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dimanche 8 juillet 2007

Femmes de nulle part : vivre entre deux cultures

par Ghislaine Sathoud






Écrits d'Élaine Audet



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C’est dans le cadre des activités de la Journée internationale des femmes que j’ai pu réaliser que le mariage forcé est une réalité au Canada. En effet, l’émission « Enjeux » du Réseau de l’information (RDI) avait mené une enquête sur ce sujet et diffusait un reportage le mercredi 7 mars 2007 qui démontrait que certains immigrant-e-s pratiquent encore les mariages forcés. J’ai été choquée par ce reportage pour plusieurs raisons. Je suis une femme. Je suis une immigrante. Je suis une mère. Au-delà de toutes ces considérations, je crois fermement que les femmes ont le droit de vivre dans un monde plus juste.

La situation des filles dans le monde

Rappelons que la 51e session de la Commission de la Condition de la Femme Nations Unies se tenait à New York, du 26 février au 9 mars 2007, sur le thème « Mettre fin à la discrimination et à la violence à l’égard des filles ».

Les filles sont encore victimes de toutes sortes de violences et les rapports inégalitaires sont perceptibles entre les filles et les garçons.
Comme le précise un rapport de l’UNICEF :

    En garantissant les droits des femmes, les sociétés protègent également les filles et les adolescentes. L’égalité des sexes signifie que les filles et les garçons bénéficient du même accès aux vivres, aux soins de santé et à l’éducation et des mêmes perspectives d’avenir. Des recherches ont montré que les femmes dont les droits sont protégés ont tendance à veiller à ce que les filles bénéficient d’une nutrition, de soins de santé et d’une éducation corrects (1).

La relation entre les droits des filles et les droits des femmes est très étroite. Pour enrayer la discrimination envers les femmes, il faut également tenir compte de la situation des filles. Il faut examiner les inégalités globalement :

    Puisque la condition de la femme et le bien-être de l’enfant sont indissociables, les défenseurs des enfants failliraient à leur devoir s’ils ne prenaient pas, non plus, fait et cause pour l’égalité des sexes. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) sont étroitement liées - elles participent de la même progression de l’humanité vers la réalisation des droits fondamentaux. L’une et l’autre énoncent des droits précis qui ne pouvent être abrogés pour des raisons d’âge, de sexe, de classe socio-économique ou de nationalité. Les deux traités sont complémentaires ; ils se recoupent dans la mesure où ils énoncent des droits et responsabilités précis et ils comblent ensemble les lacunes qui existeraient si l’on ne disposait (2).

Que faut-il retenir de la situation des femmes et des enfants dans le monde ? Selon l’UNICEF, la situation inégalitaire perdure :

    Les femmes et les filles sont encore trop nombreuses à ne pas bénéficier des progrès réalisés en matière d’égalité des sexes et à être privées de moyens d’expression et de pouvoir d’action. Les femmes souffrent de façon disproportionnée de la pauvreté, des inégalités et de la violence. On estime généralement qu’elles constituent de par le monde la majorité des personnes vivant dans la pauvreté, près de deux tiers des analphabètes et, avec les enfants, 80 pour cent des victimes civiles des conflits armés (3).

Malgré les progrès, les femmes et les enfants subissent encore de la violence.

Vivre entre deux cultures

Bien évidemment, l’adaptation à une nouvelle société, à un nouveau mode de vie, avec tout ce que cela apporte de bouleversements, ne se fait pas sans heurt. Est-ce pour autant une raison de contribuer à la « réanimation » de coutumes agonisantes ? Faut-il ressusciter les coutumes pour « combler » le mal du pays ?

Dans le reportage sur les mariages forcés dont je parlais plus haut, une fille évoquait la difficulté de se « dresser » contre ses parents, de les « accuser »... Ce sentiment de culpabilité est également présent chez les femmes immigrantes qui subissent de la violence conjugale.

