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dimanche 26 mai 2013


À propos du genre
I. Qu’est-ce que le genre ? D’où vient la confusion qui l’entoure ?

par Debbie Cameron et Joan Scanlon, éditrices de la revue britannique Trouble & Strife






Écrits d'Élaine Audet



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II. Genre et sexualité : convergences et divergences du féminisme radical et de la théorie queer
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Lors d’un « féminaire » organisé à l’intention des membres du London Feminist Network (Réseau féministe de Londres) en mai 2010, Debbie Cameron et Joan Scanlon, éditrices de la revue britannique Trouble & Strife, ont animé un atelier au sujet du concept de genre et de sa signification pour le féminisme radical. Nous vous présentons une transcription révisée de leurs propos informels, sous le titre général “À propos du genre”, traduite par Annick Boisset et révisée par Martin Dufresne.

Cette transcription "À propos du genre" est présentée en deux parties :
I. Qu’est-ce que le genre ? D’où vient la confusion qui l’entoure ?
II. Genre et sexualité : convergences et divergences du féminisme radical et de la théorie queer.

***

Debbie Cameron : Le but de la discussion d’aujourd’hui est de tenter de déblayer une partie de la confusion théorique et politique qui entoure présentement le concept de genre. Il est probablement utile de commencer par se demander d’où vient cette confusion.

De nos jours, les conversations sur le « genre » achoppent souvent sur des problèmes parce que les personnes qui en parlent emploient le même mot en lui donnant en gros la même signification, alors qu’en y regardant de plus près, elles ne parlent pas des mêmes questions à partir de la même approche. Par exemple, quand nous avons lancé l’anthologie The Trouble & Strife Reader (1) à la Foire du livre radical d’Edimbourg, des étudiantes sont venues nous dire leur satisfaction de voir ce livre publié, mais aussi leur surprise qu’il y soit si peu question du genre. Pourtant, ce livre ne parle que de cela, du genre, au sens féministe radical du mot, soit les relations de pouvoir entre femmes et hommes, de sorte qu’à nos yeux, cette réaction était assez surprenante. Joan ne la comprenait tout simplement pas au départ. Pour ma part, j’ai compris ce qu’elles voulaient sans doute dire car je suis toujours universitaire, et à l’université, on entend beaucoup le mot « genre » utilisé de cette manière.

Voici la clé de l’énigme. Pendant les années 90, les théoricien-ne-s et activistes queer ont élaboré une nouvelle façon de parler du genre. Leur approche présentait bien sûr des points communs avec le vocabulaire féministe plus établi, mais elle présentait un accent différent ; une théorie différente la sous-tendait. Il s’agissait au fond de la théorie postmoderniste de l’identité, associée à la philosophe Judith Butler, bien que je doute que Butler elle-même dirait que les féministes n’avaient pas d’analyse critique du genre. Il découla de cette nouvelle approche des choix de politiques très différents. Pour les gens qui ont acquis leur formation dans ces années-là – soit en côtoyant la théorie féministe universitaire, soit en s’impliquant dans le système de pensée et l’activisme queer –, c’est le sens que prit le concept de « genre ». Ces personnes crurent ce qu’on leur avait dit, à savoir que les féministes des années 70 et 80 n’avaient pas d’analyse critique du genre, ou qu’elles n’avaient pas la bonne analyse, dans la mesure où leurs idées sur le genre relevaient de « l’essentialisme » plutôt que de « la construction sociale » de l’identité.

Ce n’est pas notre appréciation des choses, et nous verrons tantôt pourquoi. Mais commençons plutôt par comparer l’« ancien » concept, féministe, du genre et le plus « nouveau » concept qui a émergé de la théorie et de l’activisme queer des années 90.

Qu’est-ce que le genre ?

a. « Ancien » concept du genre
Il s’agit d’un système de relations sociales/de pouvoir structuré par une division binaire entre « les hommes » et « les femmes ». Le partage en catégories se fait habituellement sur la base du sexe biologique. Mais le genre tel que nous le connaissons est une réalité sociale plutôt que biologique (par exemple, la masculinité et la féminité ont des définitions différentes à différents lieux et différentes époques.)

b. « Nouveau » concept du genre
Il s’agit d’un aspect de l’identité personnelle/sociale, habituellement attribué à la naissance sur la base du sexe biologique (mais cette correspondance « naturelle » est une illusion – de même que l’idée qu’il doit exister deux genres puisqu’il y a deux sexes.)

