Le nouveau gouvernement du Québec, dirigé par le chef du Parti libéral M. Jean Charest, a été assermenté mardi le 29 avril à l’Assemblée nationale. Outre le premier ministre, le Cabinet Charest compte 24 ministres. Huit femmes en font partie, cinq ministres en titre et trois ministres déléguées. Pour la première fois dans l’histoire du Québec, le tiers des ministres sont des femmes. Six d’entre elles seront également responsables de leur région. Mais deux seulement occuperont des fonctions majeures au sein du nouveau gouvernement.
– Monique Gagnon-Tremblay (Saint-François) devient vice-première ministre, ministre des Relations internationales, de la Francophonie et responsable de l’Estrie.
– Monique Jérôme-Forget (Marguerite-Bourgeoys) est nommée présidente du Conseil du trésor, ministre de l’Administration gouvernementale, responsable de la région de Montréal.
– Line Beauchamp (Sauvé) devient titulaire du ministère de la Culture et des Communications.
– Françoise Gauthier (Jonquière) se voit confié le ministère de l’Agriculture, des Pêches et de l’Alimentation, et elle est responsable de la région du Saguenay-Lac-St-Jean. C’est la première fois dans l’histoire du Québec qu’une femme assumera le poste de ministre de l’Agriculture.
– Michèle Courchesne (Fabre) se retrouve à la tête du ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration et sera responsable de la région de Laval.
– Nathalie Normandeau (Bonaventure) devient ministre du Développement régional et du Tourisme.
– Julie Boulet (Laviolette), ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, est également ministre responsable des régions Mauricie et Centre-du-Québec.
– Carole Théberge (Lévis) devient ministre déléguée à la Famille et responsable de la région de Chaudière-Appalaches.
Compte tenu des fonctions importantes occupées par l’ex-ministre Mme Pauline Marois, le premier ministre Charest ne pouvait faire moins que de nommer une vice-première ministre. C’est Mme Monique Gagnon-Tremblay qui occupera cette fonction et dirigera en même temps le ministère des Relations internationales et de la Francophonie, un poste clé pour la visibilité du Québec à l’étranger.
Mme Monique Jérôme-Forget, critique des Finances dans l’opposition libérale depuis plusieurs années, devient titulaire du Conseil du trésor et de l’Administration gouvernementale. C’est à elle que le premier ministre confie le "grand ménage" dans l’appareil d’État que le Parti libéral a promis au cours de la campagne électorale.
Un cabinet aux souhaits des masculinistes
Le premier cabinet Charest plaira aux masculinistes dont le lobbying semble avoir été efficace. Plusieurs, dont le groupe L’Après-rupture, réclamaient depuis longtemps la suppression du Secrétariat à la condition féminine et la nomination d’un homme au ministère de la Famille. Ils ont obtenu satisfaction sur les deux points. Le Secrétariat à la condition féminine est présumément supprimé* et aucune ministre n’est nommée déléguée à la condition féminine. Peut-être le premier ministre Charest (qui aurait tort de croire que l’égalité hommes/femmes est chose faite dans la société québécoise) a-t-il préféré agir de la sorte devant la demande des masculinistes de créer un ministère de la condition masculine...
M. Charest n’a pas précisé qui sera en charge des dossiers des femmes. On suppose pour l’instant qu’ils relèveront de la ministre des Relations avec les citoyens et de l’Immigration. En effet, dans son discours, M. Charest a confié à la ministre Michèle Courchesne, titulaire de ce ministère, les fonctions de faire « respecter les droits des Québécois. Vous ferez avancer la cause d’une femme, vous accueillerez un nouveau Québécois, vous protégerez une personne sans défense. » Si cela s’avère, il faut s’inquiéter de cette façon de masquer les inégalités dont les femmes font encore les frais en noyant les dossiers de la condition féminine dans le "melting-pot" des droits citoyens.
Des promesses à tenir
M. Charest ne s’était pas beaucoup engagé envers les femmes au cours de la campagne électorale. Il faut dire que la rebuffade servie aux groupes de femmes par le chef péquiste, M. Bernard Landry, avait incité ces groupes à adopter un "profil bas" et dispensé le chef libéral, comme le PQ d’ailleurs, de courtiser l’électorat féminin. Rappelons toutefois au nouveau premier ministre deux de ses promesses.
