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mardi 3 avril 2007

La télé, complice de la pandémie d’obésité chez les enfants

par Jacques Brodeur, consultant en prévention de la violence






Écrits d'Élaine Audet



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On entend de plus en plus parler d’obésité car la pandémie touche un nombre croissant d’enfants (1). L’obésité dépend des calories avalées et des calories brûlées. La télé pourrait-elle contribuer au phénomène ? Il y a 25 ans, les enfants se sont mis à manger plus et à délaisser l’exercice. Pourquoi ?

Assis devant la télé

La télé exerce une influence majeure, et pourtant ignorée, sur le phénomène croissant de l’obésité en Amérique du Nord. Les responsables de santé publique des États-Unis et du Canada ont maintes fois sonné l’alarme et de nombreuses études ont retracé le lien de cause à effet entre télé et obésité. Malgré cela, le guide alimentaire et les dossiers ...télévisés osent à peine y faire allusion.

Comme peu de spectateurs ont pris l’habitude de regarder la télé sur une bicyclette stationnaire, la télé réduit le temps disponible pour l’activité physique. Les enfants ont besoin d’au moins une demi-heure d’exercice par jour. Le temps consacré à l’éducation physique à l’école est insuffisant et cette préoccupation reçoit peu d’écho à la maison. Un régime d’activités physiques plus copieux rapporterait des bénéfices à court et à long terme. Plus inquiétant, il a été démontré que l’exposition à la télé abaisse le métabolisme plus que lire, flâner, ou même dormir. Nos enfants brûlent plus de calories dans un hamac que devant un film. Comment a-t-on pu nous cacher les résultats de ces études ?

Grignoter

La télé ne se contente pas de la soumission passive de son jeune public (2). Elle le fait aussi grignoter et les annonceurs le savent. Un sondage auprès d’élèves d’une douzaine d’écoles primaires du Québec et de l’Ontario indique que les produits le plus souvent grignotés sont le maïs, les croustilles, le chocolat et les bonbons. Ajoutons une boisson gazeuse et on obtient un cocktail qui conduit directement à l’obésité.

Gardienne qui abuse

Les enfants nord-américains conversent avec leurs parents durant un piètre 38 minutes par semaine (3). Ils sont de plus en plus nombreux à se retrouver seuls devant la télé, surtout lorsque cette dernière trône dans leur chambre (4). C’est là qu’ils nourrissent leurs émotions. Les enfants mangent de moins en moins en famille et cela aussi influe sur leur alimentation. La télé a remplacé l’affection des parents et peu d’entre eux se méfient de cette gardienne et des comportements qu’elle cultive. Cette disparition du repas en famille réduit les échanges et on ne devrait pas s’étonner que les parents se sentent impuissants à encadrer l’alimentation des enfants. Ils démissionnent.

Manipulation publicitaire

Enfin, il y a la pub qui occupe près de 20% du temps de télé. Les dix produits alimentaires les plus annoncés à la télé sont de gros porteurs de calories. L’alimentation malsaine a belle apparence à la télé parce que ceux qui la proposent savent en cacher les conséquences. Ils ont recours à des experts pour faire désirer leurs produits aux enfants et camoufler leur nocivité. Les agences de marketing font des affaires d’or en aidant les industries alimentaires à manipuler les enfants. Pire, elles incitent ces derniers à harceler leurs parents. Avez-vous remarqué comment le parent soucieux d’alimenter sainement son enfant est présenté à la télé comme une personne autoritaire, dépassée et ridicule ? La pub nous présente les enfants comme des petits malins lorsqu’ils déjouent les consignes parentales. La pub affecte le climat familial. Les chercheurs en publicité ont appris à développer et exploiter une nouvelle compétence transversale chez l’enfant, l’asticotage. L’enfant apprend tôt à asticoter ses parents jusqu’à l’obtention de ce que la pub lui a mis en tête (5). La télé sabote l’autorité parentale (6).

