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mercredi 19 août 2015

Amnesty International et la prostitution - Pas en notre nom !

par Janice G. Raymond






Écrits d'Élaine Audet



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Le mot clé de la défense d’Amnesty pour justifier sa résolution en faveur de la décriminalisation de l’industrie du sexe est "protection". On nous a dit qu’il est nécessaire de reconnaître le droit à l’achat du sexe et au proxénétisme pour protéger les femmes dans la prostitution.

À l’étape précédant le vote, l’organisation s’est senti offusquée offusquée que certain-es aient souligné qu’en fait l’objectif présumé de la protection des femmes est un ”racket de protection” pour les proxénètes et les clients de la prostitution.

La politique d’Amnesty va bien au-delà de la décriminalisation des femmes prostituées : elle veut aussi dépénaliser les hommes qui vendent des femmes et ceux qui les achètent pour leur satisfaction sexuelle, contribuant à un marché qui maintient bien vivant l’esclavage sexuel.

Que sous-entend la mascarade d’Amnesty au sujet de la protection des femmes dans la prostitution ?

Un programme de pauvreté présumé pour les femmes pauvres

C’est Ken Roth, le directeur de Human Rights Watch, qui a lancé cette idée sur Twitter en accordant son soutien à la proposition d’Amnesty de dépénaliser l’industrie du sexe, : "Pourquoi refuser aux femmes pauvres l’option du “travail du sexe” volontaire ?"

Ken a rejoint le chœur des clients qui débitent un discours sur le bien-être des femmes prostituées pour justifier leur exploitation en transformant la prostitution en vertu. Il fait écho au prostitueur américain interviewé aux Philippines : "Il faut que ces filles mangent, non ? Je mets du pain sur la table. Je fais une contribution."

Une politique initiée par les auteurs qui sont bénéficiaires

Comme Julie Bindel a été la première à le révéler, Amnesty s’est montré réceptif au lobbying de Douglas Fox, co-fondateur d’une agence d’escortes du Royaume-Uni, qui a revendiqué l’ébauche de la politique d’Amnesty prônant la décriminalisation de l’industrie du sexe.

En 2008, en tant que membre d’Amnesty, non seulement Fox a-t-il exhorté l’organisation à soutenir les "travailleurs du sexe" en faisant la promotion de la décriminalisation totale, mais il a aussi poussé ses associés de l’industrie du sexe à se joindre à l’organisation pour faire du lobbying "de l’intérieur".

"Obtenir l’appui d’Amnesty donnera un énorme coup de pouce à notre moral ... nous avons besoin de la harceler et de l’amener de notre côté", a-t-il dit. Amnesty a essayé de se distancer de Fox en faisant valoir qu’il n’était plus membre et qu’il n’avait eu aucune influence sur sa politique, mais les empreintes de Fox et de ceux qu’il représente se trouvaient partout.

Une politique soutenue par des “travailleurs du sexe”, mais non par des “survivantes” de la prostitution

Amnesty a écouté des femmes qui prétendent représenter toutes les femmes dans la prostitution - celles qui se font appeler “travailleuses du sexe” -, et la plupart des comptes rendus des médias n’a jamais contesté ce choix. Amnesty a agi comme si seules les "travailleuses du sexe" prenaient la parole pour les femmes dans la prostitution.

Deux voix se réclament de l’expérience prostitutionnelle. Une seule voix – celle des survivantes de la prostitution et de leurs allié-es - affirme que la prostitution est de la violence contre les femmes. Elle soutient que la défense des droits des femmes prostituées exige qu’on poursuive les auteurs de cette violence, y compris les proxénètes et les clients de la prostitution, et qu’on décriminalise les victimes. Cela signifie donner aux femmes dans la prostitution de l’information non seulement pour se protéger sur le plan sexuel mais aussi pour trouver des solutions alternatives à la prostitution.

L’autre voix – celle des ‘travailleuses du sexe” - est plus forte, attire davantage les médias, présente la prostitution comme quelque chose d’attirant (“sexy”), et semble profiter d’un soutien financier plus important.

