| Arts & Lettres | Poésie | Démocratie, laïcité, droits | Politique | Féminisme, rapports hommes-femmes | Femmes du monde | Polytechnique 6 décembre 1989 | Prostitution & pornographie | Syndrome d'aliénation parentale (SAP) | Voile islamique | Violences | Sociétés | Santé & Sciences | Textes anglais  

                   Sisyphe.org    Accueil                                   Plan du site                       






mercredi 6 décembre 2017

France - L’histoire inavouable de la loi sur la résidence alternée

par Patric Jean, auteur et réalisateur






Écrits d'Élaine Audet



Chercher dans ce site


AUTRES ARTICLES
DANS LA MEME RUBRIQUE


Pensions alimentaires : une étude farfelue remise au gouvernement
France - Quand le gouvernement se penche sur la "fraude" des mères !
L’emprise des écrans sur les enfants : la résistance s’organise
Une meilleure protection des conjointes de fait est devenue nécessaire
France - Projet de Loi sur la famille d’inspiration masculiniste encore plus d’asservissement pour les femmes et les enfants
Union de fait et pension alimentaire - La Cour d’appel donne raison à Lola
La télé, complice de la pandémie d’obésité chez les enfants
Pensions alimentaires pour enfants - La Cour suprême donne raison à une étudiante monoparentale
Non à l’imposition d’une résidence alternée pour les enfants de parents séparés par défaut !
Protection juridique des conjointes de fait - Au-delà des 50 millions $, il y a les autres femmes
Ontario - La campagne "Un seul droit de la famille pour toutes les femmes"
Pensions alimentaires des enfants - La campagne continue auprès des député-es
Des idées reçues compromettent la sécurité des enfants lors des litiges de garde (Partie I)
Des idées reçues compromettent la sécurité des enfants lors des litiges de garde (Partie II)
La résidence alternée, une loi pour les adultes ?
Garde partagée ou résidence alternée : l’enfant d’abord
Autres textes de Jacques Brodeur sur Sisyphe
Un toutou, une p’tite poupée ou un bébé ?
Les enfants des femmes victimes de violence conjugale - mieux les connaître pour mieux les aider
Le Livre noir de la garde alternée
Courte-pointe d’un amour infini : Éloïse et Loïse
Punir les enfants pour les iniquités des pères
La DPJ et la chasse aux sorcières contre les mères
Les pères continuent à ne pas faire leur part
Mythes et faits sur la détresse "des" hommes
Une mère belge proteste contre un soutien ministériel à des masculinistes
Du calme, Dr Chicoine
« Lyne la pas fine » a son voyage
Des lunettes féministes au secours des enfants
Réforme des services de garde : Lettre d’une maman à la ministre Carole Théberge
Des mères privées de leurs enfants à cause des préjugés sexistes de la DPJ - suite
Un recul, un affront, un geste politique inacceptable
Garde des enfants - Les pères ont-ils raison de se plaindre ?
La garde alternée : au nom des femmes ?
Quand les pères se vengent
Garde partagée ou résidence alternée : l’enfant d’abord
La machine à broyer les solidarités
L’enfant, prétexte de toutes les dérives des pouvoirs ?
Mythes et réalités sur la garde des enfants et le droit de visite
L’influence des groupes de pères séparés sur le droit de la famille en Australie
Un choix parental féministe et subversif : donner le nom de la mère
La paranoïa paternelle triomphera-t-elle ?
Mémoire au Comité fédéral, provincial et territorial sur le droit de la famille, sur la garde, le droit de visite et les pensions alimentaires pour les enfants
Un programme qui prive les enfants de leur mère
Les enfants du divorce ont besoin de notre protection
La « responsabilité parentale » tiendra-t-elle ses promesses ?
Les partisans des "droits des pères" veulent imposer la garde partagée obligatoire







Ce jeudi 30 sera discutée à l’Assemblée nationale une proposition de loi sur la résidence alternée. Toute innocente qu’elle paraisse à la première lecture, elle résulte d’un processus dangereux* qu’il est utile de mettre en lumière.

