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mercredi 9 août 2017 Une éthique féministe pour penser la maternité de substitution
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Peut-on accepter d’oublier les femmes ? De les rendre invisibles ?
De plus en plus de médias parlent aujourd’hui de la "GPA", mettant en avant l’urgence qu’il y aurait à réglementer pour résoudre la situation administrative des enfants nés de mères porteuses, à l’étranger. Parler d’emblée et exclusivement des enfants c’est vouloir faire oublier qu’ils sont mis au monde par des femmes. Il n’y a pas d’enfant tant qu’il n’y a pas une femme pour lui donner naissance. Il faut le rappeler, pour contrecarrer l’invisibilisation des femmes organisée par les promoteurs de la "GPA". La maternité de substitution, dite "gestation pour autrui" (GPA), existe depuis plus de trente ans. Depuis une décennie, en prenant de l’ampleur, elle s’est mondialisée et rapporte chaque année plusieurs milliards d’euros à l’industrie de la reproduction humaine. Parler des risques encourus par les mères porteuses pour leur santé, pour leur vie, pour leur sécurité, n’est pas une priorité médiatique (l’exploitation, l’abus que beaucoup d’entre elles subissent ne sont pas vendeurs). En revanche, évoquer les enfants nés de mères porteuses, les présenter comme des victimes, devrait en interdire toute critique, et susciter la compassion. Peut-on accepter d’oublier les femmes ? De les rendre invisibles, pour le profit d’une industrie mondialisée qui gagne d’autant plus que les femmes sont réduites à des corps en miettes ? Pour comprendre la "GPA", il faut commencer par celles qui mettent au monde les enfants. Le féminisme offre une perspective très éclairante pour cela. En tant qu’humanisme, le féminisme nourrit l’analyse de pratiques sociales impliquant les personnes en tant que femmes ou hommes. Les inégalités entre les femmes et les hommes sont présentes dans toutes les sociétés. Malgré les stratégies et les dispositifs mobilisés pour les combattre, de nombreuses pratiques sociales sont bâties sur ces inégalités, qu’elles prolongent ou intensifient. La "GPA" est une pratique sociale dont le développement est rendu possible par l’accroissement des inégalités en défaveur des femmes. Dans les pays où la pratique est légale, les mères porteuses sont (à de très rares exceptions près) dans des situations économiques et sociales inférieures à celles des personnes commanditaires. Dans les démarches internationales, la différence de revenus et de statut est flagrante, quel que soit le pays où se trouvent les mères porteuses. Le recours à des femmes migrantes comme mères porteuses augmente (y compris en France) – profitant de la vulnérabilité des femmes. Une approche éthique féministe permettrait d’analyser cette pratique, pour en saisir la signification et les enjeux, non seulement pour les mères porteuses, mais pour toutes les femmes ainsi que pour les relations entre les femmes et les hommes. L’approche que j’envisage repose sur les travaux de la philosophe féministe roumaine Mihaela Miroiu. L’éthique qu’elle élabore consiste à partir, dans la production de normes et règles sociales, de la prémisse que nous sommes à la fois des êtres mortels, l’enfant de quelqu’un, et des (potentiels) parents. Cette situation universelle et intrinsèquement plurielle permet de porter le regard aussi bien sur soi-même (en tant qu’être mortel et confronté à la finitude) que sur le monde environnant, comme héritage dont nous bénéficions de la part de nos parents, et que nous laisserons à nos (éventuels) enfants. Éthique féministe C’est pour ce monde, dans lequel vivra notre possible descendance, que nous devons établir les normes et les règles qui nous semblent convenir. Il s’agit de penser ce qui est convenable en rapport avec soi-même (en se posant la question de savoir si j’aimerais être traité(e) selon telle norme, si je me trouvais dans telle situation), ainsi que de l’appréhender de manière plus large. Pour savoir "ce qui convient le mieux", chacun(e) devrait répondre à la question portant sur les biens premiers (notamment sur les libertés) dont ses descendants devraient bénéficier pour bâtir la vie qui leur conviendrait le mieux, quelles que soient par ailleurs leurs qualités et leurs spécificités. Choisir ce positionnement éthique permet de s’adapter au fonctionnement des sociétés contemporaines, caractérisées par la fluidité et l’incertitude. Fonder son éthique sur ce qui nous paraît nous convenir le mieux, présenterait ainsi l’avantage d’intégrer, en les croisant, les aspects relevant du déterminisme (se rapporter à soi comme descendant-e de ses parents) et du contrat rationnel (assumer sa capacité d’agir, et les conséquences de ses actes dans l’avenir), tout en plaçant l’individu dans le monde et dans la société, par son inscription généalogique réelle et/ou symbolique. La maternité étant une expérience spécifique des femmes, je propose de réfléchir à la maternité de substitution à titre personnel et en tant que parent (potentiel) d’une fille. L’éthique féministe, basée sur le critère de "ce qui convient le mieux", s’appuierait sur un double questionnement : si je me trouvais dans la même situation que cette femme qui agit comme mère porteuse, souhaiterais-je être traitée comme elle l’est ? et souhaiterais-je que ma fille soit traitée comme cette mère porteuse l’est ? La réponse à ces deux questions constituerait une base compréhensive et empathique à partir de laquelle la maternité de substitution pourrait être appréhendée, aussi bien sur le plan des principes que dans sa matérialité. Des mères porteuses indiennes, interrogées par des chercheuses françaises "(...) sur la possibilité que leur propre fille puisse devenir un jour gestatrice à son tour, (...) y voyaient le signe d’un échec de leur propre GPA à changer la vie de leur famille". Une éthique féministe qui amènerait à se projeter dans une expérience de mère porteuse – à titre personnel et en tant que parent potentiel-le d’une fille -, permettrait de réfléchir aux modalités que revêt cette pratique à travers le monde. Réfléchir aux possibilités de choix qui s’offrent aux femmes, à leurs conditions de vie et à leurs chances de les voir changer. Réfléchir aux responsabilités collectives et politiques engagées pour améliorer la vie des femmes. Réfléchir au rapport entre les conditions réelles d’émancipation et d’autonomie des femmes, et les intérêts économiques nourris par leurs activités, notamment des plus démunies, souvent migrantes, surtout dans les domaines où les ramène le discours essentialiste : le soin et le « don de soi ». Est-ce en faisant ce « choix » (le plus souvent contraint), qu’elles trouvent ce qui leur convient le mieux ? Est-ce en faisant ce choix, si vous étiez à la place de cette femme, que vous trouveriez ce qui vous convient le mieux ? L’auteure Ana-Luana Stoicea-Deram, militante féministe et Présidente du Collectif pour le Respect de la Personne. Formatrice en politiques sociales, Institut de Recherche et de Formation à l’Action Sociale de l’Essonne (IRFASE) * Publié aussi le 8 mars 2017 dans Le Huffington Post France. Merci à l’auteure de proposer ce texte à Sisyphe. Mis en ligne sur Sisyphe, le 9 mars 2017 |
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