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vendredi 28 août 2015

SPACE international s’oppose à la résolution d’Amnesty International visant à dépénaliser proxénètes et prostitueurs

par Groupe de survivantes de l’industrie du sexe






Écrits d'Élaine Audet



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Nous sommes un groupe de survivantes de l’industrie du sexe des États-Unis, du Royaume-Uni, d’Allemagne, du Danemark, du Canada, d’Irlande et de France, et cette lettre s’adresse directement à vous, Amnesty International, au sujet de votre projet de politique d’approuver la dépénalisation mondiale de proxénètes et de prostitueurs responsables de violations des droits humains dans l’industrie mondiale du sexe.

Nous savons, de par nos propres vécus, que le commerce du sexe est un système nuisible, déshumanisant et avilissant qui ne devrait jamais être décriminalisé. Nous soutenons et approuvons le modèle suédois, qui ne dépénalise que la personne exploitée dans un échange prostitutionnel. C’est une approche très différente de celle du modèle que fait actuellement circuler Amnesty International, soit une décriminalisation complète de toutes les parties impliquées dans le commerce du sexe, y compris les exploiteurs à des fins sexuelles (prostitueurs-clients) et les exploiteurs à des fins financières (proxénètes et trafiquants.)

Il est à peine croyable pour nous que vous, Amnesty International, soyez prêts à approuver un cadre juridique qui donne libre cours aux proxénètes et aux prostitueurs. En faisant cela, vous seriez prêt à militer activement contre vos propres principes des droits humains et à compromettre votre intégrité en tant qu’organisation explicitement dédiée à la défense des droits humains.

Pourtant, c’est exactement la situation mystificatrice et incroyable que vous nous présentez.

Il faut souligner que ce projet de politique contrevient directement à au moins trois des conventions des Nations Unies portant sur les droits des femmes.

La convention des Nations Unies de 1949 énonce expressément que la prostitution, la traite et d’autres pratiques du genre semblables à de l’esclavage « …sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine… ». L’article 6 de la CEDEF stipule que « les États parties prennent toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour supprimer, sous toutes leurs formes, le trafic des femmes et l’exploitation de la prostitution des femmes ». L’article 9.5 du Protocole de Palerme appelle les États parties à prendre des mesures pour décourager la demande qui favorise l’exploitation des personnes qui conduisent à la traite. La dépénalisation des prostitueurs et des trafiquants est en violation directe du Protocole de Palerme, le plus récent instrument des Nations Unies adopté pour contrer le problème de la traite des personnes.

Vous prétendez vouloir endosser la dépénalisation complète de tous les agents de l’industrie du sexe par souci du bien-être des personnes prostituées ; si tel est le cas, vous aurez besoin d’examiner ce pourquoi vous envisagez d’endosser un modèle dont il a été maintes et maintes fois prouvé, partout dans le monde, qu’il accroît massivement l’ampleur du commerce du sexe et augmente ainsi le nombre de femmes et d’enfants qui y sont prostituées et victimes de la traite.

Il est également très préoccupant pour nous qu’Amnesty International semble ignorer la nature hautement sexospécifique de l’industrie mondiale du sexe. La grande majorité des personnes prostituées partout dans le monde sont des femmes ou des jeunes filles et, dans les cas des femmes, la plupart ont été prostituées dès l’adolescence. La prostitution est un système patent et flagrant d’inégalité de relations de pouvoir, qui fonctionne de façon à asservir des femmes aux hommes et à multiplier et perpétuer cet asservissement par intersection d’autres oppressions, comme celles de classe et d’origine ethnique.

Beaucoup de nos membres travaillent actuellement à la prestation de services de première ligne aux femmes et aux filles encore dans la prostitution, et ce que nous observons dans la vie des jeunes femmes d’aujourd’hui sont exactement les facteurs que nous avons subis hier dans la nôtre : la pauvreté, le désespoir, la toxicomanie et une absence absolue de choix viables. Ce sont ces femmes et ces filles que vous, Amnesty International, proposez d’abandonner à un cadre juridique qui leur permet d’être achetées, vendues et utilisées en toute impunité par des hommes adultes qui sont financièrement, socialement et racialement privilégiés par rapport à elles.

