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mardi 30 mai 2017

Faut-il jouer à la guerre pour être un garçon ?

par Jacques Brodeur, consultant en éducation et en prévention de la violence






Écrits d'Élaine Audet



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Récemment, le ministre de l’Éducation du Québec commentait favorablement une nouvelle en provenance de la MRC des Sources où l’on recommande la mise en place de mesures tolérant les jeux de guerre en garderie (1). Cela répondrait, semble-t-il, aux besoins des enfants de sexe masculin. Voilà une suggestion peut-être bien intentionnée, mais mal avisée et imprégnée de stéréotypes peu propices à une éducation saine.

L’idée peut sembler banale si l’on accepte la vie que nous proposent les films violents, les émissions de télévision violentes, les jeux vidéo violents et les orientations belliqueuses du nouveau président des États-Unis. Malgré tous les efforts déployés par les industries du divertissement pour imposer la violence comme appât commercial, la guerre n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais un jeu. C’est la pire invention humaine, la plus sale, la plus cruelle, la plus polluante, la plus déshumanisante, la plus ignoble, la plus terrifiante et la plus coûteuse. Véhiculer, par le jeu ou autrement, le culte de la guerre en milieu scolaire est une catastrophe.



La violence et l’ignorance sont parmi les plus anciennes ennemies de l’humanité. Si notre espèce a pu survivre et se développer, c’est parce que nos ancêtres ont développé l’empathie, la compassion, la coopération entre membres de notre espèce et avec d’autres espèces (2). C’est parce que nos ancêtres ont pris soin de leurs bébés pendant les années où leur socialisation s’est développée, et avec elle leur intelligence.

Les budgets militaires décrétés par le nouveau président des États-Unis nous aident à comprendre l’ampleur des profits qui font saliver les actionnaires des industries du complexe militaro-industriel. C’est contre le pouvoir abusif de ce complexe que nous mettait en garde le défunt Président des États-Unis, Dwight Eisenhower, au moment de quitter la Maison blanche en janvier 1961 (3). Avec ce sur-financement, combiné aux politiques qui aident les riches à cacher leurs revenus dans des paradis fiscaux ainsi qu’aux coupures budgétaires dans les services sociaux, on peut dire que nos voisins états-uniens sont triplement perdants.

Tout en reconnaissant que des intervenant-e-s auprès d’enfants d’âge préscolaire croient bien faire, nous avons plusieurs motifs de nous objecter. Oui, les enfants ont besoin de bouger, grimper, sauter, escalader, danser, et même de se chamailler. Mais entre, d’un côté, ces activités physiques qui font du bien au corps, y compris au cerveau, et, de l’autre côté la guerre, il y a un fossé. Et ce fossé il est glauque, périlleux, rempli de matières culturelles toxiques.


Le CPE et la garderie sont des endroits où les petits, filles et garçons, découvrent que les autres ne sont pas des rivaux, ni des ennemis. Les valeurs à inculquer à nos enfants doivent englober l’empathie, la compassion, l’entraide, la coopération, l’égalité, la justice. Laisser croire que les jeux de guerre sont nécessaires aux garçons, et ce dès la garderie, parce que les garçons ont besoin de bouger est un concept tordu et sexiste. Les filles ont tout autant besoin de bouger que les garçons.


Les spécialistes de l’éducation physique, qui prônent les vertus du sport dans nos écoles, ont déjà élaboré un programme d’activités d’apprentissage de la coopération et de l’opposition. Et tous et toutes savent que lorsque l’opposition prend le pas sur la coopération, la compétition devient un poison. 
Un programme expérimenté dans des écoles du Québec propose aux enfants l’apprentissage de la bravoure ou du courage en pratiquant deux exercices bien simples.

1) Raconter. Quand tu exprimes ce qui te fait fâcher, ce qui te fait peur ou de la peine, ces émotions sortent de toi et tu guéris. Tu remplaces une journée gâchée par une journée lumineuse. Et quand ces émotions sont ex-primées, tu guéris, tu deviens brave.
2) Consoler. Quand tu vois quelqu’un avoir peur, au lieu de continuer ton chemin et de l’abandonner, tu t’approches, tu questionnes, tu rassures et tu vas chercher de l’aide ou tu accompagnes cette personne jusqu’à la surveillante. Et ce faisant, tu deviens brave. 


Voilà des attitudes à inculquer aux enfants filles ou garçons le plus tôt possible, au lieu de leur faire admirer Spiderman, Pikachou ou des Tortues Ninja. Ces attitudes, accompagnées de valeurs pro-sociales, aideront à prévenir les guerres au lieu de s’en amuser, de les banaliser ou de s’y résigner. On ne gagne rien en jouant à la guerre. La guerre ne produit que des perdants.

Il ne s’agit pas de bannir les activités physiques, y compris celles d’opposition, mais plutôt de les encadrer, de les civiliser. Et ce pour les filles comme pour les garçons. Il existe plusieurs jeux d’opposition sains. Ils servent d’exutoire quand ils sont accompagnés de conditions pédagogiques précises et indispensables. Refouler et défouler font partie du langage populaire mais sont aux antipodes d’une éducation saine, libératrice, énergisante et valorisante.


