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lundi 13 août 2012

Prostitution - Nos corps et nos esprits sont lourds de l’indicible

par Rebecca Mott, survivante et écrivaine






Écrits d'Élaine Audet



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Allocution donnée à Londres par Rebecca Mott, en juillet 2012, à un colloque de féministes radicales.

C’est un immense honneur pour moi que de prendre la parole ici à titre de femme qui a quitté la prostitution.

Je veux parler de l’usage de la langue, et de la façon dont celle-ci peut maintenir la classe prostituée dans une condition sous-humaine.

C’est l’usage de la langue qui ne perçoit comme « réelle » et outrageante la violence, devenue la norme pour les femmes et les filles prostituées, que lorsque celle-ci affecte des femmes et des filles non prostituées.


C’est la langue qui fait une distinction entre le monde de la pornographie et le monde réel.

C’est la langue qui imagine que la pornographie à base de torture est un nouveau phénomène, alors que celle-ci est inscrite dans les corps et les esprits de la classe prostituée depuis au moins 3000 ans.


Le traumatisme est une ombre constante planant sur les femmes sorties de la prostitution. Nous avons appris à nous y adapter en agissant comme si nous contrôlions les situations.

Nous réservons toute notre attention à bâtir la route abolitionniste.


Les formes extrêmes de torture mentale, physique et sexuelle étaient nos normes. Ce n’était pas seulement « beaucoup de viols ». Notre réalité ne correspond pas au langage du viol.


Notre langue tient le langage de la torture. C’est le langage du vol et de la destruction totale des droits humains fondamentaux des personnes prostituées.


Le commerce du sexe a pour but de réduire à une condition sous-humaine l’ensemble de la classe prostituée. Il fait des personnes prostituées des marchandises jetables après usage.


Pour comprendre les profondeurs du traumatisme des femmes libérées de cette condition, il est important de savoir qu’elles sont violées si souvent que cela n’est pas considéré comme un viol mais seulement comme leur routine.

Comment le langage du viol pourrait-il rendre compte de cela ?

Pour voir notre traumatisme, vous devez voir que les personnes prostituées sont transformées en objets vivants de pornographie. Que chaque nouvelle mode de la porno sadique est déversée dans nos corps et nos esprits.


Pour comprendre notre traumatisme, sachez qu’on nous considérait comme des marchandises jetables. Des marchandises sur lesquelles on pratiquait des expériences, pour voir combien de torture sexuelle nous pouvions supporter sans mourir réellement.


Nos corps et nos esprits sont lourds de l’indicible.


L’industrie du sexe prend pour acquis que les femmes qui la quitteront n’auront pas de mots pour exprimer leurs réalités – ou que, si nous arrivons à trouver ces mots, on ne nous croira pas, ou on se détournera de nous avec dégoût.


Nous n’avons pas d’autre choix que parler car nous ne nous laisserons pas refouler dans le silence.


Entendez que la seule façon dont nous avons pu survivre a été de nous transformer en mortes vivantes.


Sachez que nous réapprenons actuellement à être humaines.


Voyez que nous vivions dans un monde où nous avons appris à obéir. Nous nous sommes enseigné à simuler le bonheur quand nous vivions douleur et terreur.


Comprenez que nous ne pouvions pas savoir que nous avions un passé, et ne pouvions pas croire en un avenir. Nous vivions l’instant présent.


Nos voix sont étouffées par les menaces constantes des lobbyistes de l’industrie du sexe.

Il ne s’agit pas de simples « trolls » cachés derrière leurs ordinateurs – le lobby de l’industrie du sexe est principalement constitué de proxénètes et de prostitueurs. Elles et ils sont financés par ceux qui tirent profit de cette industrie du sexe et sont hautement organisés.


Ils ont tout le temps du monde pour détruire mentalement et réduire au silence les femmes qui ont quitté l’industrie.


Le lobby de l’industrie du sexe voit les femmes qui l’ont quittée comme des marchandises ayant échappé à leur contrôle.


Ils ne conçoivent aucunement ces femmes comme des êtres humains, et n’auront donc aucun scrupule à nous pousser au-delà du désespoir.


Ils ont pour objectif de repousser les femmes dans l’industrie du sexe ou de nous détruire complètement.

Ils sont en colère parce que nous ne sommes plus leurs esclaves.


Nos voix multiples ont terrifié le lobby de l’industrie du sexe, parce que l’on nous croit et que cette croyance impose des changements réels pour la classe prostituée.

Nous ne pourrons jamais cesser de parler avant que l’ensemble des personnes prostituées ne disposent de la véritable liberté.

Version française : Martin Dufresne

Texte original : "My Speech".

Mis en ligne sur Sisyphe, le 13 août 2012



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Rebecca Mott, survivante et écrivaine

Je suis une écrivaine britannique, survivante d’abus sexuels dans l’enfance et de la prostitution. Une partie de la maltraitance que m’a infligée mon beau-père durant mon enfance a été la violence psychologique de me faire regarder de la pornographie hyperviolente. Combinées à la violence sexuelle qu’il m’infligeait, ces images me faisaient ressentir que je n’avais d’autre valeur que celle de servir d’objet sexuel à un homme et que le sexe était toujours associé à la violence et à la douleur. À 14 ans, je suis tombée dans la prostitution et elle était extrêmement sadique. Je ne m’en suis pas détournée pas car j’éprouvais trop de haine de moi-même pour y reconnaître de la violence et du viol - j’avais l’impression que c’était tout ce que je méritais. J’ai fait de la prostitution entre l’âge de 14 ans à 27 ans et, la majorité du temps, les hommes qui m’achetaient tenaient à m’infliger des rapports sexuels très sadiques. Je me suis habituée à des viols collectifs, du sexe oral et anal violent, et au fait de devoir jouer des scènes de porno dure - cela devint mon existence. J’ai failli être tuée à plusieurs reprises, et fait beaucoup de tentatives de suicide, mais j’ai survécu. Quand j’ai réussi à quitter le milieu, j’ai effacé durant 10 ans la plupart de mes expériences. Ce n’est qu’après avoir dépassé le souvenir des violences de mon beau-père que j’ai trouvé l’espace mental pour me souvenir. Se souvenir de la prostitution est terrible, et je souffre d’un lourd syndrome de stress post-traumatique (SSPT). J’ai créé mon blog pour explorer mon SSPT à titre de survivante à la prostitution, pour réclamer l’abolition du commerce du sexe et pour faire état des conditions terribles de la prostitution vécue à l’intérieur. J’essaie d’écrire de la prose poétique, mais je crois que mon travail est de nature politique.



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