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vendredi 15 janvier 2016 Agressions contre des femmes à Cologne. Un jour, ”l’autre” sera-t-il "nous" ?
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Dans la nuit du 31 décembre 2015, des centaines d’hommesont agressé des centaines de femmes sur la place publique dans une douzaine de villes allemandes et quelques autres villes européennes. Le scénario était à peu près le même partout : encerclement pour isoler des femmes, attouchements “un peu partout” (selon des rapports de police), propos méprisants, et agressions sexuelles dans 40% des cas. Parfois, vol de sacs à main et de téléphones avant de quitter les lieux. Selon les médias européens, les forces de l’ordre n’ont pas jugé bon de demander des renforts pour protéger les femmes, se contentant de disperser la foule. Des sources officielles ont mentionné que la plupart des hommes arrêtés jusqu’ici en rapport avec ces crimes - des agressions contre la personne sont des crimes – proviennent de l’Afrique du Nord et d’autres sont des réfugiés. Comme certaines l’ont rappelé, les méthodes de ces agresseurs de masse ressemblent à celles employées antérieurement et ailleurs lors d’agressions de nombreuses femmes au cours de manifestations publiques : sur la Place Tahrir au Caire ; lors d’une manif contre Ben Ali au centre de Tunis, et plus loin encore, en 1969 en Algérie, lors d’un festival culturel pan-africain dont les hommes avaient chassé les femmes avec leurs enfants (Sécularisme is a Women’s Issue) (1). Le retard des autorités policières et politiques à divulguer l’information s’explique peut-être par l’insouciance habituelle à l’égard de la violence contre les femmes, mais aussi par la crainte de susciter une vague de xénophobie. Au lieu de dénoncer les crimes contre des centaines de femmes atteintes dans leur intégrité, dans un premier temps, on a donc protégé les agresseurs et la réputation de leur milieu d’origine. Un message bien ambigu. Les agressions contre des femmes se sont produites simultanément ou presque et selon le même scénario. Simple coïncidence ? Y a-t-il eu concertation pour cibler des femmes occidentales en cette nuit de la Saint-Sylvestre, un moment de festivités privilégié ? Si les agresseurs voulaient transmettre un message, lequel ? Que les hommes ont le droit de contrôler les femmes, d’en faire leurs choses ? Étaient-ils conscients qu’en Occident on parle beaucoup de droits des femmes, mais on ne se fend pas en quatre pour les protéger ni pour faire échec à cette forme de terrorisme patriarcal que sont la violence physique et l’exploitation sexuelle ? Quand on a besoin d’acheter la paix sociale sur le dos des femmes, on ne s’en prive pas. Ces agresseurs de masse étaient-ils sous l’emprise d’un quelconque endoctrinement, par exemple, l’endoctrinement islamiste qui prêche la soumission des femmes pour s’affirmer en tant qu’homme et bon croyant ? Ces crimes sont-ils le résultat d’une autre forme d’endoctrinement de masse qui sévit depuis longtemps, en Occident même mais aussi au Moyen-Orient et en Afrique du Nord : l’Occident serait "le grand satan" que certains illuminés rêveraient de combattre de l’intérieur. Ils obtiendront une récompense terrestre ou céleste s’ils réussissent leur mission. Or, au sein de ce “grand satan”, il y a évidemment les femmes, qui veulent être libres de choisir leur vie et leur sexualité. De vraies “démones" aux yeux de certains intégristes. Ou encore ces agressions de masse sont-elles une variante des crimes contre les femmes perpétrés lors des conflits armés, quand les belligérants violent femmes et enfants des adversaires en guise de représailles ? On ne sait pas de quoi ces hommes auraient voulu se venger en Allemagne. Il est facile de comprendre que l’on puisse se révolter devant ces crimes, ainsi que devant les tentatives de les camoufler et, ensuite, d’en atténuer la portée. La sécurité et l’intégrité des femmes contre une soi-disant paix sociale. Pourtant… Nous avons dénoncé - du moins plusieurs d’entre nous - les enlèvements et les viols d’adolescentes par Boko Haram en Afrique, les viols massifs au Rwanda, au Congo. Nous avons encouragé des femmes iraniennes, algériennes, tunisiennes, marocaines, irakiennes, afghanes et autres dans leurs luttes pour leurs droits fondamentaux, contre les violences qui leur sont faites dans leurs pays. Féministes occidentales, nous sommes critiques des guerres souvent déclenchées sous le contrôle et dans l’intérêt de pays occidentaux. Dans nos pays supposément évolués, nous dénonçons depuis des décennies toutes les formes de violence contre les femmes, contre les minorités et contre les plus vulnérables. L’an dernier, par