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jeudi 30 janvier 2014

Laïcité : la communauté LGBT a la mémoire courte

par Alban Ketelbuters, doctorant aux départements de Lettres et d’études féministes de l’Université du Québec à Montréal






Écrits d'Élaine Audet



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La Charte de la laïcité défendue par le gouvernement péquiste vise à promouvoir une conception citoyenne et républicaine de la nation, antinomique avec le multiculturalisme et a fortiori toutes les formes de communautarisme qui en résultent.

Comme le souligne la philosophe Élisabeth Badinter :

« Il y a eu depuis 20 ans un postulat de bonne éducation qui est le suivant : nous devons accueillir toutes les cultures, et nous devons recevoir et accepter toutes les traditions qui ne sont pas les nôtres. Ce qui, quand vous y réfléchissez, est complètement aberrant, et qui explique probablement en partie les réactions brutales et de rejet auxquelles on peut assister dans les sociétés occidentales, même les plus tolérantes [...] C’est parce qu’il était convenu que la tolérance n’avait pas de limites. Nous devions tolérer ce que nous jugions pour nous-mêmes intolérable. »

Le multiculturalisme attire l’attention sur ce qui nous différencie les uns des autres, la Cité n’étant plus qu’une somme infinie d’« accommodements raisonnables », ou plutôt déraisonnables, au profit de tel groupe ethnique ou confessionnel. A contrario, la laïcité - fille des Lumières - met l’accent sur ce qu’il y a de commun entre tous les citoyens et les citoyennes. Le rôle d’une puissance publique laïque est ainsi de promouvoir l’intérêt commun à tous et toutes par delà les particularismes, en traitant les citoyens et les citoyennes, quelles que soient leurs convictions spirituelles ou philosophiques, à égalité.

Le principe même de l’accommodement sous-tend l’idée qu’un citoyen ou une citoyenne peut se soustraire à la loi commune, s’y dérober impunément. À l’inverse, le principe de laïcité est fidèle à l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui stipule dans son article VI que « la Loi [...] doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». La politique désinvolte et laxiste, qui a conduit à la prolifération massive des accommodements, n’est-elle pas suffisamment calamiteuse pour prendre conscience du caractère apaisant et intégrateur de la laïcité ?

Dans un mémoire déposé par l’Association LGBT pour un Québec inclusif*, les signataires affirment qu’il est « légitime de craindre qu’un gouvernement qui attaque aussi facilement une minorité au nom de la majorité puisse éventuellement décider d’attaquer les droits de nos communautés ». Tout au long de sa campagne, le Parti québécois s’est engagé à faire adopter une Charte de la laïcité. Depuis le 4 septembre 2012, le gouvernement dispose de la légitimité démocratique pour mettre en œuvre son projet. D’autre part, l’idée selon laquelle la laïcité réduirait les droits des minorités - aujourd’hui les musulmans, demain les homosexuels - est particulièrement absconse.

Premièrement, comme l’a récemment rappelé Élisabeth Badinter :
« Nous assistons à un bouleversement de la notion de liberté. La philosophie des Lumières a défini la liberté de façon révolutionnaire : j’obéis aux lois que je me suis données et la minorité s’y soumet. Aujourd’hui, la liberté signifie : je fais ce que je veux. C’est-à-dire que j’obéis à mes envies, à mes désirs, mais pas nécessairement à la raison ni à la loi ».

Deuxièmement, la laïcité vise à favoriser l’universalisme par rapport aux particularismes, et la citoyenneté critique, c’est-à-dire l’indépendance d’esprit et la distance, sur l’appartenance communautaire : le citoyen pense d’abord par lui-même. La laïcité n’a jamais été un principe liberticide. Bien au contraire, elle protège la liberté de conscience et garantit l’exercice des cultes. Pourquoi la communauté LGBT - expression par ailleurs atroce - prétend-elle soudain le contraire ? Deux points méritent d’être soulevés.