Anorexie et boulimie

En faisant la promotion de modèles corporels inaccessibles, en glorifiant des femmes ultraminces, la télé cultive une faible estime de soi chez un nombre croissant de jeunes filles, ce qui les incite à suivre des régimes alimentaires malsains. D’où la propagation de cas d’anorexie, de boulimie, d’automutilation et parfois même de suicides (7). La publicité favorise la propagation de divers désordres alimentaires et autres maladies physiques et mentales (8). D’un côté, des modèles maigrichons, de l’autre, des aliments qui rendent obèses, la télé se comporte avec cruauté pour son jeune public. Banale la pub ? Pas certain, puisque chaque heure de télé comporte 12 minutes de pub (9). Et que dire de nos pouvoirs publics, si timides pour protéger les enfants, tandis qu’ailleurs, ils prennent l’initiative (10).

Pouvoirs publics

Le Gouvernement fédéral a créé le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada (CRTC) pour veiller à l’utilisation des ondes publiques de façon à protéger la santé et la sécurité du public. Dans la présente pandémie d’obésité, le CRTC n’a pas bougé le petit doigt.

Grâce à une loi courageuse votée en 1976, le Québec est le seul état nord-américain à interdire la publicité aux moins de 13 ans. Cette loi de protection du consommateur a réduit l’exposition de nos enfants à la publicité et cette décision politique a ralenti la progression de l’obésité chez nos jeunes Québécois-es. Pourtant, selon un sondage mené en mars 2004 dans 45 États, plus de 80% des états-uniens favorisent l’interdiction de la publicité destinée aux enfants et l’interdiction de la pub à l’école (11). Les trois quarts de nos voisins souhaitent une réglementation plus rigoureuse. Les psychologues considèrent que les moins de 8 ans sont incapables de discerner la fausseté d’un message publicitaire. L’enfant ne dispose pas de la maturité nécessaire au décodage du message publicitaire qui lui propose un aliment nuisible (12). Cela n’empêche pas les annonceurs de consacrer plus de 12 milliards $ par année pour influencer les jeunes. Un enfant moyen reçoit plus de 40 000 sollicitations commerciales par année.

En mai 2005, le directeur de la Santé publique de Montréal, le Dr Richard Lessard, annonçait qu’après le virage ambulatoire pour répondre au vieillissement de la population, il prenait le virage jeunesse. Selon lui, sur les 230 000 jeunes de Montréal de 6 à 17 ans, 15% des élèves de 5e secondaire ne déjeunent pas, les 3 quarts (77%) ne boivent pas suffisamment de lait et plus du tiers ne mangent pas assez de fruits et de légumes. Le Dr Lessard croit qu’on peut faire mieux si l’on veut faire face à la propagation de l’obésité (13). Au Ministère de la Santé, on vient de terminer la rédaction d’une politique cadre sur l’alimentation à l’école et à la garderie. Adieu poutines, boissons gazeuses et collations au glucose (14). Hélas, rien n’obligera les établissements à prendre le virage santé. Un autre voeu pieux ! Les lobbyistes de la malbouffe exploitent la complaisance des pouvoirs publics et signent des ententes avec des organismes qui blanchiront leur réputation. Ils espèrent neutraliser les pouvoirs publics (15).

Et si la solution se trouvait dans nos salons ?

Pendant que les pouvoirs publics provinciaux et fédéral hésitent à agir, les études mesurant l’incidence de la télé sur l’obésité s’accumulent. Au cours de la dernière décennie, deux études ont de quoi impressionner. Celle de la prestigieuse Kaiser Family Foundation a permis d’éplucher 45 études et d’en résumer les conclusions (16). L’autre, celle du Dr Thomas Robinson, de l’Université Stanford, en Californie, arrive à une conclusion étonnante. Conscient de l’influence de la télé sur la santé et les habitudes alimentaires, le Dr Robinson a fourni aux enseignant-es d’une école primaire de San José les outils pédagogiques pour motiver des élèves de 4e et 5e année à se passer de télé et de jeux vidéo durant 10 jours (17). Il a mesuré l’obésité des enfants 20 semaines après le jeûne. En 1999, ses résultats étaient publiés dans le prestigieux Journal de l’American Medical Association (AMA) (18). Ses conclusions ne laissent aucun doute. En diminuant leur consommation de télé et de jeux vidéo, les enfants réduisent leur obésité.