exemple, de nombreuses femmes, dont la présidente d’alors de la Fédération des femmes du Québec, la présidente du Conseil du statut de la femme, des femmes journalistes, des vedettes du grand écran et de la politique, ainsi que de nombreuses femmes anonymes, ont trouvé la force de révéler les agressions dont elles ont été victimes dans le passé, et pour certaines, dans un passé récent. Elles ont reçu à juste titre un soutien majeur. On a relayé leurs paroles à tous les niveaux, dans tous les réseaux, on les a crues. Rares sont ceux et celles (s’il y en a eu) qui ont prétendu que ces femmes devraient se taire afin de ne pas susciter des “amalgames” nuisibles à tous les hommes et de préserver la paix sociale. On ne les a pas accusées “d’instrumentaliser” leurs expériences,- terme dont on a tant abusé qu’il ne veut plus rien dire. Plus récemment, plusieurs femmes ayant travaillé avec Marcel Aubut ont porté plainte contre lui. Auraient-elles dû se taire pour ne pas susciter la suspicion à l’égard de l’institution qu’il représentait, le Comité olympique canadien ? Alors, quand les agresseurs sont des étrangers pourquoi faudrait-il être frappées d’aphasie et nous montrer plus tolérant-es face à la violence ? Pourquoi la rectitude politique s’exerce-t-elle dans certains cas et pas dans d’autres ? Qui en sont les bénéficiaires et les perdant-es ? Il y a "des bons et des mauvais dans tous les groupes", dit un réfugié interrogé par Radio-Canada à l’étranger. Fort bien. Mais il n’existe aucune raison d’accorder l’impunité ou des excuses aux actes des "mauvais" d’un groupe particulier qui s’en prennent à des femmes. Il est vrai que ces agressions de masse contre des centaines de femmes en Europe sont de nature à “monter” une partie de la population contre ces criminels et contre leur milieu d’origine. Je ne nie pas que ces actes risquent d’accroître la xénophobie. Mais qui sont les premiers responsables de ce "risque", sinon les agresseurs eux-mêmes, et en partie ceux et celles qui se montrent complaisant-es à leur égard ? Ces agresseurs n’ignorent pas que de tels gestes ne leur assureront pas la sympathie de la population. Ils sont sans doute conscients aussi que les sociétés occidentales possèdent en leur sein un noyau de supposé-es progressistes prêt-es à "vendre" leur âme – et les droits des femmes avec elle – pour acquérir un statut de pourfendeurs de racistes, d’islamophobes et autres xénophobes, et se poser en héros et héroïnes de “l’ouverture à l’autre”. Comme plusieurs l’ont noté en d’autres circonstances, les intégristes tirent profit de la peur alimentée par leurs actes mais aussi par ces pseudo-progressistes et des conservateurs (appelés aussi “la droite ou l’extrême droite”). En raison de cette peur, une partie de la population ferme les yeux sur ce qu’elle n’acceptait plus hier, notamment et en particulier les violences contre les femmes : elle achète la paix. Ce terrorisme patriarcal – les diverses violences - freine les avancées collectives et individuelles des femmes dans tous les domaines, elles les font même régresser. Et c’est bien là l’objectif recherché. Alors, pas étonnant que les sociétés occidentales considèrent la violence raciste beaucoup plus répréhensible que la violence misogyne. La sincérité ne suffit pas Je reconnais que plusieurs sont sincères quand ils et elles disent craindre de favoriser le rejet de "l’autre” en nommant l’origine des agresseurs. Mais sincérité et cohérence ne vont pas toujours de pair. Ces personnes “sincères” considèrent-elles que ces agressions masculines de masse contre des centaines de femmes expriment l’acceptation ou le rejet radical de “l’autre” ? Qui est “l’autre” ? Si, le 31 décembre 2015 dans plusieurs villes du monde occidental, des hommes citoyens "de souche" s’étaient réunis pour agresser des femmes immigrantes ou réfugiées, je suis certaine que ces personnes “sincères” n’auraient pas tergiversé avant de les dénoncer et de les accuser de racisme. En revanche, si les agressions massives contre les femmes avaient été commises au Québec (exemple) par des hommes immigrants ou réfugiés, surtout de souche islamiste, la rectitude politique aurait joué à fond : les discours “sincères” sur les risques d’amalgame et la nécessaire “ouverture à l’autre” auraient coulé à flot. Qu’on se souvienne du tapage médiatique qu’a provoqué, il y a un an à Montréal, la nouvelle qu’une femme musulmane – une, pas des centaines - a été agressée dans la rue : quelqu’un (homme ou femme, je ne me souviens pas) a tenté de lui enlever son voile et l’a injuriée. Inacceptable, certes, mais la dénonciation par Québec solidaire, notamment, de cette seule agression a été beaucoup plus tonitruante que la