Cette histoire vient de loin. Depuis trente ans, des mouvements d’hommes se sont organisés dans différents pays occidentaux pour contrer les avancées des femmes vers l’égalité. Parfois autoproclamés "masculinistes" ou "homistes", ils ont l’ambition de construire le pendant et exact inverse du mouvement féministe qu’ils considèrent comme un "fémi-fascisme". S’inspirant des théories les plus réactionnaires, essentialistes, ils se sont souvent illustrés par des méthodes violentes et des propos homophobes.

Ayant moi-même, comme je l’ai raconté ici, infiltré ces mouvements au Québec pour les besoins d’un film, "La domination masculine", j’ai pu enregistrer à la source toute leur stratégie dont le produit législatif est actuellement discuté à l’Assemblée nationale française. A l’époque, entre 2006 et 2007, à la suite des britanniques et très violents "Fathers for justice", ces mouvements nord-américains organisaient leur mutation. Ils avaient compris que la lutte "pour les droits des hommes" n’était plus tolérable dans une société qui prenait en compte les violences faites aux femmes. Ils m’ont donc littéralement expliqué comment ils construisaient une vitrine plus sympathique et plus vendable dans les médias : "les droits des pères" dont il fallait mettre "la souffrance" en scène.

Il s’agissait de populariser l’idée que si les hommes n’étaient pas bafoués en tant que tels, ils l’étaient en tant que pères. En effet, les changements culturels et législatifs permettant aux femmes de demander facilement le divorce, les "chefs de famille" traditionnellement masculins se voyaient privés d’un pouvoir totalitaire sur leur conjointe. Celle-ci pouvait tout à coup partir et même, comble de l’inacceptable, porter plainte contre son mari, en cas de violence. Enfin, l’idée de verser une pension alimentaire après le divorce était absolument insupportable à ces hommes qui cherchaient une revanche. Il s’agissait donc de faire croire que les hommes étaient "maltraités" et qu’ils se suicidaient en masse (en réalité, les femmes commettent plus de tentatives mais rarement avec des armes à feu).

Leur stratégie était organisée quand j’ai moi-même enquêté : d’abord nier l’existence de la violence conjugale (ou la réduire à quelques cas exceptionnels) puis démontrer que les pères sont brutalement écartés de leurs enfants par une "justice féministe". Au début de cette période, les actions consistaient à grimper sur des ponts et monuments à Londres et Montréal, déguisés en super-héros avec des banderoles "papa t’aime" déployées devant les caméras. Les hommes qui s’y sont adonnés étaient souvent condamnés et multirécidivistes pour violences conjugales, enlèvements, mais la presse n’y vit que du feu.

La seconde étape, une fois l’attention attirée, consistait à convaincre des députés de déposer des projets de lois pour freiner les possibilités pour les femmes de s’en tirer un peu moins mal après divorce.

En France, la même histoire s’est répétée avec un décalage de plusieurs années et le même écho favorable dans la presse. Pourtant, "SOS Papa" était à peine créée quand certains de ses membres et "représentant charismatique" organisèrent l’enlèvement d’une mère en vue de l’assassiner (phase violente). Ils se rapprochèrent de "La manif pour tous" pour contrer les droits des homosexuels (idéologie ultra-conservatrice et homophobe) et mutèrent vers le lobbying politique après un spectacle médiatique donné par un membre en haut d’une grue de Nantes (il a ensuite été emprisonné pour enlèvement d’enfant en récidive).

Cette semaine, comme presque chaque année, un député se laisse convaincre de déposer un projet de loi sous la dictée de ces mouvements masculinistes. Se fondant sur sa propre rancœur issue d’une séparation qui s’est mal déroulée (de son propre aveu), le député (MoDem, de Vendée) Latombe a déposé une proposition qui sera discutée à l’Assemblée le 30 novembre. La dernière fois, c’était le très douteux député Denis Baupin qui était à la manœuvre...

