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samedi 20 septembre 2014

Iran - Voile, mensonge et libertés furtives

par Chahla Chafiq, écrivaine et sociologue






Écrits d'Élaine Audet



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En Iran, malgré les millions dépensés par les islamistes au pouvoir pour la propagande pro-voile et l’application des châtiments en cas de port du « mauvais voile » (à savoir, le port du voile de manière non-conforme aux règles imposant de se couvrir intégralement les cheveux et le cou, le tout assorti de vêtements qui cachent le corps), la résistance des femmes ne cesse de se développer.

Des femmes portant « le mauvais voile », nommées bad-héjab(s), et dont le nombre s’accroît chaque année, sont la cible d’attaques permanentes du régime qui mobilise ses forces pour les réprimer.

Ces derniers jours, avec la publication de photos et de paroles de femmes qui retirent leur voile dans l’espace public dès que la surveillance policière se relâche, la page internet Azadi haye yavashaki (Libertés furtives), créée par Masih Alinejad, une journaliste iranienne en exil, connaît un succès phénoménal.
Au-delà du mauvais voile, cette page offre-t-elle une réelle possibilité d’aller plus loin et de protester, plus globalement, contre l’obligation du port du voile ?

Pour répondre à cette question, je commencerai par l’exemple significatif des mesures mises en place par le régime iranien pour assurer la non-mixité sur les plages. Ces mesures portent l’ambition de voiler à la fois les femmes et la mer. Cela peut paraître surréel, mais ce n’est qu’une réalité qui souligne les profondes contradictions de l’imposition du voile et de la non-mixité à une société où les frontières sexuées traditionnelles ont été, depuis des décennies, largement franchies.

La mer voilée

Sur les plages, un rideau sépare l’espace des femmes de l’espace des hommes ! Et même dans l’espace et pendant les horaires réservés aux femmes, celles-ci ne peuvent porter de maillot de bain. Elles doivent garder leur voile même dans l’eau.

Dans son roman, La Lenteur (1995), à l’occasion d’une scène qui se passe au bord d’une piscine, Milan Kundera écrit : « Quand les gens en maillot se jettent dans l’eau, c’est la joie elle-même qui se montre dans ce geste, nonobstant la tristesse éventuelle des plongeurs. Quand quelqu’un saute dans l’eau habillé, c’est tout autre chose : ne saute tout habillé dans l’eau que celui qui veut se noyer ».

Comment interpréter alors ces gestes d’Iraniennes qui plongent dans la mer, non seulement habillées, mais voilées ?

Poursuivons la réflexion de Kundera : l’image d’une femme enveloppée dans un voile, au milieu des flots, ne reflète aucune joie, mais évoque plutôt un état d’étouffement, comme si elle se noyait. Cependant, et paradoxalement, que des femmes iraniennes continuent à se jeter à l’eau dans ces conditions, est la marque d’un acte de résistance pour vaincre la mort ; un acte associé à un triste plaisir, celui de sentir l’eau qui traverse le voile, le dépasse et caresse la peau.

Les Iraniennes ont mille et un gestes pour dire ce plaisir et contredire ainsi l’ordre que le voile est censé représenter. Si la République islamique a fait de l’islam une idéologie d’État et du voile son étendard, le port du « mauvais voile », massivement développé en Iran, est un phénomène qui cristallise toutes les contradictions de la vie sous cet ordre totalitaire. Dans un contexte où il n’existe pas la moindre marge de liberté pour protester, les manières indirectes pour dire « non » gagnent du terrain et se déploient. Le phénomène du « mauvais voile » en est une des plus significatives.

Par conséquent, la guerre entre les femmes bad-héjabs et les gouvernants est inévitable et crée chaque jour de nouvelles occasions de confrontation. En même temps, il convient de ne pas oublier que cette guerre permet au pouvoir de maintenir son contrôle et de rappeler chaque jour à la population l’omniprésence de sa force de répression, face à laquelle toute résistance pourrait sembler vaine.

La République islamique, à l’instar de tous les régimes totalitaires, emploie toutes ses forces à rendre les citoyens impuissants. Le règne du mensonge est une de ses stratégies les plus efficaces. D’où ce dédoublement schizophrénique des conduites des Iraniens et Iranniennes dans l’espace privé et public, fait historiquement encouragé en Iran par le despotisme, mais qui connaît un élargissement et un renforcement spectaculaires sous le régime islamiste. En imposant son modèle idéologique, ce régime a transformé les libertés individuelles en délits anti-islamiques ; et, lui faisant front, l’intérieur des maisons se transforme en lieux politiques d’exercice des libertés, pendant que l’espace public devient le lieu du règne de l’autocensure et du canular.

Si le port du « mauvais voile » défie la culture du mensonge qui s’impose à la société et l’imprègne, la mise en scène des actes et des paroles exprimant ces « libertés furtives » va plus loin sur le chemin de la déconstruction de l’ordre de la censure et de l’autocensure. Elle incarne de manière plus directe la volonté de dire « non » à l’ordre totalitaire.

 Publié initialement le 19 juin 2014 dans le site de l’auteure, que nous remercions de sa collaboration. On peut lire d’autres textes de l’auteure dans son site.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 22 juin 2014



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Chahla Chafiq, écrivaine et sociologue



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