Pourquoi ce système constitue-t-il une oppression ?

a. « Ancien » concept du genre
Parce qu’il est fondé sur la subordination d’un genre (les femmes) par l’autre (les hommes).

b. « Nouveau » concept du genre
Parce que c’est un système binaire rigide. Il oblige chaque personne à s’identifier soit comme un homme, soit comme une femme (c’est-à-dire pas ni l’un-e ni l’autre, pas les deux à la fois, pas quelque part entre les deux, et pas de façon complètement autre) et punit quiconque ne se conforme pas à cette règle. (Cela opprime les hommes et les femmes, et surtout les personnes qui ne s’identifient pas complètement au modèle prescrit pour leur genre).

Que serait une politique radicale du genre ?

a. « Ancien » concept du genre
Le féminisme : Les femmes se mobilisent pour renverser le pouvoir masculin et ainsi le système du genre dans son ensemble. (Pour les féministes radicales, le nombre idéal de genres serait... aucun.)

b. « Nouveau » concept du genre
« Le queer » : Femmes et hommes rejettent le système binaire, s’identifient comme des « hors-la-loi du genre » (c’est-à-dire, des queer ou des trans) et exigent la reconnaissance d’une palette d’identités de genre. (Dans cette perspective, le nombre idéal de genres serait... infini ?)

Il existe à la fois des similitudes et des différences entre ces deux versions. Dans les deux, le genre est relié au sexe, mais ce n’est pas la même chose ; dans les deux, le genre tel que nous le connaissons est un système binaire (il y a, à la base, deux genres) ; et les deux approches conviendraient sans doute que le genre est affaire de pouvoir ET d’identité ; mais elles diffèrent dans l’importance accordée à l’un et l’autre facteur. Ces deux versions diffèrent également parce que les adeptes de la version queer ne pensent pas en termes d’oppression des femmes par les hommes ; ils et elles considèrent que les normes de genre sont plus oppressives que le pouvoir hiérarchisé, et ils et elles veulent plus de genre plutôt que moins ou pas du tout.

Pour bien comprendre ces concepts et décider ce que vous en penserez, il est utile de connaître un peu d’histoire, l’histoire des idées féministes radicales et sexuelles radicales. Il y a trois questions principales que nous croyons utile d’explorer de façon plus détaillée :

1. Est-il vrai que le féminisme radical est ou était essentialiste dans sa conception du genre ?
2. Quelle est et était la relation entre la politique du genre et la sexualité ?
3. Qu’ont en commun le féminisme radical et la politique queer (aussi appelée gender queer), quelles sont leurs différences de base et quels sont leurs objectifs politiques respectifs ?

Le féminisme radical est/était-il essentialiste ?

Commençons par convenir d’une chose : il existe bel et bien des variétés essentialistes de féminisme, des courants de pensée pour lesquels, par exemple, le corps des femmes se voit assigné des pouvoirs mystiques, ou les hommes sont perçus comme naturellement mauvais ; certaines femmes qui souscrivent à ces idées pourraient se revendiquer ou être estampillées du label « féminisme radical ». Mais si l’on considère plutôt le féminisme radical comme une tradition politique qui a produit, entre autres, un corpus de textes féministes qui en sont venus à être considérés comme « classiques », on constate à quel point leur conception du genre a toujours été non essentialiste – ce qui peut surprendre, compte tenu de l’insistance avec laquelle on accuse les féministes radicales d’être essentialistes.

Afin d’illustrer ce point, j’ai assemblé quelques citations de femmes généralement reconnues comme les archétypes des féministes radicales, dont Simone de Beauvoir, que l’on considère souvent comme la fondatrice du féminisme moderne de la « seconde vague », avec son livre Le Deuxième sexe (publié pour la première fois en 1949, soit vingt ans plus tôt que l’éclosion de cette vague). Beauvoir n’avait rien d’essentialiste et, bien qu’elle n’utilise pas de terme équivalent à « genre » (un mot qui n’est toujours pas d’usage courant en français), nombre de ses commentaires sont axés sur la distinction entre l’aspect biologique et l’aspect social de la féminité. L’une de mes phrases favorites du Deuxième sexe, à cause son côté froidement sarcastique, est la suivante : « Tout être humain femelle n’est donc pas nécessairement une femme ; il lui faut participer à cette réalité mystérieuse et menacée qu’est la féminité. »

Une autre féministe des débuts de la « seconde vague », Shulamith Firestone, auteure de La Dialectique du sexe (1970), a souvent été taxée d’essentialisme (pour avoir émis l’hypothèse que la subordination des femmes avait sans doute trouvé son origine dans leurs fonctions reproductives et nourricières). Mais en réalité, Firestone ne voyait ni comme naturelle ni comme inévitable l’existence d’une hiérarchie sociale bâtie sur la différence des sexes. Au contraire, elle écrit dans La Dialectique du sexe :

