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lundi 22 octobre 2012

La pornographie ? Parlons-en

par Rebecca Mott, survivante et écrivaine






Écrits d'Élaine Audet



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Dédié à Julia Long - nous voulons toutes les deux la même chose, mais nous empruntons des chemins différents.

On parle partout de la pornographie, on la voit partout, la pornographie est le contexte de nos journées, elle envahit la nuit nos cauchemars pour s’approprier nos rêves.

Mais dans cette avalanche, il y a un silence de mort ; celui de toutes les voix des femmes et des filles qui se trouvent dans la pornographie – on n’entend pas de mots désigner leurs réalités.

C’est de ce silence que je veux parler.

Je ne parle pas de la « douleur » de ceux qui choisissent de consommer de la porno.

Je ne suis pas intéressée à chercher la porno mythique qui traite les femmes et les filles avec respect et dignité. Je ne pense pas qu’il existe de différence entre la porno lesbienne et hétéro : c’est toujours de la violence contre les femmes qui s’y trouvent, point à la ligne.

Les millions de justifications données pour la production de porno ne me troublent pas : ce que je vois clairement, c’est qu’elle est au service du profit et de la cupidité, par l’exploitation des femmes montrées dans la porno.

Je n’écris pas pour dire que la porno peut ou non faire du tort aux enfants et pervertir leurs perceptions de la sexualité – cela, on l’écrit partout.

Je n’écris pas sur les femmes dont les partenaires consomment de la porno et peuvent les traiter de manière pornographique. Je pense qu’elles devraient partir ou démolir l’ordinateur, mais si la seule raison qui vous fait détester la porno est qu’elle s’étend aux femmes et aux filles « véritables », j’ai beaucoup de mal à vous écouter sans devenir très en colère.

Voici quelques-uns des nombreux obstacles qui empêchent des femmes et des filles qui se trouvent dans le monde de la porno ou qui s’en sont échappées de faire entendre leur voix.

On dirait qu’il a été décidé que ces femmes et ces filles doivent être des sous-humaines au point de ne pas ressentir la douleur, de ne pas connaître la terreur, de ne pas savoir ce que peut être la torture. On dirait qu’il a été décidé qu’elles ne peuvent éprouver de désespoir.

On ne leur accorde pas le droit d’être considérées comme de « vraies » femmes, de « vraies » filles.

Oui, je vous entends dans la gauche, et chez bien des féministes libérales, affirmer que c’est faux. Eh bien, permettez-moi de vous rappeler de nombreux exemples de propagande haineuse utilisée pour maintenir les femmes et les filles à leur place. Tous ces propos viennent de la gauche et de féministes libérales :

« Ça n’est qu’un jeu, ce n’est pas de la véritable douleur ou terreur. »

Non, ce n’est pas du jeu : les consommateurs de porno veulent et exigent de voir de la vraie douleur, de la vraie dégradation, de la vraie terreur dans les yeux de la femme.

La douleur n’est pas que ponctuelle. Les scènes sont filmées et interrompues à plusieurs reprises, jusqu’à ce que son corps soit au-delà de l’épuisement. Quand son corps est déchiré, on essuie le sang ou on ne le montre pas ; quand elle crie, cela devient un « orgasme », ou un film réussi sur son avilissement.

« Ce sont là des cas extrêmes ; la majorité de la porno n’est pas violente, ce n’est que du sexe filmé. »

La porno n’est pas de l’érotisme ou de l’éducation sexuelle.

Le porno a toujours rapport avec de la violence et de la dégradation totale, infligée surtout à des femmes et des filles. C’est du sadisme organisé pour montrer aux consommateurs masculins que toutes les femmes et les filles ne sont rien d’autre que des morceaux de corps à baiser et à jeter.

La porno n’a de respect pour aucune femme ou fille, elle n’a pas de limites en montrant jusqu’où on peut aller dans la torture sexuelle des femmes et des filles.

Le porno est un guide sur la façon dont les hommes peuvent détruire les femmes – et elle le fait en disant qu’il n’y a là que du divertissement.

« Mais nous pourrions faire de la porno utopique – par exemple de la jolie porno sado-maso lesbienne, des récits porno agréables, de la porno agréable pour végétariens ou végétaliens, etc. »

Quand je réussis à arrêter de rire aux larmes, de rire amèrement, j’essaie de répondre sérieusement à ce genre d’absurdités.

Si vous faites de la porno avec des femmes et des jeunes filles réelles, cela ne sera jamais agréable. Quel que soit le genre de votre porno, il y aura une dynamique de pouvoir, il y aura de la violence sexuelle, il y aura le message que certaines personnes peuvent être avilies pour que d’autres personnes aient un orgasme.

Votre utopie est un enfer pour les femmes et les filles qui se trouvent à l’intérieur de la pornographie.

Je pourrais réfuter beaucoup d’autres prétentions, mais je veux parler dans ce texte des conditions qui règnent à l’intérieur de la porno.