En 1987, à une époque où l’on chantait encore "Quand les hommes vivront d’amour", l’association sans but lucratif Pacijou avait publié un guide pédagogique intitulé "Cessez le feu" (4). On y proposait des activités scolaires pour stimuler la production "d’anticorps" à la culture guerrière des GI Joe, Transformers et consorts. Ces séries télévisées commerciales états-uniennes, suivies quelques années plus tard par les Power Rangers, ont servi de prétexte pour augmenter les doses de violence proposées (imposées) aux cerveaux des enfants en Amérique et dans plusieurs pays du monde. La déréglementation de la publicité destinée aux enfants américains, avec l’appui du veto présidentiel de Ronald Reagan au milieu de la décennie 1980, avait fait proliférer cette culture guerrière (5).


Avec la frénésie des jeux vidéo violents, la culture guerrière n’a pas seulement marqué des points sur le marché des jouets, mais aussi, hélas, dans l’esprit des enfants et de leurs parents (6). La perte d’empathie, constatée entre 1979 et 2009, figure en tête de liste des dommages collatéraux constatés par la chercheuse Sara Konrath, de l’université du Michigan (7). 


Si les centres de la petite enfance cherchent des moyens efficaces pour faire bouger les garçons ET les filles, pour canaliser leurs énergies, il faut chercher du côté du pacifisme, et non celui du militarisme.

La présence des jeux de guerre en garderie fait résonner des sentiments horribles quelques jours après des années de bombardements en Syrie et en Afghanistan, avec récidive récente au début du mois d’avril 2017, au moment où l’humanité retient son souffle devant les préparatifs militaires en cours autour de la Corée et de la Chine.

Notes

1. Radio-Canada, Sherbrooke, 12 avril 2017. Nouvelles

2. "Penser coopération plutôt que compétition", Yves Sciama, Science et vie, Avril 2013.

3. "Ike’s Warning Of Military Expansion, 50 Years Later". NPR, 17 janvier 2011.

4. Cessez le Feu, Pacijou, Fidès, 1987.
5. Le récit de cette décision présidentielle est rapporté dans un article décrivant les bienfaits d’une loi québécoise votée au Québec en 1976, un des joyaux de la Révolution tranquille. "In the Name of Freedom, Advertising that Targets Children Must become Illegal". Jacques Brodeur, 28 mai 2015, Action Coalition for Media Education.
6. "Violent Video Games, Providing Boys the Skill, the Will and the Thrill to Kill". Boy Culture Encyclopedia, 2010.

7. "Empathy, College Students Don’t have As Much As They Used To". Dr Sara Konrath, Université du Michigan, mai 2010. 


Mis en ligne sur Sisyphe, le 24 avril 2017



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Jacques Brodeur, consultant en éducation et en prévention de la violence
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Jacques Brodeur a enseigné durant 30 ans et œuvre comme consultant, conférencier et formateur dans les domaines de l’éducation à la paix, l’éducation aux médias, la prévention de la violence et la promotion de saines habitudes de vie.



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  • Faut-il jouer à la guerre pour être un garçon ?
    (1/2) 1er mai 2017 , par

  • Faut-il jouer à la guerre pour être un garçon ?
    (2/2) 24 avril 2017 , par





  • Faut-il jouer à la guerre pour être un garçon ?
    1er mai 2017 , par   [retour au début des forums]

    Vous avez raison en écrivant : "La guerre n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais un jeu. C’est la pire invention humaine, la plus sale, la plus cruelle, la plus polluante, la plus déshumanisante, la plus ignoble, la plus terrifiante et la plus coûteuse. Véhiculer, par le jeu ou autrement, le culte de la guerre en milieu scolaire est une catastrophe.
"

    Il faudrait le répéter souvent. On oublie vite.

    Toutefois, il me semble que vous avez tort en écartant de l’éducation la préparation à la compétition hostile. L’humain a besoin d’apprendre à affronter toutes les situations qu’il pourrait rencontrer et aucune société ne peut lui garantir qu’il échappera toujours à la confrontation violente avec les autres.

    Quand les petits garçons miment les combats de chevaliers ou des carambolages de voitures (les petites filles s’y adonnent moins), cela n’implique pas qu’ils s’apprêtent à déclencher des guerres. Ils se préparent à se battre pour la femme de leurs rêves, pour la survie de leurs descendants, pour la réalisation de leurs projets - constructifs ou pas ...

    Faut-il jouer à la guerre pour être un garçon ?
    24 avril 2017 , par   [retour au début des forums]

    merci pour ce beau texte, juste et bien documenté, qui apaise ma colère ! nous avons tellement lutté dès 1980 pour éliminer les stéréotypes de ce genre !quand j’ai lu que les milieux des garderies non seulement acceptaient, mais encourageaient les jeux de guerre ,j’ ai eu honte pour nous, gens du milieu de l’éducation. Je n’arrive pas à y croire...
    F. Monville Sauvage, ex-directrice de garderie, ex directrice d’école Montessori.
    Maria Montessori doit se retourner dans sa tombe !


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