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mercredi 23 avril 2008

Anorexie mentale - Dompter la douleur

par Vittoria Pazalle






Écrits d'Élaine Audet



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Il peut exister différentes façons de dompter la douleur. Pendant des années, moi j’avais trouvé un moyen très spécifique : l’anorexie mentale.

Plus particulièrement, en dominant un besoin vital comme ma faim, j’avais un sentiment de contrôle sur ma vie. Et par l’effet de la dénutrition, je me sentais bien souvent comme anesthésiée, voire puissante.

Puis grâce à une thérapie, j’ai découvert que je prônais la maîtrise car j’étais incapable de gérer certaines émotions fortes comme la colère, la tristesse, le ressentiment, la peur du rejet, de l’abandon, de l’échec, etc.

En développant un tel ascétisme, je ne pouvais savoir que je me "déconnectais" de moi-même au point de me sentir comme totalement étrangère à ce monde et de finir totalement repliée sur moi-même et dans une extrême solitude.

Le comble étant, qu’en croyant que je parvenais à dominer toutes mes émotions, voire à les dompter, je ne faisais que les retourner contre moi-même. A vrai dire, avec ma peur de l’autre et mon absence totale d’estime de moi-même et de confiance en moi, j’avais fini par retourner mes émotions douloureuses et ma violence contre moi-même en m’autodétruisant.

Ainsi l’anorexie mentale peut provenir d’un désir de dominer des conflits internes indéfinissables et trop difficiles à gérer. Et ce désir d’ignorer sa faim, qui inconsciemment pousse à s’infliger certaines douleurs (privations, hyperactivité physique, isolement) permet d’oublier et d’occulter d’autres douleurs bien profondes et accumulées depuis très longtemps.

Pour ma part, j’avais notamment peur de devenir femme et adulte dans ce monde qui me semblait si cruel et où les personnes fragiles et démunies comme moi ne se sentaient jamais à leur place et étaient soumises et bien souvent dominées.

Quels modèles féminins nous a-t-on transmis ?

Grâce à ma thérapie, je me suis aperçue que je ne me reconnaissais guère dans les différents modèles de ma famille comme celui de :

* Ma grand-mère paternelle

femme honnête, travailleuse et totalement dévouée à sa famille, mais élevée dans une famille latine où l’enfant mâle (mon père) étant l’enfant préféré. Autoritaire et très susceptible, elle faisait la tête, boudait pendant des jours ou arguait de ses problèmes de santé dès que l’on n’agissait pas comme elle l’entendait afin que l’on cède.

* Ma grand-mère maternelle

femme qui s’était mariée très jeune pour échapper à l’autorité de son père, puis qui avait suivi sa passion pour vivre avec un autre homme mais en abandonnant ses enfants. On appelle généralement ce type de femmes "mères indignes" ou "dénaturées", ce qui entraîne par exemple des secrets, des non-dits et de lourds silences dans une famille.

* Ma mère

femme froide, rigide, autoritaire et blessée d’avoir été abandonnée chez une parente chez qui elle servait, pour compenser sa présence, en quelque sorte d’aide ménagère. Après avoir longtemps vu les garçons privilégiés dans sa famille dont son frère, en se retrouvant enceinte, elle désirait ardemment un garçon pour se réhabiliter. Mais en accouchant d’une fille, elle l’a élevée en reproduisant ce qu’elle avait vécu (dureté, sévérité, froideur, brusquerie...) et en lui transmettant l’idée que le sort d’une fille était essentiellement celui d’une sacrifiée.

Toutefois, pour survivre et masquer sa déception et sa frustration, elle avait trouvé comme mode de fonctionnement de se présenter à mon égard tantôt comme :

* une Victime (cf. le Triangle dramatique de Karpman où trois types de personnalités se forment suite à des carences affectives). Pour la "Victime" : ce n’est jamais de sa faute, elle aime se plaindre et trouve des prétextes pour ne pas agir et pour sortir de ses difficultés. Elle vit de tristesse et est dominée par la honte et la peur de s’affirmer. C’est le rôle le plus recherché car il apporte le plus de reconnaissance et permet une déresponsabilisation ;

* et tantôt comme une Persécutrice. Le "Persécuteur" ou "Bourreau" établit et applique des règles strictes afin de prendre les autres en faute pour prouver qu’il vaut mieux que les autres. Il est dominé par la colère, les frustrations et la peur de montrer sa vulnérabilité. Il accuse, blâme, dévalorise, ridiculise, punit, harcèle...