Je vous dis qu’on n’y trouve pas de glamour, pas de route vers la célébrité ou la richesse, et qu’il peut être facile d’y entrer et presque impossible d’en sortir.

La porno est un poison pour son consommateur, mais le consommateur peut couper le courant.

Pour les femmes et les filles dans l’industrie de la porno, c’est un poison qui leur est injecté graduellement jusqu’à ce qu’il devienne leur sang et qu’elles ne puissent se rappeler du temps d’avant l’infection.

La plupart des femmes et des filles qui sont dans la pornographie habituelle (mainstream) proviennent de milieux où on leur a enseigné que leur seule fonction dans la vie est d’être un objet sexuel, un objet qui ne ressent aucune émotion, n’a pas de passé et ne peut connaître d’avenir.

En effet, l’industrie de la porno veut des femmes et des filles qui ont perdu accès à leur propre humanité et sont devenues faciles à manipuler.

Cela peut arriver parce qu’elles ont été abusées sexuellement dans l’enfance, parce qu’elles souffrent de toxicomanies, ou parce qu’elles sont arrivées à la pornographie après la prostitution sadique. Mais le résultat est que la plupart des femmes et des filles qui sont dans l’industrie de la porno habituelle sont des mortes-vivantes, avant même le début du tournage.

Il faut savoir que l’industrie de la porno manipule les femmes et les filles pour les amener à des relations sexuelles sadiques.

Les pornocrates le font en prétendant que la femme ou la fille peut « choisir » que certains actes sexuels ne lui soient pas faits – mais ils la poussent à ces actes en payant le prix fort, et la menacent de ne plus être embauchée à moins qu’elle dépasse ses limites.

Il est normal, dans la porno habituelle, que les femmes vivent de graves blessures, en particulier des blessures internes. Il est normal, dans la porno habituelle, que les femmes et les filles aient des maladies sexuelles chroniques. Il est normal d’être violée quotidiennement dans la porno habituelle. Il est normal que toutes les formes connues de torture soient infligées aux femmes et aux filles dans la porno habituelle.

C’est tellement normal que c’est redéfini comme du divertissement, présenté comme si cela devait refléter le choix des femmes et des filles d’y participer.

Est-ce que vous choisiriez d’être vous-même violée en groupe pendant des heures ?

Est-ce que vous choisiriez d’être vous-même sodomisée, la tête plongée dans un bol de toilette ?

Est-ce que vous choisiriez de vous faire rentrer de force une ou plusieurs queues dans la gorge, jusqu’à la nausée ou l’évanouissement ?

Et tout ça n’est que la pointe du gigantesque iceberg du sadisme normal de la porno habituelle.

Feriez-vous cela, en sachant qu’ils vont arrêter et inlassablement recommencer, à la recherche du bon angle et du bon éclairage, en déversant en vous de plus en plus de douleur, de confusion et de terreur ?

Voilà ce qu’est la porno - le feriez-vous ?

Texte original : Let’s Talk About Porn

Traduction : Martin Dufresne et Michèle Briand

© Tous droits réservés : Rebecca Mott



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Rebecca Mott, survivante et écrivaine

Je suis une écrivaine britannique, survivante d’abus sexuels dans l’enfance et de la prostitution. Une partie de la maltraitance que m’a infligée mon beau-père durant mon enfance a été la violence psychologique de me faire regarder de la pornographie hyperviolente. Combinées à la violence sexuelle qu’il m’infligeait, ces images me faisaient ressentir que je n’avais d’autre valeur que celle de servir d’objet sexuel à un homme et que le sexe était toujours associé à la violence et à la douleur. À 14 ans, je suis tombée dans la prostitution et elle était extrêmement sadique. Je ne m’en suis pas détournée pas car j’éprouvais trop de haine de moi-même pour y reconnaître de la violence et du viol - j’avais l’impression que c’était tout ce que je méritais. J’ai fait de la prostitution entre l’âge de 14 ans à 27 ans et, la majorité du temps, les hommes qui m’achetaient tenaient à m’infliger des rapports sexuels très sadiques. Je me suis habituée à des viols collectifs, du sexe oral et anal violent, et au fait de devoir jouer des scènes de porno dure - cela devint mon existence. J’ai failli être tuée à plusieurs reprises, et fait beaucoup de tentatives de suicide, mais j’ai survécu. Quand j’ai réussi à quitter le milieu, j’ai effacé durant 10 ans la plupart de mes expériences. Ce n’est qu’après avoir dépassé le souvenir des violences de mon beau-père que j’ai trouvé l’espace mental pour me souvenir. Se souvenir de la prostitution est terrible, et je souffre d’un lourd syndrome de stress post-traumatique (SSPT). J’ai créé mon blog pour explorer mon SSPT à titre de survivante à la prostitution, pour réclamer l’abolition du commerce du sexe et pour faire état des conditions terribles de la prostitution vécue à l’intérieur. J’essaie d’écrire de la prose poétique, mais je crois que mon travail est de nature politique.



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