Bonne nouvelle pour tous les parents d’Amérique du Nord et d’Europe. Au lieu d’espérer l’élixir d’une multinationale pharmaceutique, le gouvernement familial peut prendre le contrôle du robinet de la télé. À quand une émission de télé sur le pouvoir des familles et de l’école pour faire face à la pandémie d’obésité ?

Notes

1. En mai 2005, l’OMS réitérait l’importance d’une lutte intégrée pour mettre un terme à la hausse de l’obésité et de l’embonpoint qui touche près de 1_ milliard de personnes dans le monde, y compris dans le Tiers monde. Les industriels de l’alimentation font-ils partie de la solution ? Source : Le Devoir, 1er juin 2005.
2. Pourquoi les enfants sont-ils des proies de la télé, et non ses clients ? Parce que les spectateurs ne sont pas les premiers clients de la télé. Le premier client de la télé, c’est l’annonceur. C’est lui qui achète des enfants. Le tarif publicitaire dépend du nombre de spectateurs vendus. Patrick Le Lay, le grand patron de la grande chaîne privée française TF1, l’équivalent de TVA. déclarait en 2004 que le rôle de la télévision consistait essentiellement à vendre « du temps de cerveau humain disponible ». L’impact des médias sur nos enfants ne cesse de croître. Le Devoir, 25 avril 2005.
3. Argumentaire sur l’influence de la télé, article 13, l’incidence sur la santé mentale des enfants.
4. Marie Marquis, professeur au Département de nutrition de l’Université de Montréal, a analysé les comportements alimentaires de 534 enfants de 10 ans. Ils sont toujours plus nombreux à manger devant la télé. Un garçon sur 4 et une fille sur 5 (18%) mangent tous les jours devant la télévision. Quatre jeunes sur 5 choisissent la télé pour partager leurs repas, plusieurs fois par semaine. La télé les fait grossir en induisant des choix alimentaires malsains. La télé accapare 25 heures par semaine de la vie des enfants, y compris le repas. Cette habitude coûte cher. Le Devoir, 25 mai 2005.
5. Les experts en marketing enseignent aux annonceurs à asticoter (nagging). Pour y échapper, certains parents vont jusqu’à sortir la télé de la maison. Le nag factor joue un rôle dans la majorité des achats effectués par les parents : moins du tiers des parents (31%) peuvent résister à l’asticotage. Judith Schoolman, Toronto Star, 24 août 1998. Cité dans « Why They Whine : How Corporations Prey on our Children », Mothering Magazine, Novembre/Décembre 1999.
6. La télé utilise des trucs toujours plus sophistiqués pour accrocher des enfants. Cette stratégie sabote l’encadrement parental et accroît les conflits.
7. Les jeunes, surtout les filles, se comparent aux images projetées dans les publicités, aux personnes qu’on présente comme modèles ; cela crée de l’anxiété. Sur le plan de la santé mentale, les élèves de 5e secondaire éprouvent des difficultés : ils ont une faible estime de soi (27% des filles et 13% des garçons) et vivent un taux élevé de détresse psychologique (28% des filles, 11% des garçons). Source : DSP de Montréal, Dr Richard Lessard, mai 2005. Le Devoir, 6 mai 2005. Une étude rapportée par André Picard dans le Globe & Mail du 3 mai 2004, A2, révèle que les filles obèses sont harcelées beaucoup plus souvent que les autres élèves de leur école. En vieillissant, les jeunes obèses - surtout les garçons- sont tentés de pratiquer l’intimidation à leur tour.
8. Selon Susan Linn, la pub est responsable de la propagation de l’obésité, du diabète de type II, elle engendre un climat familial conflictuel, la consommation compulsive, elle contribue à la violence juvénile, à la sexualité précoce et à l’érosion du jeu créatif. Susan Linn croit que notre société doit protéger le Droit des enfants à grandir - et le droit des parents à les élever - sans être constamment sapée.
