Chanson inspirée par la mort de Marie Trintignant, tuée par son conjoint Bertrand Cantat, et par ces milliers d’autres histoires d’horreur vécues au féminin, auxquelles on a envie d’inventer un dénouement plus heureux...
J’ai accroché à la fenêtre
Un tissu noir comme la vie
Pour échapper à la lumière
Qui me fait voir telle que je suis
Je ne quitte plus la fenêtre
Il m’a frappée, il est parti
Je l’avais mérité peut-être
Je l’ai cherché, il me l’a dit
Et cette peur sans paupière
Veillant le jour comme la nuit
Ne me laisse plus le temps de craindre
La violence qui partout le suit
Le corps plié à la fenêtre
Il y a trois jours que j’ai dormi
Et j’ai si peur qu’il revienne
Mais je ne peux vivre sans lui
Et puis un jour il se ramène
Et pour un moment j’ai espoir
Car c’est des fleurs qu’il déchaîne
Des promesses auxquelles je veux croire
Les excuses jaillissent à la pelle
C’est moi qui porte les remords
Pour l’aider il faut que je l’aime
Amour trop grand n’a jamais tort
Et notre histoire reprend racine
Avec mes plaies pour fondation
Je n’ai que lui pour seule estime
Et il me sert d’isolation
Et puis aux caresses passagères
Succède le dénigrement
Les résolutions éphémères
Masquent les armes du conquérant
C’est de moi une image obscène
Qu’il me renvoie tel un miroir
Et je m’effondre dans la haine
De celle qui ne peut plus se voir
Il n’a plus besoin de cogner
Pour que j’acquiesce à demi-voix
Plus même besoin de m’engueuler
Les menaces volent au bout du doigt
En signe de la peur qui me traîne
Au fond de son amour-prison
J’ai fixé à mes pieds des chaînes
Je me suis faite caméléon
Mais jamais bonne, toujours cruelle
Les coups au pas sont revenus
Pour une mauvaise nouvelle
Ou un regard mal rendu
Coup à coup, le silence endure
Mais l’autre jour j’ai dû crier
À ce rythme ce n’est plus la peine
Il va finir par me tuer
De l’hôpital je suis sortie
C’est lui qui m’a raccompagnée
Aux spécialistes je n’ai rien dit
Qu’est-ce que ça aurait bien changé ?
Depuis doublement il me guette
Je suis tendrement isolée
Je ne sais plus pourquoi je l’aime
Mais comment pourrais-je le quitter ?
Comment pourrais-je, moi acrobate
Trouver un plus juste destin
Que cette attention maladroite
Qu’il m’accorde avec les poings ?...
C’est dans les yeux d’une fillette
Exposée dans l’écran télé
Que je me suis vue aussi morte
Que son corps qu’on avait violé
Au fond c’est du pareil au même
Elle et moi sommes toutes deux liées
Femmes victimes de la haine
De celui qui croit posséder
J’ai devant moi le vide immense
Et à me refaire une vie
Quand il remarquera mon absence
Depuis longtemps je serai partie
Je laisse pendus à la fenêtre
La peur et son amour aigri
Quand il se réveillera peut-être
Je serai déjà loin d’ici
(Chanson inédite : paroles et musique de Yannick Demers)
Mis en ligne sur Sisyphe en octobre 2003