Je me permets de faire un lien avec la communauté africaine même si le reportage n’en parlait pas. Tous les immigrants et les immigrantes doivent apprendre à vivre entre deux cultures. En effet, les femmes africaines sont également confrontées à cette situation.

La lutte pour l’amélioration de la condition des femmes est universelle. Les Africaines, comme toutes les femmes dans le monde, luttent pour cette cause, elles prennent une place dans ce combat. Cependant, les Africaines vivant hors du continent ont aussi d’autres problèmes reliés à leur nouvel environnement. La difficulté de vivre entre deux cultures est perceptible quotidiennement et pose de nombreux problèmes. En effet, la vie des immigrantes africaines en Occident n’est pas toujours rose. Certains des obstacles auxquelles elles ont à faire face ont été évoqués dans l’ouvrage Les femmes d’Afrique centrale au Québec (4).

Une enquête réalisée au Congo Brazzaville, mon pays d’origine, m’a agréablement surprise. Mathurine Mafoukila (5) a mené cette recherche avec l’aide du Fonds des Nations Unies pour la population. Cette enquête, intitulée « Les violences faites aux femmes et aux filles, y compris le harcèlement sexuel et l’attentat à la pudeur », s’est déroulée dans plusieurs villes. Les femmes y ont participé avec grand enthousiasme, ce qui prouve que les Congolaises sont déterminées à mettre un terme à jamais à la violence faite aux femmes.

Alors, si les femmes d’Afrique qui devraient respecter les coutumes à la lettre dénoncent la violence, on est en droit de se demander au nom de quelles coutumes les immigrantes devraient la subir silencieusement et maintenir tabous certains sujets.

Au nom de la coutume, accepter la violence dans la famille ?

Les immigrants et immigrantes, on ne le dira jamais assez, acceptent de nombreux changements pour s’adapter au nouveau mode de vie dans la société d’accueil. Bien entendu, la famille n’échappe pas à ces changements difficiles. D’ailleurs, certains et certaines pensent que s’adapter est une manière de balayer du revers de la main un passé, une vie, et de fouler au pied toute l’histoire d’une société. Certains brandissent ces arguments pour justifier des comportements barbares.

Plutôt de vivre en harmonie dans le couple, des gens se livrent en spectacle pour infliger aux épouses des souffrances supplémentaires et les rendre responsables de tous les malheurs. Qu’en pensent les familles de ces femmes en Afrique ? Est-ce cela la semence de l’amour que les femmes doivent récolter ? Comment guérir les blessures psychologiques de ces humiliations ? Quelle doit être la conduite d’une victime de violence conjugale loin de sa famille, de ceux qui ont célébré le mariage ? Comment fait-on s’il ne faut pas se servir des règles de la société dans laquelle on vit ? Faut-il simplement être victime ? Comment fait-on pour vivre, survivre dans pareilles circonstances ? Comment une femme qui a été blessée dans sa chair et dans ses os réussit-elle cet exploit ? Comment sortir de ce gouffre ?

Il est à noter que toutes les femmes dans le monde dénoncent la violence. Elles réclament « un autre monde ». Les femmes immigrantes devraient en faire autant. S’opposer à la violence n’est pas un rejet de sa culture.

Même si les acquis sur la condition des femmes dans la société d’accueil sont nombreux, en Afrique également les femmes continuent de réclamer des droits. Où se placent alors les Africaines immigrantes si elles ne dénoncent pas la violence ?

Femmes de nulle part

Les immigrantes se retrouvent souvent dans une situation complexe. Elles « hésitent » à se servir des lois qui protègent les femmes dans la société d’accueil par respect pour les traditions... Il paraît qu’une épouse ne doit pas parler des problèmes de couple. Il paraît qu’elle doit subir simplement, au nom des traditions... Au nom de la coutume... Évidemment, cet argument est un véritable lavage de cerveau qui les culpabilise : elles ne veulent pas porter la « responsabilité » de la négation de la tradition.

Au nom des traditions... Au nom des ancêtres, tous les subterfuges sont utilisés pour justifier les actes ignobles que l’on fait subir à des êtres humains qui décident simplement de se marier et de partir à la découverte du monde avec les conjoints. Certaines abandonnent même une vie professionnelle.

