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lundi 28 septembre 2015 Du désir d’enfant au blanchiment d’enfant
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II arrive que certains couples qui veulent avoir un ou des enfants s’en révèlent incapables par suite d’infertilité physique pour les uns, ou d’infertilité « sociale » dans le cas des couples de même sexe masculins. Depuis la nuit des temps, l’habitude était prise de se tourner vers l’adoption, satisfaisant ainsi du même coup au droit d’un enfant déjà né d’avoir des parents. En introduisant de nouveaux paramètres dans cette problématique, les nouvelles biotechnologies viennent aujourd’hui bouleverser en profondeur la donne. Des parents commanditaires Les nouvelles techniques de procréation assistée le permettant, des couples infertiles se mettent maintenant à exiger un enfant qui soit porteur des gènes de l’un des deux conjoints sinon des deux, et même à se croire autorisés à « commander » un enfant à une mère porteuse. On parle alors de « gestation pour autrui » (GPA) ou de « maternité pour autrui » (MPA). (2) Nous sommes donc en présence de parents commanditaires, et non de « parents d’intention » – comme le veut l’euphémisme employé par les agences qui mettent sous contrat les mères porteuses. Car n’est pas « parent d’intention » qui veut. Ceux et celles qui ont recours à des mères porteuses ont certes quelques caractéristiques communes, mais la plus évidente est qu’ils sont tous fortunées ou du moins financièrement à l’aise : en Amérique du Nord, les coûts de la « commande » peuvent s’élever à près de 80 000$ US. Ces parents commanditaires vivent le plus souvent dans les pays développés ; ils rêvent d’un bébé à leur image, d’un bébé évidemment parfait puisque fabriqué sur commande. Ils signeront un contrat le plus souvent avec une agence spécialisée ou quelqu’autre entreprise à but lucratif ; plus rarement ils traiteront directement avec une mère porteuse. Les mères porteuses Qu’il s’agisse de la Thaïlande, où l’on va jusqu’à parler de « fermes de bébés », de l’Inde, du Népal ou du Mexique, importants pays fournisseurs de mères porteuses, on sait que ces dernières sont toutes des femmes pauvres qui n’ont parfois pas d’autre choix que de devenir mères porteuses et, le plus souvent, au profit d’un couple riche des pays du Nord. Ces mères porteuses des pays en voie de développement sont particulièrement appréciées par le monde de la MPA, car cela permet de contourner les lois de certains pays, d’avoir recours à des mères porteuses à très bas prix et de protéger davantage les droits des parents commanditaires que ceux des mères porteuses. Il en est de même au Québec : les mères porteuses qui le font contre « dédommagement » ne viennent pas des quartiers aisés, mais le plus souvent de milieux beaucoup moins favorisés que celui des parents qui ont placé la commande. Les enfants L’adoption, même dans les meilleures conditions, peut être source de perturbations psychologiques chez l’enfant. La société a par conséquent et sans conteste l’obligation morale, voire légale, de réfléchir aux conséquences qu’aura ladite « maternité pour autrui ». Les enfants nés dans ces conditions sauront un jour qu’ils ont été fabriqués à seule fin d’être abandonnés, vendus même, par la femme qui les aura portés. Comment peut-on penser qu’aucune blessure psychologique n’en découlera ? On se demande en vain quels intérêts, quels avantages, quels bénéfices les enfants peuvent retirer à devenir ainsi une marchandise livrable selon les termes d’un contrat. Et qu’en sera-t-il de ceux qui naîtront imparfaits, de ceux que ni les parents commanditaires ni la mère porteuse ne voudront garder ? Le 4e acteur : l’industrie Acteur invisible mais acteur puissant, l’industrie des biotechnologies a donné naissance à un nouveau type d’entreprise : la marchandisation des enfants. En Inde seulement, on parle d’un chiffre d’affaires de 400 millions$ US et l’on prévoit qu’en 2020, l’industrie de la maternité pour autrui pourrait se chiffrer à 2,5 milliards$. Ces chiffres vertigineux confèrent au problème un éclairage que les promoteurs de l’industrie de la procréation se gardent bien d’évoquer. Mais on comprend qu’avec de tels enjeux financiers, l’industrie ne ménage pas ses efforts pour banaliser, voire promouvoir, la maternité pour autrui et combattre les lois trop contraignantes. Tant d’argent fait aussi comprendre que la MPA ne peut être considérée que du seul point de vue du désir légitime des couples d’avoir un enfant : le « désir d’enfant » est vite devenu un « droit à l’enfant », aboutissant par le fait même au « commerce d’enfants » et, dans de trop nombreux pays, au « trafic d’enfants ». Bref, nous en sommes maintenant à l’étape du « blanchiment d’enfants » : faire reconnaître toutes les filiations, qu’elles soient illégales ou le produit de la marchandisation des femmes les plus vulnérables. L’article 541 du Code civil : un rempart essentiel Au Québec, le Comité consultatif sur le droit de la famille (3), que préside le juriste Alain Roy, a été chargé par le gouvernement de suggérer des réformes du Code civil (4). Le Comité recommande d’encadrer les contrats commerciaux de mères porteuses en abolissant l’article 541 du Code civil du Québec qui spécifie que « Toute convention par laquelle une femme s’engage à procréer ou à porter un enfant pour le compte d’autrui est nulle de nullité absolue » (5). Le Comité propose aussi de faciliter l’accès à la maternité pour autrui en ramenant toutes les conditions à une seule : avoir au moins 18 ans pour devenir soit mère porteuse soit parent commanditaire. (Notons que la loi fédérale prévoit qu’une femme doit avoir au moins 21 ans pour devenir une mère porteuse.) Une jeune femme pourrait ainsi vivre sa première grossesse, à un âge précoce, pour remettre l’enfant à quelqu’un d’autre et tout sera approuvé par l’état civil et cela, du moment qu’il y a eu un acte notarié, des conseils juridiques et une rencontre d’ordre psychosocial. Selon le comité, il n’est même pas besoin de faire évaluer les capacités parentales des parents commanditaires, contrairement à ce qui est exigé des parents qui ont recours à l’adoption (6). D’ailleurs, rien n’empêche une entreprise commerciale d’offrir clé en main tous ces services aux parents commanditaires qui auront les moyens financiers d’avoir accès à cette procédure administrative prévue par le Comité consultatif pour accélérer la reconnaissance des enfants « produits » par des mères porteuses. Les règles d’encadrement proposées par le Comité consultatif reposent sur la notion de « consentement éclairé » de la mère porteuse qui remet « volontairement » l’enfant aux parents commanditaires.
De plus, le rapport du Comité consultatif ne prévoit l’encadrement du phénomène des mères porteuses qu’au Québec ; il n’envisage aucune mesure visant à limiter le tourisme procréatif ailleurs dans le monde. Soulignons que Suzanne Guillet, une des juristes membres de ce Comité, a cependant apposé sa dissidence à la recommandation qui ferait que « […] peu importe les circonstances, le contrat de mère porteuse serait au-dessus de toutes les lois, vu le droit absolu de l’enfant à sa filiation. » (8) Dans un livre publié en 2012, la journaliste scientifique Dominique Forget cite Alain Roy, le président de l’actuel Comité consultatif sur le droit de la famille qui prône la reconnaissance du recours aux mères porteuses. À cette époque, Alain Roy semblait rejeter cette option.
En bref, le tourisme procréatif et le trafic d’enfants qui, pour le moment, se développent surtout dans les pays les plus pauvres, risquent fort de prendre de plus en plus d’ampleur à mesure qu’on garantira de « blanchir » les enfants produits en permettant aux parents commanditaires de faire facilement reconnaître la filiation de l’enfant et, par le fait même, d’en devenir les parents légaux. Une solution de rechange pour assurer l’intérêt supérieur des enfants L’intérêt supérieur de l’enfant réside dans l’obtention d’une filiation qui marque son appartenance à une famille. L’enfant a besoin de savoir d’où il vient, a besoin de pouvoir se rattacher à une lignée – et tout aussi bien lorsqu’il s’agit d’adoption. Pour éviter que ne se développent l’industrie des mères porteuses et la marchandisation des enfants, c’est à des parents adoptifs que nous devrions confier ces enfants nés d’une MPA commerciale, à des parents qui, eux, auront respecté la loi fédérale (laquelle interdit le recours à la MPA commerciale) ainsi que toutes les règles de l’adoption prévues par le Code civil du Québec. Ainsi pourra se maintenir un des principes fondamentaux de notre société, à savoir un système fondé sur le don : le don du sang, le don des organes, le don du lait maternel, etc., lesquels ne sauraient faire l’objet d’un commerce. Il en est de même des MPA à but non lucratif, celles qu’on appelle les MPA altruistes et qui sont permises par la loi fédérale. Mais attention : limitons-les aux membres de la famille uniquement, afin d’éviter que des MPA commerciales se déguisent en MPA altruistes et, comme c’est souvent le cas actuellement, servent à contourner la loi. On ne doit ni vendre ni acheter des femmes et des enfants. On ne peut non plus encadrer ou « blanchir » ce commerce sous prétexte que « ça existe », en ignorant que l’encadrement du recours aux mères porteuses au Québec, notamment en abolissant l’article 541, favorisera la légalisation éventuelle de la maternité commerciale et stimulera le développement du commerce d’enfant. Comme l’affirmait jadis Me Alain Roy : « L’enfant n’est pas et ne devrait jamais devenir le droit de qui que ce soit. » (10) Notes 1. Céline Lafontaine, Libre opinion - « Le remboursement des mères porteuses ? Du délire », 25 avril 2014. Mis en ligne sur Sisyphe, le 10 septembre 2015 |
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