Procès du Carlton : le cri de colère de «Jade», ex-prostituée

En ce deuxième jour de procès de l'«affaire du Carlton», le témoignage de «Jade», une ex-prostituée, a ému le tribunal correctionnel de Lille (Nord). L'ancienne escort-girl implique clairement René Kojfer et «Dodo la Saumure». Elle évoque également rapidement les rencontres avec l'ex-patron du FMI, Dominique Strauss-Kahn.

Le procès de l'«affaire du Carlton» s'est ouvert lundi pour trois semaines. Quatorze prévenus doivent être entendus.
Le procès de l'«affaire du Carlton» s'est ouvert lundi pour trois semaines. Quatorze prévenus doivent être entendus.
(AFP / PHILIPPE HUGUEN)

    A

    , elle est venue s'asseoir avec trois autres femmes sur les bancs des parties civiles, les cheveux masqués d'une perruque claire, une fine paire de lunettes sur les yeux. De nationalité belge, ancienne employée dans l'un des clubs de Dodo la Saumure, «Jade» est avec Mounia l'une des «escorts» dont le témoignage pèse lourd dans

    Ce mardi, alors que le tribunal correctionnel de Lille (Nord) entamait l'examen des faits par le volet du «groupe hôtelier» - soit le trio constitué par René Kojfer, ancien chargé de clientèle du Carlton, et ses ex-dirigeants Francis Henrion et Hervé Franchois - Jade, interrogée par le président Bernard Lemaire sur son parcours, a livré un récit poignant de ce «passé» de prostituée dont elle est aujourd'hui sortie.

    «On ne choisit pas»

    «J'ai commencé en 2007, après un gros souci financier, mais il y avait des périodes d'arrêt. J'avais deux enfants, trop petits pour être scolarisés. Je me suis dirigée vers des activités parallèles en répondant à une annonce dans un journal. Je ne supporte pas l'expression d'argent facile parce que parfois, il peut l'être mais parfois non», commence par clarifier Jade. Et de poursuivre : «Moi, ça me permettait de m'occuper de mes enfants. Je travaillais la nuit, je m'occupais d'eux le jour. Je donnais surtout beaucoup d'argent à l'avocat pour payer mon divorce.» Elle insiste: «On ne choisit pas cette situation, j'en suis persuadée. Je ne me suis jamais acheté des sacs ou des bottes de marque. Et quand j'avais assez d'argent, je retournais travailler pour des boites d'intérim.»

    Le président l'interrompt : «Vous avez pourtant une excellente formation, vous parlez trois langues. Pourquoi? Comment avez-vous franchi le pas?» Jade répond en pleurant: «J'étais acculée, ma fille avait sept mois... J'ai ouvert le frigo, ce frigo était vide. Je me suis dit qu'il fallait que je me lance. J'avais rendez-vous avec un chauffeur, sur l'autoroute... Il a fallu qu'on s'arrête parce que... J'étais morte de trouille. Voilà comment j'ai mis le pied là-dedans.» La salle écoute attentivement lorsque vient le moment d'évoquer le Carlton.

    «Nous, on était le dessert»

    Jade précise alors comment elle a été amenée à rencontrer René Kojfer

    (l'ancien responsable des relations publiques du Carlton, ndlr)

    , et à venir travailler à Lille, trois ou quatre fois, dans un appartement contigu à l'hôtel. A l'époque, elle était employée par «Dodo-la-Saumure» dans l'un des clubs belges du souteneur. «René, je l'ai connu dans un bar de Dodo puis au club Madame de Ronai où il venait avec des amis. Je suis quelqu'un de jovial, et lui aussi. On était un peu les gais-lurons de la bande, lui chez les garçons, moi chez les filles». Pour ces après-midi lillois, payés 200€ en liquide, c'était la gérante du lieu où elle travaillait qui disait: «Il me faut trois filles pour aller à Lille».

    Jade, qui emmenait les autres escorts en voiture, implique nettement Kojfer et les deux autres: «A l'arrivée, on passait par le parking. C'était René qui nous faisait monter. Tout était déjà prêt. Souvent, il y avait un grand pain garni et des bouteilles de champagne. Plusieurs messieurs, pas toujours les mêmes, qui étaient là n'étaient pas plus nombreux parce qu'il n'y avait pas beaucoup de matelas. Il fallait que ça tourne.» Elle assure pourtant que ces prestations-là lui offraient «une récréation» et surtout «la certitude d'une rémunération». «On vous offrait le déjeuner?» demande le président. Jade: «Oui voilà, et puis nous on était peut-être le dessert.» Elle précise: «Une seule fois, René a payé. Il a dit «les temps sont durs» et il n'a donné que 120€. Mais on a reçu un peignoir blanc.»

    L'identité de DSK découverte dans les journaux

    Interrogée sur son éventuel ressentiment envers ces trois personnes, elle admet: «En tous cas, c'était classe, pas une grosse boucherie, pas une ambiance où on se sent diminués. On était pas reçues sur le coin d'une banquette mais dans un cadre plutôt agréable.» En revanche, précise-t-elle, «pour les autres (l'autre groupe de prévenus, via qui elle s'est retrouvée dans les rencontres avec DSK, ndlr), je leur en veux parce qu'ils ne m'ont pas dit qu'ils me présentaient à quelqu'un de public.»

    Jade explique avoir découvert l'identité de DSK dans les journaux. «Mon activité de prostituée, la dernière fois c'était en 2010. Maintenant j'ai un travail, un logement. Ca sert à quoi? Je ne comprends pas... Maintenant, tout le monde sait qui je suis». Elle dit sa «panique» et sa «colère», elle qui n'est parvenue à prévenir ses proches et à révéler son passé à ses enfants «il y a une semaine» seulement.

    «Je ne peux pas estimer la hauteur des dégâts que ça peut créer... Hier soir, on était toutes les quatre, un peu démunies. On a l'impression d'être beaucoup plus petites que les autres... On entend qu'il s'agissait «d'adultes consentants», que les filles étaient là parce qu'elles le voulaient bien ou qu'elles «aimaient ça» mais non, ce n'est pas ça...»

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