9. Depuis quelque temps, le bruit court à l’effet que les annonceurs veulent déverrouiller ce plafond.
10. En Europe, où un enfant d’âge scolaire sur 5 souffre d’embonpoint, les pouvoirs publics ont pris l’offensive. Le 1er janvier 2005, l’Irlande a interdit la pub télé pour la malbouffe et les bonbons. John Reid, ministre de la Santé d’Angleterre, a menacé de réglementer dans le même sens. Markos Kyprianou, Commissaire européen à la Santé, demande à l’industrie alimentaire de cesser la publicité aux enfants (Financial Times, mai 2005). Aux États-Unis, au lieu d’aider les parents, les décideurs politiques invitent les lobbyistes de la Grocery Manufacturers Association des États-Unis à passer à l’offensive. L’industrie de la malbouffe contribue substantiellement à la caisse électorale du parti Républicain. Voir Alternet.
11. Survey Supports Limits on Kid-Targeted Ads, May 2004. There is widespread support for regulating advertisements directed at children. Tim Kasser, associate professor of psychology at Knox College, Illinois, and Susan Linn of the Judge Baker Children’s Center in Cambridge, Massachusetts.
12. « Television Advertising Leads To Unhealthy Habits In Children ». Research Says That Children Are Unable To Critically Interpret Advertising Messages. The American Psychological Association APA> is recommending that advertising targeting children under the age of eight be restricted.
13. Direction de la santé publique de Montréal, Dr Richard Lessard, Le Devoir, 6 mai 2005.
14. « Les écoles invitées à tirer un trait sur la malbouffe ». Le Soleil, décembre 2005. Infobourg.
15. En mai 2005, l’Association des comités de parents-enseignants des États-Unis (PTA) acceptait la commandite de Cooke, proclamé “fier commanditaire”. Les annonceurs de malbouffe utilisent les médias pour déjouer la vigilance des parents. Le lobby des vendeurs de boissons gazeuses a fait avorter les projets de réglementation dans les écoles du Connecticut, de l’Arizona, du Kentucky et du Nouveau-Mexique. Lire.
16. Kaiser Family Foundation, 45 études sur l’incidence de la télé sur les enfants : document en pdf à télécharger. Des chercheurs de l’École de Santé publique de Harvard ont isolé le facteur télé, dans une étude qui s’appuie sur le témoignage de plus de 50 000 femmes sur une période de 6 ans.  : document en pdf à télécharger.
17. Les outils utilisés font partie du Programme SMART, "Student Media Awareness to Reduce Television", produit par le Centre de ressources pour la promotion de la santé de l’Université Stanford, en Californie. Source.
18. Réduire la télé entraîne une réduction significative de l’obésité. Journal de l’American Medical Association. Voir document en pdf dans EDUPAX.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 avril 2007.

On peut lire d’autres articles de Jacques Brodeur dans cette rubrique de Sisyphe ou sur le site EDUPAX.



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Jacques Brodeur, consultant en prévention de la violence
EDUPAX

Jacques Brodeur a enseigné durant 30 ans et œuvre comme consultant, conférencier et formateur dans les domaines de l’éducation à la paix, l’éducation aux médias et la prévention de la violence. On peut lire d’autres articles de Jacques Brodeur dans cette rubrique de Sisyphe ou sur le site EDUPAX.



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