Nous trouvons choquant et inquiétant de trouver la note suivante dans votre projet de document politique :

« Les prétentions suggérant que la majorité des travailleuses du sexe entrent dans l’industrie du sexe comme mineures, ou que la plupart d’entre elles ont été abusées physiquement ou sexuellement dans l’enfance, qu’elles sont contraintes d’entreprendre le travail du sexe ou qu’elles sont accro à des substances toxiques, ont été exposées comme de fausses représentations d’une vaste proportion des travailleuses du sexe. »

Nous aimerions savoir où exactement ces conclusions ont été « exposées comme de fausses représentations » parce qu’elles nous sont certainement apparues comme représentatives à nous dans les agences d’escortes, les bordels et les « quartiers chauds » de la prostitution. Avec cette note de bas de page, vous avez tenté d’effacer la réalité de nos vies et de cacher et nier les dégâts que nous avons vécus et dont nous témoignons. Peut-être que si vous aviez élargi votre recherche pour y inclure les deux côtés de cette controverse, vous auriez découvert ce que nous savons déjà : que la plupart des femmes prostituées sont bel et bien arrivées à l’industrie du sexe dans des conditions désespérées ou miséreuses, que la plupart ont été physiquement et sexuellement violentées dans l’enfance, et que la plupart sont contraintes par leurs circonstances de vie à la prostitution. Et que si elles ne consommaient pas de substances toxiques avant leur prostitution, elles l’ont rapidement fait dès leurs débuts.

Pour tous vos discours sur la nécessité de « recherches », vous en avez compilé un corpus étonnamment unilatéral, qui nous ignore totalement en tant que survivantes de l’industrie du sexe et en tant qu’organisations guidées par des survivantes. Vous passez également sous silence les pourvoyeuses de services de première ligne et les organisations de défense des droits des femmes qui, au fil de leur activisme et de leur offre de services, en sont venues à reconnaître la prostitution comme une violation des droits humains, pour souscrire à une solution abolitionniste. Ces voix, et les nôtres, sont totalement absentes de votre prétendue « recherche ».

Le document « Ébauche de projet de politique » qui a récemment été divulgué tient également pour nul et non avenu l’énorme corpus existant d’études menées à l’échelle mondiale sur plusieurs décennies, qui documente et illustre les torts dévastateurs infligés aux plans physique, mental et émotionnel à l’égard des personnes qui sont dans la prostitution partout dans le monde – une dévastation que nos membres vivent encore dans l’ensemble.

Sans mettre en doute le bon travail que vous avez fait dans d’autres domaines, ni discréditer les nombreuses militantes et militants pour la justice sociale qui s’activent présentement à Amnesty, votre réputation en ce qui concerne les droits des femmes est loin d’être impeccable. Il n’y a pas si longtemps que vous avez assimilé les mutilations génitales féminines à une pratique culturelle. Ce fut une erreur, et vous vous apprêtez à faire une nouvelle grosse erreur pour ce qui est de votre réputation mondiale au chapitre des droits des femmes. Vous le ferez en débattant si vous devez oui ou non affirmer à la face du monde que nous, les femmes, existons pour être utilisées et que les hommes ont le droit de nous utiliser de la sorte. Nous sommes ici pour vous dire, à vous et au monde, que les hommes n’ont aucun droit de nous utiliser ; ils n’ont jamais eu ce droit, quel que soit le nombre d’années qu’ils ont passées à abuser des vulnérabilités sociales des femmes et des filles pour le faire.

