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mercredi 19 novembre 2014

L’indépendance du Québec à l’ère du tout à l’économie

par Élaine Audet






Écrits d'Élaine Audet



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THEMES ABORDES :

Femmes

Indépendance

PKP

De la génération de la Révolution tranquille, des événements d’octobre 70, de la prise de pouvoir par le PQ et des deux référendums, je suis de celles qui croyaient et croient encore indissociables la libération des femmes, le socialisme et l’indépendance nationale. Je n’aurais jamais pu imaginer qu’un jour la personne choisie pour inspirer, mobiliser, unifier le mouvement indépendantiste québécois soit le magnat d’un des plus grands empires médiatiques au Québec. Je ne comprends pas qui cela peut faire rêver, sinon les faiseurs professionnels d’images dont le rôle consiste à nous aliéner toujours davantage.

PKP une alternative viable ?

À l’ère mondialisée du tout à l’économie, notre rêve d’indépendance peut-il être incarné par Pierre Karl Péladeau, PKP, l’un des "maîtres du jeu" le plus performant de ce capitalisme transnational, acculturé, militarisé, sans coeur, qui ne cesse là où il prend racine de détruire le tissu social ? Un tel choix ne revient-il pas à cautionner une indépendance mise au pas, dans le meilleur des cas au goût du jour, par des porte-parole politiques parfois menotté-es, souvent bâillonné-es ? Des hauts-parleurs, la plupart du temps instrumentalisés par l’ordre économique mondial, comme en a produit le Canada avec les Harper, Couillard & cie.

Le développement du capitalisme québécois n’a jamais eu pour but l’amélioration du bien-être collectif. Une seule logique prévaut, soit l’augmentation des profits. Dire que PKP constitue le candidat idéal parce qu’il n’a besoin ou peur de rien, c’est par opportunisme ne pas tenir compte de son comportement inhumain lors de la grève du Journal de Montréal et du Journal de Québec. Peut-on oublier qu’il n’a eu de cesse d’écraser le syndicat et de nier toute amélioration des conditions de vie de ceux et de celles qui, par leur travail, lui ont permis d’amasser sa colossale fortune.

Dans l’excellent dossier de l’aut’journal sur PKP, Pierre Dubuc rappelle que l’homme d’affaires n’est pas aussi visionnaire qu’on le prétend. Depuis les années 2000, il n’a cessé d’endetter l’entreprise et a dû déclarer la faillite de Quebecor World, son intransigeance ayant laissé, avant de vendre, chuter à moins d’un dollar l’action transigée à 40$. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres et on peut se demander si son passage en politique n’est pas une fuite en avant pour exercer sur l’État le contrôle qu’il perd ailleurs. Le véritable succès de Québecor revient à son père qui, contrairement à PKP, a su conjuguer son engagement indépendantiste, le respect de ses employé-es et les affaires.

À la suite des déclarations du futur candidat à la chefferie du PQ sur l’inutilité du Bloc, Pierre Dubuc met en garde contre (2) "un axe Harper-Mulroney-Péladeau qui est toujours opérationnel, comme en témoigne la nomination de Brian Mulroney à la tête de Québecor après la profession de foi indépendantiste de PKP". Dubuc rappelle que cette alliance entre les conservateurs canadiens et des nationalistes québécois n’a rien de nouveau. On se souvient comment le Québec s’est fait avoir avec "le beau risque" du premier ministre du Canada, Bryan Mulroney (ex-président de l’Iron Ore), et de René Lévesque, premier ministre du Québec.

Ainsi, selon le directeur de l’aut’journal, on pourrait voir, à son tour, Péladeau reculer indéfiniment le référendum jusqu’à ce que le Québec soit viable sur le plan financier. Ce qui risque, à mon avis, de ne jamais arriver, "les conditions gagnantes" n’existant que pour ceux qui se remplissent les poches en attisant nos rêves de liberté et d’appartenance. Il serait temps d’en finir avec cette manie de déléguer notre sort à des sauveurs qui s’avèrent finalement des fossoyeurs.

Comment peut-on faire confiance à la logique d’un homme d’affaires comme Pierre Karl Péladeau, fondée sur l’accumulation maximale des profits quelles qu’en soient les conséquences pour le personnel de ses entreprises et la société en général ? Un bel exemple pour le futur : 13 lock-out en 14 ans chez Québecor. Récemment, on apprenait qu’il serait ouvert à une plus grande privatisation de notre système de santé, de l’Hydro-Québec et, pourquoi pas une fois parti, au nom de l’indépendance, à l’exploitation très lucrative du gaz de schiste.

S’enraciner dans l’imaginaire et la solidarité collective

Pourrons-nous jamais atteindre l’indépendance en comptant avant tout sur la venue d’un messie pour la réaliser magiquement à notre place en évitant de bousculer quoi que ce soit de l’ordre établi ? Sans planter dans tous les milieux les piliers vitaux de cette indépendance dans l’imaginaire et la solidarité collective ? Comme ont si bien su le faire les Lévesque, Payette, Bourgault, Ferretti et nos plus célèbres poètes et artistes des cinquante dernières années.