D’abord, comme l’a très bien dit le philosophe Henri Peña-Ruiz, « l’adjectivation du concept de laïcité est expressive d’une sourde hostilité ». Les partisans de la laïcité « ouverte » ou « inclusive » défendent, quoi qu’ils en disent, le multiculturalisme. Ici comme en France, ces derniers méconnaissent la réalité sociale dont ils font sans cesse l’apologie. Nombre d’entre eux vivent dans des quartiers ethniquement, socialement et culturellement à la fois homogènes et privilégiés.

Ensuite, l’idée même de communauté homosexuelle doit être fortement critiquée. Entre un homosexuel toxicomane, sans domicile, contraint de se prostituer pour survivre et un homosexuel en bonne santé, qui jouit du confort matériel, de la sécurité professionnelle et de la reconnaissance sociale, il n’existe aucune ressemblance. Aucune. Les homosexuels communautaristes font de la sexualité le socle commun de ladite communauté. Ils ne pensent pas en termes de classe sociale ou culturelle.

Le professeur d’université blanc et riche, et l’immigré séropositif au chômage : même combat. Tel est, en substance, le message fallacieux des communautaristes, qui ne distinguent plus les vraies des fausses victimes.
Comment une partie des homosexuels peut-elle sciemment défendre le port des signes religieux ostentatoires dans les services publics, et la prééminence religieuse sur la neutralité de l’État ? Par leurs prises de position, les homosexuels « inclusifs » et leurs alliés, à l’instar de la présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) Alexa Conradi, tournent le dos au principe d’égalité. Contre un universalisme abstrait qui réunit tous les citoyens et les citoyennes par delà les particularismes, ces derniers s’accrochent à une vision du monde à la fois relativiste et différentialiste.

Cette « frange LGBT » qui abhorre le principe de laïcité devrait avoir honte de se désolidariser à ce point des homosexuels qui, en Afghanistan, en Arabie saoudite, au Qatar ou en Iran, pour ne prendre que ces exemples, rêveraient de vivre leurs amours en toute liberté dans une société laïque. Pendant que les communautaristes s’émeuvent de l’interdiction des signes religieux ostentatoires, combien d’homosexuels et de lesbiennes, considérés comme les rebuts du genre humain, subissent les arrestations, les humiliations, la prison, le fouet, les viols correctifs ou la peine de mort dans des pays où la religion fait loi ? Ces LGBT sont-ils et sont-elles chloroforméEs au point d’ignorer que les trois religions du livre condamnent l’homosexualité ? Qualifiée tantôt d’abomination, tantôt de pêché, est-il besoin de rappeler aux défenseurs inconditionnels du voile islamique que l’homosexualité est considérée comme un crime dans la plupart des sociétés arabo-musulmanes ?

En vérité, un abîme sépare les homosexuels universalistes des homosexuels « de communauté ». Alors que les premiers plaident pour une égalité de traitement de tous les citoyens et citoyennes au-delà des différences - ethniques, confessionnelles ou sexuelles - et aspirent à fonder une société progressiste, les seconds défendent la conception pré-révolutionnaire de la nation et le retour des tribus. Ils privilégient l’appartenance clanique sur l’intérêt général et font le jeu de tous les fondamentalismes.

Quatre décennies après la révolution sexuelle qui a irrigué l’Occident, nombre d’homosexuels et de féministes semblent prêts à tout pour défendre celles et ceux qui apparaissent comme leurs adversaires historiques : les ennemis de la pilule contraceptive, du divorce, du droit à l’avortement, de la décriminalisation de l’homosexualité, et plus largement de toutes les libertés conquises de haute lutte. Ce dévoiement est lamentable.

 Merci à l’auteur de nous avoir proposé son article pour publication sur Sisyphe.

* Des membres de la communauté LGBT se feront entendre sur la charte

Publié d’abord dans le
Huffington Post Québec
sous le titre de « Laïcité : la communauté LGBT a la mémoire courte »

Mis en ligne le 23 janvier 2014



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Alban Ketelbuters, doctorant aux départements de Lettres et d’études féministes de l’Université du Québec à Montréal



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