Les femmes qui accompagnent souvent les conjoints en Occident n’ont pas toujours une bonne réputation dans le pays d’origine. On dit qu’elles sont ingrates, qu’elles quittent leur mari par mimétisme, qu’elles suivent les lois occidentales aveuglement. On dit tout ce qui peut salir la réputation de ces dernières.

Pourtant ces femmes vivent parfois des drames que même la société africaine n’accepterait pas. Certaines acceptent de souffrir en silence et refusent de dénoncer ce qu’elles subissent parce qu’elles se sentent coupables de trahison envers les traditions... Au Canada, le 911 est un service téléphonique d’urgence. Il semble impensable, voire même un crime de lèse majesté, qu’une femme d’origine africaine appelle ce service pour les problèmes de couple. Que faut-il faire au juste lorsque le mari bat son épouse et qu’elle se trouve en danger ? Faut-il appeler le 911 ou accepter d’exposer sa vie sans savoir jusqu’où cette violence peut mener ? En Afrique, on peut bénéficier de la protection de l’entourage. En Occident, ce n’est pas pareil, il n’y a personne, mais il y a des moyens qui peuvent au moins sauver la vie si on accepte de s’en servir. C’est toute la difficulté de cette question...

Jusqu’où peut-on tolérer ? Où faut-il placer les limites ? La violence est simplement une mauvaise chose, que ce soit en Afrique ou en Occident. Les conséquences sont dévastatrices. Alors que les femmes en Afrique luttent sans relâche pour dénoncer la violence et obtenir des droits, les immigrantes deviennent des femmes de nulle part. Ni tout à fait comme dans le pays d’origine, ni tout à fait comme dans le pays d’accueil. S’il est vraiment difficile de mettre en pratique certaines coutumes africaines dans un environnement différent, il faut dire que certaines coutumes ont déjà du mal à « survivre » en Afrique même.

Par conséquent, alors que des femmes condamnent certaines traditions pour dénoncer les injustices et la violence faite aux femmes, consciemment ou inconsciemment, d’autres contribuent à perpétuer des coutumes qui sont loin de favoriser la prise en charge des femmes. Certaines Africaines immigrées en Occident vivent silencieusement des drames et des humiliations qui dépassent l’entendement de tout être humain éprouvant un minimum de considération pour ses semblables.

Toutes les femmes devraient être solidaires, parler le même langage pour condamner énergiquement le sort que certaines coutumes réservent aux femmes. Plutôt le sort que des gens mal intentionnés veulent faire subir aux femmes en brandissant les coutumes. Au nom des coutumes ? Au nom des ancêtres ? Mais que dire des droits humains ? Que dire des droits des femmes ? Que dire du respect de la personne ?

Notes

1. UNICEF, La situation des enfants dans le monde 200. Femmes et enfants : le double dividende de l’égalité des sexes, Rapport 2007, p. 6, www.unicef.org.
2. Op. cit., p. 3
3. Op. cit., p. 12
4. Ghislaine Sathoud, Les femmes d’Afrique centrale au Québec, Paris, Harmattan, 2006
5. www.rocare.org

Site internet de l’auteure.

Mis en ligne, le 23 mai 2007



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Ghislaine Sathoud
Ghislaine Sathoud

Québécoise originaire du Congo, l’auteure est titulaire d’une maîtrise en Relations internationales et d’une maîtrise en Science politique. Elle a publié des nouvelles, des pièces de théâtre (Ici, ce n’est pas pareil, chérie, Les maux du silence), de la poésie (Poèmes de ma jeunesse, Paix sur la terre) et un essai (Les femmes d’Afrique centrale au Québec, Paris, Harmattan, 2006). Elle a travaillé pour divers groupes sociaux et elle est engagée dans la lutte contre la violence faite aux femmes. Pour en savoir davantage, consultez sa biographie sur son site Internet.



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