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jeudi 15 mars 2007 Libre Échange et Gazette des femmes Quand viol, porno et prostitution deviennent "tendance"
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Les médias ont toujours accordé une place de choix aux déclarations en faveur de la décriminalisation totale de la prostitution, c’est-à-dire de la légitimation des proxénètes, des clients prostitueurs, des bordels de toute sorte. Ils parlent de "travailleuses du sexe", normalisant et banalisant ainsi cet esclavage, même s’ils savent qu’il ne peut s’agir de choix quand l’âge moyen d’entrée dans la prostitution est de 14 ans et que la majorité de celles qui sont prostituées disent qu’elles voudraient s’en sortir si elles en avaient les moyens. Toutefois, on ne s’attend vraiment pas à entendre ce même discours à une émission de Télé-Québec visant à souligner la Journée internationale des femmes. Ni à l’entendre de la bouche de Suzanne Lévesque, animatrice de l’émission culturelle Libre Échange, des chroniqueuses Geneviève Saint-Germain, Hélène Pedneault, Rafaële Germain et de la comédienne Françoise Faucher, toutes louangeant l’essai King Kong théorie (1) de Virginie Despentes auquel est consacré leur table ronde. Cette auteure a fait ses preuves avec le livre et le film Baise-moi. La peur de se démarquer En utilisant son autobiographie comme démonstration (viol à 17 ans et prostitution quelques années plus tard), Despentes renverse la donne et, plutôt que de vivre dans la honte et l’exclusion, propose de ne pas se laisser terrasser par le viol, qu’elle considère comme un risque inhérent à la condition des femmes, et de faire de la porno et de la prostitution la voie actuelle de la libération "féministe". Comme les chantres du "travail du sexe", elle puise son inspiration chez Camille Paglia, Gail Pheterson ou Judith Butler et, comme elles, déclare ne pas vraiment voir la différence entre "la prostitution et le travail salarié légal, entre la prostitution et la séduction féminine, entre le sexe tarifé et le sexe intéressé..." Pour Paglia, "les aspects incontrôlables de la sexualité masculine sont ce qui la rend si excitante. [...] Tout viol est érotique. Tout viol est sexuel." (2) Les chroniqueuses de Libre Échange ne tarissent pas d’éloges sur King Kong théorie présenté comme un manifeste du "nouveau féminisme". Suzanne Lévesque en parle comme d’une œuvre qui remet le féminisme sur la carte et en finit avec le discours de victimisation des femmes. Hélène Pedneault affirme que ce livre ébranle fortement ses convictions abolitionnistes qu’elle devra passer au crible, Françoise Faucher, tout en critiquant certains excès de langage, se dit aussi éblouie par la liberté de l’auteure et en faveur de la légalisation des bordels, pendant que Rafaële Germain déclare avoir été depuis toujours en faveur de la décriminalisation de la prostitution. Qui dit mieux ? Ne sont-elles pas au courant que la traite des femmes et des enfants des pays les plus pauvres de la planète alimente les réseaux de prostitution locale, y compris au Canada, et que seule une infime minorité de femmes prostituées ont "choisi" leur situation, généralement celles qui, comme Virginie Despentes, ont la possibilité d’en sortir n’importe quand ? Que diraient-elles si leur fille, leur soeur, leur amie "choisissaient" ce soi-disant métier ? Voilà le discours que ces journalistes, qui se considèrent probablement féministes, ont proposé à la réflexion des femmes en ce 8 mars : l’acceptation du viol comme inhérent à la condition des femmes, le choix de la porno et de la prostitution comme riposte et style de vie libéré. Quand on n’a pas le courage de se démarquer des rapports de pouvoir patriarcaux et de l’antiféminisme ambiant, on présente la participation à sa propre oppression et l’érotisation de la violence comme très "in". Tout faire pour correspondre au désir masculin Il est de bon ton et payant aujourd’hui d’adopter le "look pute", qu’on retrouve en page couverture du numéro de mars de la Gazette des femmes pour illustrer "la tendance pitoune". On nous y apprend que des femmes "éduquées, pas bêtes, majeures et informées" prennent des cours de striptease, de pole dancing, et de fellation. On les aide ainsi à entrer en contact avec "leur pute intérieure". Sous prétexte de se décomplexer et d’étendre son pouvoir (empowerment), des cours de toute sorte sont donnés aux femmes pour mieux répondre aux fantasmes sexuels des hommes. Au nom de "l’objectivité journalistique", Danielle Stanton consacre plus de trois pages abondamment illustrées à cette tendance avant de reconnaître que "tout le monde n’est pas du même avis" et de donner la parole à des chercheuses féministes. Ainsi, la psychologue Louise Cossette constate que les femmes qui adoptent un tel comportement ne font que "reproduire un imaginaire entièrement masculin". Quant à Ginette Plamondon, qui effectue une recherche sur la sexualisation de l’espace public pour le Conseil du statut de la femme, elle y voit "une sexualité de performance typique de la pornographie" d’où l’intimité et la réciprocité érotiques sont totalement absentes. Ce n’est pas la première fois que la page couverture de la Gazette des femmes fait écho au discours antiféministe sous forme d’interrogations du genre "Hypersexualisation des filles - Échec du féminisme ?" ou encore "Unisexe, la violence ?" C’est une pratique accrocheuse qui, en renvoyant dos à dos deux discours inconciliables, évite de prendre position et d’agir pour changer les choses. Faut-il s’étonner que le CSF n’ait pas pris position sur la prostitution après avoir affirmé, dans un rapport publié en 2002, que 92% des femmes prostituées voudraient quitter ce commerce ? Pour ne pas déplaire à qui ? Notes 1. Virginie Despentes, King Kong théorie, Paris, Grasset, 2006. Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 mars 2007. – Lire plusieurs autres articles d’Élaine Audet sur la prostitution sur le site Sisyphe.org. |