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dimanche 14 juin 2020 Micheline Carrier : l’indispensable courage
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We will know that we are free when pornography no longer exists La pornographie ne libère pas la sexualité, elle la nie Le 22 juin marque le premier tour d’horloge depuis le décès de Micheline Carrier, journaliste engagée dont la pensée a laissé son empreinte sur le féminisme québécois. Micheline était une conscience, une voix singulière, pas un écho répercutant les idées à la mode. Foncièrement allergique aux faux-fuyants et aux demi-vérités, elle ne reculait ni devant les attaques personnelles, ni devant les injures qui trop souvent tiennent lieu d’arguments. Face aux condamnations d’une certaine intelligentsia qui tente encore aujourd’hui d’imposer ses dogmes à la population du Québec, elle n’a jamais abdiqué son esprit critique. En tant que journaliste indépendante et pigiste, elle a plus d’une fois fait les frais de cette intégrité intellectuelle. Pour avoir levé le voile sur des réalités que certains voulaient occulter, Micheline a payé de sa personne et de sa sécurité financière. Un jour, elle a proposé à la revue Châtelaine, qui avait déjà publié plusieurs de ses articles, un reportage qui révélait le harcèlement sexuel subi par les secrétaires de députés et d’autres employées des milieux politiques au Québec. La revue avait refusé de le publier, car il mettait en cause des députés dont on ne voulait pas ébruiter les comportements abusifs. C’était encore l’omertà sur le harcèlement sexuel. Ayant compris que des pressions politiques avaient été exercées, Micheline avait mis fin par principe à sa collaboration avec Châtelaine.
C’était plus de trente ans avant les révélations du mouvement Me Too.
La pornographie Comme journaliste, Micheline Carrier allait résolument là où personne n’osait s’aventurer. Les sujets épineux, voire explosifs, ne la rebutaient pas. Elle a été la première Québécoise à signer un reportage-enquête sur la pornographie. Elle s’est imposé l’examen de revues et de films pornographiques, afin de pouvoir en parler en connaissance de cause à un lectorat féminin peu conscient de leur véritable contenu. Après avoir visité des bars de danseuses et parlé aux femmes et aux adolescentes qui y travaillaient, elle a décrit la réalité crue de ces milieux qui poussaient comme des champignons partout au Québec et dont la prospérité reposait essentiellement sur l’exploitation sexuelle de jeunes femmes. Depuis, beaucoup de ces commerces ont évolué pour devenir des "bars à gaffe", c’est-à-dire des bordels qui n’osent pas dire leur nom.
Quant à la pornographie dont elle dénonçait déjà la misogynie et la violence, rappelons que c’était celle qui avait cours à l’époque. De la petite bière à côté de celle que l’on trouve au premier clic sur Internet aujourd’hui.
Dans un livre paru par la suite, elle avouait être encore "écorchée vive" par ce qu’elle avait découvert : "Il m’a fallu six mois pour me remettre des quatre mois consacrés à une recherche ’sur le terrain’ dans le domaine de la pornographie. Guérit-on tout à fait de la blessure qu’inflige cette violence ?" Dans cet ouvrage dont le titre exprime sa conviction profonde, La pornographie, base idéologique de l’oppression des femmes, Micheline exprimait ce qu’encore peu de féministes avaient compris à l’époque : "La pornographie est la très fidèle servante de la loi patriarcale." Outil d’asservissement et non de libération, "La pornographie transpose sur le plan des comportements sexuels une domination que les hommes, en tant que classe, exercent sur les femmes dans tous les domaines de la vie". À ce titre, elle modèle les comportements misogynes et présente des scènes de viol et de dégradation des femmes.
Micheline avait pressenti le danger que présente la propagande pornographique, particulièrement pour des jeunes dont la sexualité est en devenir. Ses craintes étaient fondées. D’après des études récentes, de plus en plus d’adolescents font pression sur leur partenaire pour qu’elle consente à des pratiques sexuelles qui ne sont guère agréables pour elle, et souvent même douloureuses, comme le coït anal. Dans la pornographie, ce qui importe, c’est le plaisir de l’homme. Le message pour les jeunes femmes est clair.
L’idéologie transgenre
Peu avant son décès, Micheline avait pris position sur un autre sujet explosif : l’idéologie transgenre. Elle y voyait une nouvelle astuce du patriarcat pour contrer les avancées des femmes. La plupart des activistes transgenres sont des "femmes trans", c’est-à-dire des hommes qui prétendent être des femmes. La théorie du genre était à ses yeux une idéologie fallacieuse par laquelle des hommes exigeaient d’avoir accès aux espaces réservés aux femmes (toilettes, vestiaires, refuges pour victimes de violence, prisons pour femmes), un cheval de Troie qui aurait pour effet d’anéantir les gains faits par les femmes dans divers domaines. C’est ce qui se produit actuellement dans le domaine des sports notamment, ou des athlètes masculins peuvent prendre part aux compétitions féminines et rafler toutes les médailles, pourvu qu’ils déclarent "se sentir femmes".
Quand on voit le traitement immonde réservé à l’écrivaine J.K. Rowling, elle-même victime de violence conjugale, pour avoir simplement osé dire que seules les femmes ont des menstruations, on mesure le courage qu’il faut encore aujourd’hui pour s’opposer aux dogmes qui ont cours. Un périodique anglais est allé jusqu’à publier en première page une photo de l’ex-mari de Rowling se vantant de l’avoir brutalisée : "Je l’ai frappée et je ne le regrette pas." Et quand on voit des activistes transgenre exercer de façon tout à fait décomplexée - et sans encourir de réprobation sociale - la pire violence verbale envers celles qui refusent de céder à leurs exigences, on comprend que le patriarcat est loin d’avoir dit son dernier mot.
Les médias sociaux
Encore aujourd’hui, tout comme dans le temps des suffragettes, les femmes qui tiennent tête aux hommes détenteurs du pouvoir sont injuriées, menacées de viol ou même de mort sans que l’on ne s’en émeuve. La gestion des médias sociaux est aussi entre les mains d’hommes qui réduisent au silence les dissidentes de l’idéologie transgenre en fermant leur compte. Twitter a banni plusieurs féministes critiques de la théorie du genre comme Meghan Murphy, qui n’ont jamais préconisé la moindre violence, mais héberge encore leurs détracteurs qui se répandent en menaces et en attaques ignobles contre elles. L’ironie suprême, c’est que cette chasse aux sorcières moderne se fait sous couvert de féminisme.
Dotée d’une indépendance d’esprit hors du commun, Micheline Carrier percevait derrière tous ces phénomènes sociaux le jeu des forces en présence. Dans la pornographie, puis dans le mouvement masculiniste et dans l’idéologie du genre, elle voyait la riposte d’une société patriarcale déterminée à maintenir les femmes en situation d’infériorité et trouvant sans cesse de nouveaux moyens de le faire.
Aujourd’hui plus que jamais, il importe de ne pas nous laisser leurrer par les nouveaux habits de la misogynie. Dans sa quête de justice pour les femmes, Micheline Carrier a incarné cette exigence : regarder les choses en face, refuser d’abdiquer son esprit critique et se tenir debout.
Car dans le combat pour notre dignité et pour la reconnaissance de nos droits, le courage sera toujours une nécessité primordiale.
Micheline Carrier, La pornographie, base idéologique de l’oppression des femmes, Apostrophe, 1983.
Andrea Dworkin, Pornography : Men Possessing Women, New York, The Putnam Pubishing Group, 1981.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 19 juin 2020 |
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