Mais il est intéressant de noter que la nature humaine étant d’une grande complexité, il se trouve qu’en public, il en était autrement. Ma mère se présentait tantôt comme

* une Sauveteuse : le "Sauveteur" se croit responsable de la vie et du bonheur d’autrui. C’est à travers les autres, et à son propre détriment, qu’il cherche à se valoriser et à se réaliser car il est dominé par la culpabilité. Il essaie d’aider, mais il ne sera pas d’un grand secours puisque son but inconscient est d’entretenir la Victime dans son rôle afin de rester dans le sien et de récupérer de la reconnaissance. On est Sauveteur lorsqu’on aide quelqu’un qui n’a rien demandé, ou que l’on persiste à donner alors que l’aide qu’on apporte n’est pas efficace ;

* et une Victime. Inconsciemment celle-ci allait même jusqu’à avoir un comportement masochiste en prétextant par exemple qu’elle méritait ce qu’elle avait vécu enfant alors qu’elle avait subi maintes humiliations et été victime d’abus. Or cette façon de ne pas voir la réalité en face en rejetant la faute sur soi permet surtout de faire l’économie de sentiments dévastateurs comme la haine, la colère et la rancune contre l’autre. Mais mal dans sa peau et dans sa féminité, elle négligeait tellement son corps, sa santé, sa maison et ses tâches administratifs (suivi et paiement de ses factures..) que j’avais fini par me sentir dans une grande instabilité et insécurité, et même par avoir honte d’elle.

Par conséquent, mon petit corps asexué était ma façon de dompter ma douleur de ces modèles dans lesquels je ne pouvais guère m’identifier pour me projeter dans l’avenir.

Les bienfaits de la psychogénéalogie

Or, en examinant la lignée féminine de mon clan, je me suis aperçue que j’avais souffert de l’idée inconsciente du statut inférieur de la femme. Nonobstant, en y regardant de plus près, les femmes de ce clan se révélaient bien souvent plus responsables, plus fortes et plus opiniâtres que les hommes.

Certes il est impossible de changer notre histoire, et enfant nous ne pouvions manquer de nous identifier à certains modèles de notre famille. Mais grâce à une remise en question, il est tout à fait possible de changer notre perception par rapport à notre histoire en ne la considérant plus comme une fin irrémédiable, mais plutôt comme un point de départ pour se situer.

Une thérapie revient très souvent à un travail de deuil tant par le fait que nous devons accepter que nous serons jamais l’enfant idéal, que celui que nos parents n’ont rien de dieux. Ceux-ci sont tout simplement des humains et surtout d’anciens enfants qui ont grandi en fonction de leurs propres blessures familiales dont ils ne sont la plupart du temps même pas conscients.

Ce que nous n’avons pas reçu dans notre enfance, nous pouvons nous l’accorder nous-mêmes, dont bien entendu apprendre à nous respecter et à nous aimer. Ce travail se fait patiemment car fréquemment de vieux fantômes viennent nous réveiller avec leur "De toute façon, je ne suis pas à la hauteur", "Je suis une bonne à rien", voire "Je ne suis qu’une nullité" ou "Je ne peux pas puisque je ne suis qu’une fille".

Ces petites voix qui proviennent notamment d’un désir de perfection et d’un manque d’encouragement dans l’enfance ne doivent plus diriger notre vie. Comme nos aïeules, nous pouvons les accepter si nous y croyons, soit nous pouvons les refuser et leur barrer la route en agissant, s’affirmant et décidant enfin pour nous-mêmes.

Nos aïeules avaient rarement le choix, submergées par le travail domestique, une santé plus précaire, une ribambelle d’enfants qu’il fallait avant tout nourrir et vêtir, un niveau de vie beaucoup moins aisé et une certaine pression religieuse, mais dorénavant nous pouvons changer les choses si nous acceptons enfin de croire en nous-mêmes.

Et même si nous avons été aimées et choyées, et voulons nous montrer reconnaissantes envers nos parents en leur faisant plaisir, nous devons avant tout nous faire plaisir en nous respectant et nous honorant en devenant enfin nous-mêmes.

Plus précisément, inspirons-nous donc des modèles heureux de notre famille, ne considérons plus les malheureux comme une destinée inéluctable, et osons alors nous remettre en question (par exemple, grâce à une thérapie) pour nous délivrer de croyances et de préjugés inconscients erronés, nocifs et destructeurs pour ainsi retrouver notre propre nature, notre joie de vivre, et surtout voir la féminité d’un œil plus positif.

Faisons en sorte que nos enfants ne domptent plus une douleur (cf. anorexie, boulimie, automutilation, drogue, alcool...) qui en masque d’autres plus profondes et inconscientes car ils ne savent même pas ce qu’ils veulent faire et qui ils sont.

Et si nous aimons réellement nos enfants, nos fils et nos filles ne doivent plus vivre en tant que nos prolongements en réalisant ou devenant ce que nous rêvions d’être. Un enfant a besoin de l’amour et du soutien de ses parents, mais il naît avant tout pour se connaître et prendre contact avec sa nature propre et développer ses propres capacités, goûts et désirs.

Auteure des articles :

 « Image corporelle et identité féminine »
 « Troubles du comportement alimentaire et découverte de la féminité »
 « Anorexie et boulimie : parents, aidez votre enfant en détresse »

Auteure du livre :

Anorexie et Boulimie : Journal Intime d’une reconstruction, Editions Dangles, Paris, 2007.

Site internet.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 4 mai 2007



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Vittoria Pazalle
Site de Vittoria Pazalle

L’auteure a publié Anorexie et boulimie, journal intime d’une reconstruction, aux Éditions Dangles, en 2007. Elle administre un site web : www.vittoria-pazalle.com



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