Celles qui parlent à titre de "travailleuses du sexe" font valoir que la protection des femmes signifie que ces dernières devraient être libres d’embaucher des "gestionnaires", autrement dit des proxénètes, et qu’on devrait protéger les clients de toute législation, tel le modèle nordique, qui les rende responsables d’actes prostitutionnels et d’abus envers des femmes prostituées.

La résolution illégitime adoptée par Amnesty, le 11 août 2015, peut protéger les " travailleuses du sexe" et leurs alliés, une minorité relativement privilégiée de femmes et d’hommes qui, sur les sites Web et les médias sociaux, semblent complices de l’industrie du sexe. Cependant, elle ne protège pas les millions de femmes devenues vulnérables et marginalisées pour des motifs de classe, de difficultés financières, de "race", de d’itinérance, de guerre et de conflits, d’abus sexuels passés, ces millions de femmes prisonnières des systèmes prostitutionnels et pour qui il n’existe guère d’issue.

Une position qui suggère que les proxénètes et les clients de la prostitution ne sont pas seulement privés de leurs droits, mais qu’ils protègent également les droits fondamentaux des femmes

Tout au long de l’année dernière, Amnesty n’a pu se résoudre à prononcer le mot "proxénète" ou celui de "client de la prostitution". Tout se passait comme si, en évitant ces termes, Amnesty pouvait transformer du jour au lendemain par magie ces criminels en honorables gestionnaires, en gentils clients, en pourvoyeurs d’avantages multiples pour les femmes dans la prostitution. Plutôt que de simplement défendre ces femmes et leur droit de ne plus être criminalisées pour leur propre exploitation, Amnesty a défendu la décriminalisation des droits de leurs exploiteurs comme condition nécessaire à la liberté des femmes.

Lorsque l’un des groupes les plus respectés pour sa défense des droits humains dans le monde soutient que punir les clients de la prostitution "peut constituer une violation du droit à la vie privée et porter atteinte aux droits à la liberté d’expression et à la santé", quelque chose ne tourne pas rond dans son point de vue sur les droits humains. En défendant l’idée que pénaliser les acheteurs pousse la prostitution vers la clandestinité, Amnesty déclare que les femmes seraient forcées de prendre de plus grands risques. De quelle clandestinité s’agit-il ? De la prostitution intérieure, de celle sur Internet ? Une telle allégation ne repose sur aucune preuve.

Il y a aussi une contradiction flagrante à affirmer que la pénalisation des clients pousserait les femmes dans la clandestinité et dans des lieux encore plus dangereux. Pour les promoteurs de la décriminalisation de l’industrie du sexe, la prostitution à l’intérieur est plus sûre que celle de la rue. Mais, quand il s’agit de discréditer les lois pénalisant les clients, ils allèguent que les lieux intérieurs sont plus dangereux parce que plus clandestins. On ne peut critiquer une chose et son contraire.

C’est l’industrie de la prostitution, non pas une loi pénalisant les clients, qui oblige les femmes à prendre de plus grands risques. Les clients prostitueurs jouent un rôle majeur dans ce risque. Où qu’elles soient, les femmes prostituées doivent faire des choix, même au risque de leur vie, lorsque les clients sont violents, hors contrôle, et insistent pour ne pas porter de préservatifs ou imposent des pratiques sexuelles risquées.

Une politique de protection et un vote secret à huis clos

Amnesty favorise prétendument une société ouverte, libre de tout autoritarisme et fondée sur la transparence. Selon ce que l’on en sait, cependant, personne autre que les membres approuvés par Amnesty ne connaissaient la politique actuelle d’Amnesty ou ses différentes versions. Peu de personnes à l’extérieur d’un petit cercle étaient informées en détails de ce que contenait le document final et de ce sur quoi les délégué-es devaient voter pour ou contre. Et seuls les représentants d’Amnesty connaissaient le déroulement des débats internes, quelle délégation de quel pays avaient voté pour ou contre, et quel était réellement le décompte. Amnesty s’est conduite comme une société fermée en imposant un scrutin secret.

