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mercredi 27 novembre 2019 Tuerie antiféministe de Polytechnique 30 ans plus tard Protéger les femmes en danger doit être la priorité absolue
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Chaque année, à la date anniversaire de la tuerie de Polytechnique, désormais connue dans le monde entier sous le nom de Montreal Massacre, je repense comme bien d’autres à ce que je faisais ce jour-là. Ma plus jeune fille, âgée de deux ans, jouait devant la télé quand j’ai entendu la nouvelle d’une tuerie en cours à Polytechnique. Mon aînée, âgée de 6 ans était à l’école. J’ai frémi en apprenant que les victimes étaient toutes des jeunes femmes. Qu’arriverait-il à mes filles dans un monde aussi dangereux pour les femmes ?
La violence contre les femmes prend plusieurs formes, mais la plus mortelle de toutes est celle qui s’exerce à l’intérieur du couple. Chez nous comme partout dans le monde, la plupart des femmes assassinées tombent sous les coups de leur conjoint. Ce tragique 6 décembre 1989, Marc Lépine a fait 14 victimes, mais depuis, il y a chaque année au Québec l’équivalent d’une tuerie semblable : « Bon an mal an, une douzaine de Québécoises sont tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. » (1). Des femmes assassinées, tout comme les victimes du carnage de Polytechnique, parce qu’elles étaient des femmes.
À cette différence près que les victimes de féminicides conjugaux sont tuées une à une, à différents moments de l’année, mais le plus souvent au moment où elles essaient d’échapper à un partenaire dominateur, obsédé par la volonté de les contrôler.
Chaque année, à l’occasion du 6 décembre, les politiques et les éditorialistes s’indignent de la violence faite aux femmes et réclament, pour l’enrayer, l’imposition de peines plus lourdes aux agresseurs. Or, les femmes assassinées n’ont que faire des beaux discours ou des peines plus ou moins sévères imposées à leur meurtrier. Qu’est-ce que les victimes de féminicides auraient voulu ? Si elles pouvaient parler, que demanderaient-elles avant tout ?
« Je ne voulais pas mourir ».
En France, des membres du groupe Femen ont récemment manifesté dans le Cimetière Montparnasse, pour dénoncer l’inaction du gouvernement face aux féminicides. Le corps enduit de cendres, elles ont brandi des affiches noires portant le prénom et l’âge des femmes tuées par des hommes depuis le début de l’année en France. Elles avaient inscrit sur leurs poitrines nues les paroles qu’auraient pu prononcer les femmes tuées. Le plus poignant de ces messages d’outre-tombe était aussi le plus simple : « Je ne voulais pas mourir ». (2)
Ce que les femmes assassinées auraient voulu, c’est qu’on les protège de leur vivant, qu’on fasse le nécessaire pour empêcher l’homme qui les terrifiait de passer à l’acte, car bien souvent, elles se savaient en danger de mort.
Pour lutter contre la violence masculine qui s’exerce dans le couple, il faut, bien sûr, financer et soutenir adéquatement les refuges qui accueillent les femmes dans l’urgence. La société québécoise doit beaucoup au regroupement de maisons pour femmes victimes de violence conjugale, et à divers refuges fondés et maintenus grâce à la générosité admirable de celles qui y consacrent leur vie. Combien de meurtres ces centres ont-ils réussi à éviter ? Combien de femmes brutalisées à un moment de leur existence leur doivent la vie ?
Il est urgent cependant de faire beaucoup plus pour protéger les femmes aux prises avec des hommes qui ne vivent que pour les dominer. Des femmes qui se savent menacées, et dont l’existence est parfois devenue, faute d’aide suffisante de la police et de la Justice, un terrifiant jeu de roulette russe. Protéger les femmes, c’est possible
Il est intolérable que des femmes vivent dans la peur de leur conjoint ou de leur ex au Québec, car il existe des moyens efficaces pour les protéger, des moyens qui ont fait leurs preuves ailleurs dans le monde.
Ainsi, l’Espagne a réussi à réduire de moitié le nombre de femmes tuées par leur compagnon, à la suite du tollé général suscité par un meurtre conjugal particulièrement atroce. (3) Mais pour y arriver, l’État espagnol a pris les grands moyens. Il a affecté une somme colossale – un milliard d’euros - à une batterie de mesures axées sur la protection des femmes. Il a créé des tribunaux spécialisés dans les affaires de violence conjugale et des unités policières chargées exclusivement de ces cas. Les parties sont entendues dans les 72 heures de la plainte et le procès doit avoir lieu dans les 15 jours. La dangerosité de l’accusé est évaluée et si on estime que la femme est en danger, on affecte une équipe de police à sa protection jusqu’au procès. Les agresseurs jugés dangereux sont obligés de porter un bracelet électronique qui signale à la police et à la victime leur incursion dans le périmètre qui leur est interdit. Toutes les victimes se voient proposer des options de relogement, de l’aide matérielle et un soutien psychologique.
Bref, il existe bel et bien des moyens de protéger les femmes maltraitées contre leur conjoint si on est déterminé à le faire. Au lieu d’abandonner ces citoyennes à leur sort, pourquoi l’État québécois ne s’inspire-t-il pas des mesures efficaces instaurées ailleurs dans le monde pour enrayer cette violence ?
La protection des femmes en danger doit être la priorité absolue de l’État et de la Justice. Face à la persistance de ces crimes odieux, le temps n’est plus aux discours affligés, aux campagnes de sensibilisation ni aux demi-mesures. Les femmes du Québec comptent. En tant que société, nous leur devons au minimum une protection réelle contre ceux qui les frappent, les tyrannisent et les menacent de mort.
Notes 1. Des femmes tuées parce qu’elles sont des femmes Source photo : Le Point, 5 octobre 2019.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 novembre 2019 |
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