La signature des organisations masculinistes de cette proposition de loi apparaît par la maladresse (il ne manque que les fautes d’orthographe) et le mensonge à propos des statistiques. Le titre concerne "la garde alternée" (au lieu de "résidence"), expression qui a disparu du droit français depuis trente ans mais continue de faire florès dans la littérature masculiniste.

En ce qui concerne les chiffres présentés dans l’exposé des motifs, ils représentent un copier-coller des tracts d’associations masculinistes. Pourtant, en France, les analyses des décisions rendues par les juges aux affaires familiales publiées par la chancellerie sont transparentes :

. 80% des parents séparés se mettent d’accord spontanément sur la garde des enfants, 10% sont en désaccord (et près de 10%, le plus souvent le père, ne se présentent pas devant le ou la juge...)
. plus de 75% des pères ne veulent pas de la résidence alternée (qui entraîne les tâches domestiques et parentales afférentes)
. et au total, 93,4% des demandes des pères et 95,9% de celles des mères sont satisfaites par le juge.

Lorsque l’on sait avec quelle fréquence et quel sexe commet les violences conjugales, on ne peut que s’étonner de cette proximité des résultats pour les pères et mères.

Ces réalités statistiques sont inlassablement rappelées par toutes sortes d’institutions (comme le Haut Conseil à l’Égalité femmes hommes), d’associations (la Fédération nationale solidarité femmes, responsable du numéro 3919) de syndicats (le Syndicat de la Magistrature, par ex) et de chercheur.re.s.

Néanmoins, les porte-parole des associations masculinistes et leurs lobbyistes ne cessent de répéter comme un mantra que les pères sont maltraités par la justice.

Plus grave encore, comme l’a révélé le collectif Abandon de famille, la double domiciliation imposée par la loi en discussion impliquera que les allocations familiales (et abattement fiscaux) seront partagés à 50-50 entre les deux parents, même si l’un (presque toujours le père) ne désire voir ses enfants que deux fois par an. Cela entraînera aussi la baisse des APL d’un certain nombre de mères isolées.

Un beau cadeau pour ceux qui militent depuis trente ans pour la fin des pensions alimentaires, sachant que les mères qui ont le plus souvent la charge des enfants ont, en moyenne, des salaires très inférieurs à ceux des pères. Et l’on vous parlera de "l’égalité femmes hommes, grande cause du quinquennat."

Il ne restait au député Latombe qu’à conclure que les pères se suicident très souvent (l’argument faux, mais phare des masculinistes) et que les violences faites aux femmes "sont des tartes à la crème", pour bien nous rappeler l’histoire de sa proposition de loi et l’idéologie qui la sous-tend.

On peut, en revanche, s’étonner de voir la secrétaire d’État aux Droits des femmes et les député.e.s La République En Marche soutenir une démarche dont on ne peut plus taire la perversion.

Espérons qu’ils et elles prendront conscience à temps de la réalité des faits.

 Patric Jean est l’auteur de Les hommes veulent-ils l’égalité ? et auteur et réalisateur de La Domination masculine.

 Publié initialement dans Le Huffington Post France et sur Sisyphe avec l’autorisation de l’auteur.

 Lire aussi : Priorité à la garde alternée : "Pour une victime de violences conjugales, c’est l’enfer".

* Le mouvement masculiniste au Québec. L’antiféminisme démasqué, Nouvelle édition revue et augmentée, sous la direction de Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri, éditions du Remue-ménage, 2015, 320 p.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 27 novembre 2017



Format Noir & Blanc pour mieux imprimer ce texteImprimer ce texte   Nous suivre sur Twitter   Nous suivre sur Facebook
   Commenter cet article plus bas.

Patric Jean, auteur et réalisateur


modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.


    Pour afficher en permanence les plus récents titres et le logo de Sisyphe.org sur votre site, visitez la brève À propos de Sisyphe.

© SISYPHE 2002-2017
http://sisyphe.org | Archives | Plan du site | Copyright Sisyphe 2002-2016 | |Retour à la page d'accueil |Admin