Tout votre document est fondé sur la prémisse que la violence du proxénétisme et de l’achat de sexe devrait être décriminalisée et le commerce du sexe normalisé de façon à rendre, en quelque façon, la prostitution plus sûre pour les personnes prostituées. Ce n’est pas la première fois que le monde entend cet argument. La notion que le système prostitutionnel devrait être réglementé en vue d’en sécuriser les conditions ne diffère en rien de la prétention insensée que l’esclavage aurait dû être réglementé aux mêmes fins. C’est un argument qui passe entièrement sous silence l’oppression structurelle qui a honteusement étayé un de ces systèmes pendant des siècles et qui continue honteusement à soutenir l’autre à ce jour.

En fait, loin d’être un groupe neutre qui se préoccupe uniquement des droits humains des gens affectés, vous avez fermement affiché vos couleurs pro-prostitution par votre recours incessant aux termes « travailleurs du sexe » et « travail du sexe », même si vous savez que ces expressions sont jugées inacceptables par celles d’entre nous qui avons vécu la prostitution et qui faisons activement campagne contre elle. Notre objection précise à cette terminologie d’un « travail du sexe » (une expression issue du milieu de l’industrie du sexe de San Francisco, dans les années 1980) est l’intention qui a présidé à ses origines : elle a, dès ses débuts, été délibérément créée pour masquer les préjudices et les dégâts de la prostitution. Nous sommes en droit d’attendre, de la part d’une organisation de défense des droits humains, qu’elle fasse mieux qu’avaliser une terminologie créée dans le but de dissimuler un préjudice.

Dans votre document, vous parlez à des gens qui « choisissent volontairement de le faire », tout en précisant, dans le même document, que « le statut et l’expérience d’être discriminée sont eux-mêmes souvent des facteurs clés dans ce qui conduit des personnes au travail du sexe ».

C’est donc que vous, chez Amnesty International, reconnaissez vous-mêmes l’extrême restriction d’options, vécue sur la base de discriminations préexistantes, comme facteur clé qui contraint les gens à la prostitution. Pourtant, vous refusez de reconnaître le sexe prostitué comme du sexe coercitif, soit une transgression des droits de la personne.

À titre de survivantes de l’industrie du sexe, nous souhaitons poser publiquement à Amnesty les questions suivantes : Si vous reconnaissez que les personnes sont contraintes à la prostitution, pourquoi ne reconnaissez-vous pas le sexe prostitué comme du sexe coercitif ? Si vous reconnaissez que les gens sont amenés à se prostituer par une discrimination préexistante, pourquoi ne reconnaissez-vous pas le sexe prostitué comme une violation en soi des droits de la personne ?

Nous vous informons, Amnesty International, de façon directe et publique, que vous êtes au bord d’une énorme catastrophe publique et que, si vous votez une dépénalisation de violations de droits humains, cet échec va peser lourdement sur l’ensemble des personnes violentées dans l’industrie du sexe, sur vos propres principes des droits de la personne et sur vous-mêmes.

 Version française publiée d’abord sur le site de Ressources prostitution que nous remercions.

 Version originale anglaise téléchargeable en version PDF.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 28 août 2015



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  • SPACE international s’oppose à la résolution d’Amnesty International visant à dépénaliser proxénètes et prostitueurs
    (1/1) 29 août 2015 , par





  • SPACE international s’oppose à la résolution d’Amnesty International visant à dépénaliser proxénètes et prostitueurs
    29 août 2015 , par   [retour au début des forums]

    Bonjour, c’est un excellent texte et j’abonde en son sens pleinement. Je voudrais juste souligner une petit erreur d’orthographe dans la phrase suivante : ’’La prostitution est un système patent et flagrant d’inégalité de relations de pouvoir, qui fonctionne de façon à asservir des femmes aux hommes et à multiplier et perpétuer cet asservissement par intersection d’autres oppressions come celles de classe et d’origine ethnique.’’ il faudrait corriger le ’’come’’ pour comme. Bonne continuité, je suis de tout cœur avec vous.

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