« Et exactement comme le but final de la révolution socialiste n’était pas l’élimination du privilège de l’économie de classe, mais celle de la différentiation entre classes elle-mêmes, ainsi le but final de la révolution féministe doit être... non seulement l’élimination du privilège masculin, mais la distinction sexuelle elle-même : les différences génitales entre humains ne compteront plus culturellement. »

Dans les écrits légèrement postérieurs de la féministe radicale matérialiste Christine Delphy, le genre n’a de sens théorique qu’en tant qu’effet de rapports hiérarchiques de pouvoir ; ce n’est pas une différence préexistante sur laquelle ces relations de pouvoir seraient ensuite superposées. La position de Delphy peut sembler extrême aux yeux des féministes moins radicales, mais quoi qu’on en pense, elle ne pourrait guère être moins essentialiste. Comme elle-même le dit :

« Ce que seraient les valeurs, les traits ou la personnalité des individus, la culture d’une société non-hiérarchique, nous ne le savons pas et nous avons du mal à l’imaginer. (...) peut-être ne pourrons-nous vraiment penser le genre que le jour où nous pourrons imaginer le non-genre. » (2)

Les auteures que je viens de citer sont toutes des femmes qui « peuvent imaginer le non-genre »... et qui le font. Cette volonté de penser sérieusement à ce qui, pour la plupart des gens, y compris bien des féministes, est impensable – à savoir qu’un monde vraiment féministe serait un monde non seulement sans inégalités de genre, mais aussi sans distinctions de genre – cette volonté, dirons-nous, est un des marqueurs du féminisme radical, une des façons par lesquelles ce féminisme se distingue comme « radical ».

Un autre élément qui distingue le féminisme radical est la manière dont il relie le genre à la sexualité, et le genre et la sexualité au pouvoir. Les écrits de Catharine A. MacKinnon insistent fortement sur cette relation, comme le passage suivant de son livre Le féminisme irréductible (2005) :

« Dans la théorie féministe du pouvoir, la sexualité est marquée par le genre, de même que le genre est sexualisé. Autrement dit, la théorie féministe analyse comment l’érotisation de la domination et de la soumission crée le genre, la femme et l’homme, sous les formes sociales que nous connaissons. La différence des sexes et la dynamique de domination-soumission se définissent ainsi mutuellement. L’érotique est ce qui définit le sexe comme inégalité, donc comme différence significative. C’est là pour moi la signification sociale de la sexualité et la contribution spécifique du féminisme à la prise en compte de l’inégalité de genre. »

Ceci montre que certaines féministes radicales les plus connues ont adopté une conception non essentialiste de la sexualité aussi bien que du genre. En fait, un des comptes-rendus les plus radicalement non essentialistes ou anti-essentialistes que nous connaissons – une conception aussi radicale que celle de n’importe quel-le théoricien-ne queer par sa façon de rejeter l’idée d’identités sexuelles fixes et finies – vient de la féministe radicale Susanne Kappeler, dans son livre Pornography of Representation (1986) :

    « Dans une perspective politique, la sexualité, comme le langage, pourrait entrer dans la catégorie des relations intersubjectives : une question d’échange et de communication. Les relations sexuelles – le dialogue entre deux sujets – détermineraient, articuleraient une sexualité des sujets, tout comme les interactions du discours génèrent des rôles de communication entre les interlocutrices. La sexualité serait alors moins une question identitaire, celle d’un rôle fixé en l’absence d’une praxis, qu’une possibilité, dotée d’un potentiel de diversité et d’interchangeabilité, dépendant de façon cruciale d’un interlocuteur/trice, d’un autre sujet, et co-déterminée par lui. » (Notre traduction)

Nous expliquerons tantôt pourquoi nous pensons que les idées de ces féministes radicales au sujet du genre, de la sexualité, de l’identité et du pouvoir lancent en fait un défi beaucoup plus radical au statu quo que les idées des analyses queer.

 Lire la suite : "II. Genre et sexualité : convergences et divergences du féminisme radical et de la théorie queer.

Notes

1. http://www.bloomsburyacademic.com/
2. Christine Delphy, « Penser le genre », in L’ennemi principal, tome 2, pages 259-260, Paris, Éd. Syllepse, 2001.

 Original : Debbie Cameron et Joan Scanlon, « Talking about gender », dans Trouble and Strife, 2010.
 Traduction : Annick Boisset. Révision : Martin Dufresne

Les deux parties de cet article :
I. Qu’est-ce que le genre ? D’où vient la confusion qui l’entoure ?
II. Genre et sexualité : convergences et divergences du féminisme radical et de la théorie queer.

© Debbie Cameron et Joan Scanlon, mai 2013.

Téléchargez la version intégrale - les deux parties réunies - en cliquant sur le fichier word ci-contre.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 23 mai 2013.



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Debbie Cameron et Joan Scanlon, éditrices de la revue britannique Trouble & Strife



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