginaire de la societe.donc la reproduction du champ academique n’est qu’un meroire de cet environnement deja constuit...le rest est a descuter.
    k.karim.
    sociologue,chercheur .
    karim_2000_dz@yahoo.fr


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