Premièrement, il s’est engagé à verser la somme de 30 millions$ sur trois ans que réclamaient depuis longtemps les centres d’hébergement et d’aide aux femmes et enfants victimes de violence. Un espoir : dans l’entrevue qu’il a accordée au "Point", à Radio-Canada, le ministre de la Santé et des Affaires sociales, M. Philippe Couillard, a mentionné l’aide à apporter aux femmes victimes de violence parmi les priorités immédiates de son ministère.
Le programme du Parti libéral promettait également une intervention auprès du ministère fédéral de la Justice dans le projet de réforme de la Loi sur le divorce : « Dans le cadre de la réforme de la Loi sur le divorce, peut-on lire, [de] faire les représentations nécessaires auprès du gouvernement fédéral afin que certaines réalités soient prises en compte dans la détermination de la garde de l’enfant dans les cas de violence conjugale, et ce, afin d’assurer la sécurité des femmes et des enfants. » Le ministre de la Justice et le ministre de la Famille pourront-ils prendre connaissance des dossiers pour intervenir à temps dans le projet de réforme du droit de la famille (C-22) qui pourrait être adopté par Ottawa avant la fin de la session des Communes ? (Voir le texte de Martin Dufresne).
Quel sera le sort du Conseil du statut de la femme, une autre cible de la charge masculiniste contre les féministes ? Souhaitons que M. Charest n’ait pas confié à Mme Monique Jérôme-Forget le rôle de fossoyeure de cet organisme et des programmes destinés à promouvoir l’égalité des femmes. Les messages sous-entendus de la composition du Cabinet Charest n’ont rien de rassurant. L’indélicatesse dont a fait preuve le nouveau premier ministre en présentant son discours tout au masculin dénote peu de sensibilité aux changements provoqués par le mouvement féministe au cours des dernières décennies.
Enfin, il faudra surveiller d’autres secteurs qui touchent également de près la condition des femmes : l’application de la Loi pour l’élimination de la pauvreté, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale à la fin de l’année 2002 ; les places à 5$ dans les garderies que le PLQ s’est engagé à maintenir ; la révision des programmes de soutien aux travailleuses à faible revenu parmi lesquelles se retrouvent beaucoup de "mères monoparentales" dont le programme du Parti libéral a promis de reconnaître "l’effort social supplémentaire" ; et une éventuelle réforme des institutions et du mode de scrutin qui pourrait avoir une influence sur la représentation des femmes au sein de le l’État.
* NOTA BENE
Mieux vaut tard que jamais
Dans un communiqué émis le 1er mai, la ministre des Relations avec les citoyens et (citoyennes) et de l’Immigration, Madame Michèle Courchesne, a annoncé que le Secrétariat à la condition féminine et le Conseil du statut de la femme relèveraient de son ministère. Lors de la présentation de son cabinet, le 29 avril dernier, le premier ministre M. Jean Charest n’avait pas nommé de ministre responsable du Secrétariat à la condition féminine et du Conseil du statut de la femme, laissant présumer du sort de ces organismes.
« Je suis très heureuse que le dossier de la condition féminine ait été revalorisé en étant intégré à la grande mission des relations entre l’Etat et les citoyens, a dit mme Courchesne. Les Québécoises peuvent être fières que ce dossier soit confié à un ministère dont les responsabilités sont de promouvoir les droits et libertés de la personne, de favoriser l’exercice des responsabilités civiques et sociales et de valoriser la solidarité. Je tiens à assurer les Québécoises de mon engagement sincère et entier envers la cause des femmes. Je travaille dès aujourd’hui à notre épanouissement collectif », a précisé la ministre.
Pas sûr que le dossier de la condition féminine ait vraiment été « revalorisé » en étant intégré au ministère des Relations avec les citoyens et citoyennes... il peut être aussi noyé... Mais donnons la chance à la coureuse et faisons-lui confiance.
Peut-être cette décision a-t-elle été prise après coup, à la suite de protestations de groupes de femmes. Quoi qu’il en soit, mieux vaut tard que jamais, et "l’oubli" est maintenant réparé.
Bonne chance Madame la Ministre.
Voir communiqué du ministère.
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