Amnesty a ignoré la diversité des opposant-es à sa position de décriminalisation de l’industrie du sexe. Par exemple, lorsque la Coalition contre la traite des femmes (CATW) a rendu publique sa pétition sur Change.org, les médias sociaux ont lancé plein d’attaques sur les "célébrités privilégiées" qui "ne connaissent rien à la prostitution", comme si ces dernières étaient les seules adversaires de cette position. Ces critiques ont passé sous silence la diversité des nombreux signataires : représentant-es des ONG internationales, des organisations de lutte contre la traite, des politiciens, des journalistes, des avocats, des fournisseurs de services, des centres de crise pour les femmes, des décideurs, des travailleurs sociaux, des psychologues, des militantes féministes, et des survivantes de la prostitution.

Amnesty a écarté la pétition de centaines d’universitaires et de chercheurs et chercheuses qui ont travaillé pendant des années sur les politiques et les projets liés à la prostitution et à la traite des femmes. L’organisation a également ignoré la pétition de l’ancien président Jimmy Carter sur Change.org, et on l’a rarement mentionné dans les médias sociaux comme adversaire de la position d’Amnesty. Quant à la pétition des survivantes de la prostitution, on l’a tout simplement fait disparaître.

Amnesty a fait un cadeau aux proxénètes et aux usagers de la prostitution et, il est ainsi devenu un des principaux mécènes de la plus violente racaille de la terre. Dans son mépris cynique et flagrant pour les survivantes de la prostitution, Amnesty a corrompu sa mission fondamentale – mission de défense des droits des plus vulnérables. Amnesty a conféré aux proxénètes et aux clients de la prostitution une légitimité qu’ils ne pourraient obtenir nulle part ailleurs. Amnesty a agi ainsi au nom de la protection des femmes. Dites-lui : "Pas en notre nom !"

Janice G. Raymond est l’auteure de nombreux livres et articles, dont son tout récent livre Not a Choice, Not a Job : Exposing the Myths about Prostitution and the Global Sex Trade dont Élaine Audet a fait un compte rendu à sa sortie en 2013.

Traduit et adapté en français par Élaine Audet et Micheline Carrier pour Sisyphe

 Version originale en anglais ici.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 19 août 2015



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Janice G. Raymond

Janice G. Raymond est professeure émérite en Études féministes et Éthique médicale à l’Université du Massachusetts à Amherst. Elle a été professeure invitée à l’Université de Linkoping en Suède et chercheuse invitée à l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT).

Militante féministe de longue date contre l’exploitation sexuelle, les abus médicaux et la violence envers les femmes, Janice Raymond est aussi co-directrice générale de la Coalition contre le trafic des femmes (CATW), organisation non gouvernementale (ONG) internationale qui a le statut consultatif de catégorie II auprès de l’ECOSOC, et qui a des branches dans chaque région du monde.

Janice G. Raymond a été récipiendaire de bourses de l’Institut national de la Justice, de la Fondation Ford, de l’Agence d’information des États-Unis, de la Fondation scientifique nationale, de l’Organisation norvégienne pour la recherche et le développement (NORAD), et de l’UNESCO. En l’an 2000, elle a complété l’une des premières études sur le trafic sexuel aux États-Unis intitulée Sex Trafficking in the United States : Links Between International and Domestic Sex Industries,
subventionnée par l’Institut National de la Justice. En 2002, elle a dirigé et été co-auteure d’un projet impliquant plusieurs pays : Philippines, Indonésie, Thaïlande, Vénézuéla et États-Unis, intitulé Women in the International Migration Process : Patterns, Profiles and Health Consequences of Sexual Exploitation, subventionné par la Fondation Ford.

Janice G. Raymond est l’auteure de cinq livres et de nombreux articles traduits dans plusieurs langues, sur des sujets comme la violence contre les femmes, la santé des femmes, la pensée féministe et la bio-médecine. Son dernier livre est Women as Wombs : Reproductive Freedom and the Battle Over Women’s Bodies (Harper San Francisco, 1994). Elle donne des conférences partout dans le monde sur tous ces sujets.


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