Nous ne pouvons faire l’économie de la réflexion, de l’analyse, de la création de nouvelles stratégies. Nous devons partir au-delà et non en deçà d’où nous a mené-es Pauline Marois. Je ne vois pas à l’heure actuelle un désir profond de comprendre et d’abattre les obstacles auxquels nous nous butons à répétition. Je ne sens dans l’air que l’excitation puérile de se lancer dans la corrida de la course à la chefferie avec toute la boue appréhendée que les rivalités et les ambitions soulèveront. Le retour à l’avant-scène de l’ex-premier ministre Bernard Landry, en supporteur de PKP, n’est guère rassurant. Comment oublier, notamment, son récent cafouillage à propos de la Charte de la laïcité, et son comportement systématiquement hargneux et déloyal envers Pauline Marois.

Une indépendance unisexe ?

Une autre évidence me préoccupe au plus haut point, c’est la parité hommes-femmes en politique. Selon toute vraisemblance, le Québec indépendant sera toujours fait par et pour les hommes. Alors que l’on se targue ici d’avoir atteint l’égalité, il n’y a à ce jour qu’une seule femme candidate à la chefferie, Martine Ouellet, l’ancienne présidente d’Eau Secours et ex-ministre péquiste des Ressources naturelles. De la façon dont on a traité la première ministre Pauline Marois durant son court exercice du pouvoir, j’imagine que peu de femmes auront envie de briguer les plus hautes fonctions politiques.

Après l’avoir élue comme première femme à la tête de l’État québécois, la population amnésique a vite renvoyé Pauline Marois à son jardin après seulement 18 mois au pouvoir. Contre toute attente, on lui a préféré un gouvernement libéral dont la corruption et la soumission au désordre économique mondial ne sont plus à démontrer. Au sein même de son parti, cette femme, dont on a pu mesurer le courage lors de l’attentat le soir de son élection, n’a cessé d’affronter la fronde et les jeux de pouvoir de ses collègues. Ceux-là mêmes qui se défendent bien d’être sexistes, mais qui, en dépit de leurs belles paroles, montrent peu de détermination à faire place aux femmes.

Au lieu d’espérer le couronnement de PKP, pourquoi ne pas prendre le temps de réfléchir ensemble aux moyens de changer les règles du jeu ? En cherchant à dépasser le sempiternel choix entre la "bonne gouvernance" et l’indépendance, à convaincre des femmes de qualité de représenter en politique plus de la moitié de la société. Faut-il rappeler que les femmes ne sont pas une minorité parmi d’autres, mais plus de la moitié de la population. Il est temps que nous ayons une représentation équitable dans toutes les instances politiques.

Comment nous libérer de la tutelle fédérale et devenir un pays indépendant, libre de définir ses besoins en comptant sur ses propres moyens, sans tomber sous la domination de financiers rapaces ? Comment mettre enfin l’économie au service de la collectivité et non l’inverse ? PKP a pris position pour la laïcité, Julie Snyder amènera peut-être dans son sillage de nombreuses femmes du populaire mouvement des Janette, Péladeau défendra sans doute le français, mais tout laisse à penser que sa priorité restera l’économie et non la mobilisation active pour la réalisation de l’indépendance.

Il ne s’agit pas, au nom de l’indépendance, de donner un vernis nationaliste à la gestion de "l’austérité" ni de détourner encore une fois le plus de profits et de "retombées économiques" vers les riches et leurs paradis fiscaux. L’urgence aujourd’hui consiste à faire les choix qui nous permettront d’être libres et responsables de déterminer notre avenir. Comme l’écrivait la poète québécoise Louky Bersianik : "Il n’y a qu’une souffrance, une seule, il n’en existe aucune autre qui lui soit comparable. C’est de ne pas être libre de disposer de soi-même !" En tant que femme et Québécoise.


Notes
1. Pierre Dubuc, PKP, l’aut’journal, octobre 2014.
2. Pierre Dubuc, "PKP contre le Bloc… et pour Harper !", l’aut’journal, 19 novembre 2014.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 18 novembre 2014



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Élaine Audet

Élaine Audet a publié, au Québec et en Europe, des recueils de poésie et des essais, et elle a collaboré à plusieurs ouvrages collectifs. Depuis 2002, elle est l’une des deux éditrices de Sisyphe.
Ses plus récentes publications sont :
 Prostitution - perspectives féministes, (éditions Sisyphe, 2005).
 La plénitude et la limite, poésie, (éditions Sisyphe, 2006).
 Prostitution, Feminist Perspectives, (éditions Sisyphe, 2009).
 Sel et sang de la mémoire, Polytechnique, 6 décembre 1989, poésie, (éditions Sisyphe, 2009).
 L’épreuve du coeur, poésie, (papier & pdf num., éditions Sisyphe, 2014).
 Au fil de l’impossible, poésie, pdf num., (éditions Sisyphe, 2015).
 Tutoyer l’infini, poésie,pdf num., 2017.
 Le temps suspendu, pdf num., 2019.

On peut lire ce qu’en pensent
les critiques et se procurer les livres d’Élaine Audet
ICI.


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