dénonciation des agressions contre des centaines de femmes en Allemagne. Les réactions des femmes En tentant d’adopter le point de vue des victimes du 31 décembre 2015 et en découvrant qu’on a moins cherché à les protéger, elles, qu’à protéger la réputation des agresseurs étrangers de peur de susciter la xénophobie, il est facile de se sentir attristée, découragée, même dévastée et en colère. De nombreuses femmes, féministes ou non, ont dû être sous le choc en apprenant ce qui s’était passé en Europe. Ces crimes contre les femmes rappellent brutalement que rien n’est à jamais acquis et qu’elles ne sont en sécurité nulle part. C’est pourquoi j’ai du mal à blâmer les femmes – féministes ou non – d’avoir soi-disant tardé à dénoncer l’inaction de la police, des autorités politiques, les agresseurs. Quand on sait que les autorités ont elles-mêmes caché l’information pendant près d’une semaine et qu’elles l’ont ensuite transmise au compte-gouttes (2) ; que de nombreuses féministes ont pu se sentir ébranlées en pensant que toutes leurs luttes contre la violence avaient peut-être été vaines, il me semble qu’on pourrait diriger le blâme vers d’autres cibles. S’il va de soi que les féministes peuvent recevoir la critique comme tout le monde (3), on conviendra que le véritable scandale, les faits en cause, ce sont les agressions massives contre des femmes par des hommes, non le discours sur les faits. En outre, quand les donneurs de leçons sont des hommes qui ne se sont pas particulièrement illustrés dans le passé par leur intérêt pour les féministes, permettez-moi d’en sourire. Les médias dans lesquels certains “officient” font-ils beaucoup de place aux réflexions et aux actions féministes ? N’ayant pas plus connaissance que d’autres de TOUT ce que TOUTES les féministes du monde ont pu dire ou ne pas dire, écrire ou ne pas écrire sur le sujet, je trouve hasardeux de distribuer les reproches à gauche et à droite. Il est préférable de maintenir le cap sur l’essentiel, c’est-à-dire sur les auteurs de ces crimes contre des femmes ainsi que sur leurs motivations. Il a toujours été plus facile de rejeter les agresseurs dans l’ombre en reprochant aux femmes de ne pas avoir fait ou dit ce qu’il fallait, d’avoir trop parlé ou pas assez, de ne pas avoir tout dit en même temps. Quant à celles et à ceux qui se voilent dans la rectitude politique, craignant plus l’amalgame que les agresseurs de femmes eux-mêmes, je les laisse à leurs lubies (qui, à mon avis, n’expriment pas l’opinion de la majorité féministe ni l’opinion majoritaire de la société). Je ne m’opposerais pas à ce qu’on considère un jour la rectitude politique comme une forme de complicité. Mais pour l’instant, la priorité est de presser les dirigeants d’agir contre toutes formes de violence faites aux femmes, où que ce soit dans le monde et quelle que soit l’origine des agresseurs. Au-delà du commentaire et de l’idéologie, il me semble en effet que ce qui intéresse principalement les victimes d’agressions est l’assurance que ces crimes ne resteront pas impunis et que les autorités prendront des dispositions pour empêcher qu’ils ne se reproduisent. Poseront-elles les gestes appropriés, efficaces ? Ou continueront-elles de sacrifier les droits des femmes à des causes jugées toujours plus importantes ? L’ouverture à “l’autre” sera-t-elle un jour un idéal partagé par l’ensemble de la collectivité, immigrant-es comme Québécois-es (Français-es, Allemand-es, etc.) d’origine ? Un jour, "l’autre" sera-t-il aussi "nous" ? – P. S. Vers le 15 janvier 2016, j’ai demandé aux ami-es et abonné-es de ma page Facebook si elles et ils voulaient se livrer à un petit exercice avec moi. Il s’agissait d’indiquer sous mon message des liens vers des articles écrits par des femmes, féministes ou non, sur ces agressions de masse en Europe. Je voulais vérifier si les féministes s’étaient si tues, comme on le laissait entendre. En quelques jours, la page enregistrait plus d’une centaine de liens à des articles. En outre, dans les semaines qui ont suivi, il y a eu des dizaines et des dizaines de liens à de nouveaux articles publiés sous d’autres messages Facebook. J’en ai conclu que certaines et certains avaient tiré des conclusions trop vite en prétendant que LES féministes avaient gardé le silence sur ces agressions de masse. Est-il étonnant et condamnable que toutes les féministes n’aient pas réagi en même temps et de la même façon ? Voici cette page Facebook où on trouvera une liste non exhaustive de liens vers des articles écrits par des femmes, féministes ou non, sur ces agressions de masse.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 janvier 2016 |
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