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mercredi 9 février 2011 Islamistes politiques et médias. Mise à jour de la revue de presse, par Micheline Carrier
Après s’être montrés discrets au début des soulèvements populaires en Égypte, les Frères musulmans, un puissant groupe intégriste créé dans les années 20, ont progressivement affirmé leur présence. Ce groupe fait maintenant partie des interlocuteurs principaux du régime dans les discussions censées aboutir à une transition satisfaisante pour le peuple. Et il appelle à une grande manifestation*, demain, le 8 février. Une volonté de leadership et d’encadrement des contestations non structurées qui contraste avec son soi-disant "profil bas" du début des manifestations. L’organisation prétend ne pas aspirer au pouvoir et ne pas avoir l’intention de présenter un candidat lors d’une élection présidentielle. Qui les croit ? Je me préoccupe, quant à moi, du fait que les jeunes et les femmes pourraient ne pas tirer profit de cette révolution si des groupes religieux intégristes imposent leurs exigences en retour de leur collaboration. Le peuple les suivrait-il ? Non, disent plusieurs spécialistes de la question. Je n’en suis pas si sûre. Certain-es parlent de "l’épouvantail islamiste", comme si la présence des islamistes était une vue de l’esprit. Le groupe est très bien organisé et sait attendre son heure, selon les spécialistes qui observent les stratégies de ce mouvement depuis des décennies. On peut me traiter d’alarmiste, mais il faut reconnaître que les Frères musulmans n’ont pas un passé très rassurant en ce qui concerne la place des femmes dans la société et dans le monde. Les médias du Québec, Radio-Canada en tête, se sont employés depuis une semaine à nier la possibilité que les Frères musulmans profitent des soulèvements populaires et de la désorganisation des autres groupes d’opposition pour asseoir leur pouvoir. On a insisté sur la marginalité de l’organisation - 20 à 30% d’appuis fermes, est-ce si marginal ? On a dit que les Frères musulmans étaient plutôt effacés. Si effacés que tout le monde parle d’eux depuis trois jours et en oublie presque les motifs de la révolte populaire. On a dit qu’on brandissait le spectre de l’islamisme radical pour faire peur, que cela faisait le jeu des États-Unis, et même que c’étaient peut-être les États-Unis et Israël qui agitaient ce spectre pour discréditer l’islamisme. On a affirmé que les Frères musulmans étaient des modérés - un animateur de Radio-Canada a vu dans le fait qu’ils se rasent la barbe pour participer aux manifestations un signe qu’ils sont devenus plus modérés, "et il faut le souligner", a-t-il précisé. Absolument risible. Cela fait simplement partie d’une stratégie pour se fondre dans la masse, se faire accepter afin de mieux réaliser leur agenda à moyen terme. On a dit aussi que si l’on cherchait vraiment à instaurer un régime démocratique, il faudrait les inclure dans le processus politique. Un pays qui aspire à la démocratie est-il obliger d’accepter qu’un groupe intégriste, antidémocratique par définition, et dont le programme se résume en substance à la soumission à la volonté d’Allah, qui prône la charia comme politique d’État, soit reconnu comme parti politique ? Étant donné la répression qu’imposent toutes les religions, on peut difficilement concevoir que la démocratie éclose au sein d’un régime politique autre que laïque. Ce qui ne veut pas dire qu’un régime laïque est nécessairement garant de la démocratie et de la liberté. Le peuple égyptien ne se révolte-t-il pas contre un dictateur laïque ? Il se pourrait aussi que le gouvernement Moubarak fasse alliance avec les islamistes pour constituer un gouvernement de coalition. Ou que l’armée et les islamistes prennent ensemble le pouvoir. Dans tous ces scénarios, où est la démocratie, où est l’instauration d’un régime fondé sur les libertés civiles et les droits ? Le peuple égyptien voudra-t-il remplacer une dictature laïque par une dictature religieuse ou militaire ? Qui sont les frères musulmans ? « L’organisation islamiste des Frères Musulmans est la plus ancienne et la plus puissante d’Egypte. La confrérie, créée en 1928 par Hassan al-Banna, le grand-père de Tariq Ramadan, est aujourd’hui le principal mouvement d’opposition à Hosni Moubarak. Mais les Frères Musulmans égyptiens sont aussi bien plus que cela. Ils sont le mouvement islamiste le plus influent du monde arabe, celui qui a donné naissance au djihad (guerre sainte) moderne et l’a marié au salafisme (le désir de retour à un Islam des origines) venu d’Arabie saoudite. La devise des Frères Musulmans résume bien leur idéologie : « Dieu est notre but, le prophète notre chef, le Coran notre constitution, le djihad notre voie, le martyr notre plus grande espérance ». Tout un programme. Lire la suite. Le journaliste François Brousseau reconnaissait les Frères musulmans comme groupe intégriste, hier sur les ondes de Radio-Canada. Il estimait qu’ils étaient marginaux, tout en concédant qu’ils se rapprochent des manifestants et s’affirment davantage depuis quelques jours. Je souhaite simplement qu’ils ne récupèrent pas à leurs fins la révolte du peuple égyptien. Si c’est le cas, verrons-nous les médias, qui ont minimisé l’importance de ces intégristes, reconnaître leur insouciance et rappeler l’aspiration du peuple à la liberté ? Peut-être se tairont-ils tout simplement, par perte d’intérêt pour le sort du peuple égyptien, et iront-ils au coeur d’une autre crise quelque part dans le monde. En attendant, à plusieurs émissions, notamment à Christiane Charette, on se spécialise dans les témoignages de journalistes attaqués et brimés. On présente maintenant les journalistes comme des acteurs à l’avant-scène de cette révolution. Comme si cela était l’essentiel de la révolution populaire. Information spectacle. C’est peut-être autant par les médias que par les intégristes que le peuple se fera voler sa révolution. * Lire le compte-rendu de cette manifestation sur le site de Radio-Canada, le 9 février. On n’y mentionne plus l’initiative des Frères musulmans dans cet événement. Revue de presse mise à jour – "Les Frères musulmans veulent créer un parti politique", Le Monde, le 15 février 2011. "Samedi, au lendemain de la démission du raïs, les Frères musulmans ont annoncé qu’ils ne brigueraient pas la présidence et ne viseraient pas une majorité dans le futur Parlement." – "Révolution post-islamiste", par Olivier Roy, Les Monde, Point de vue, le 12 février 2011
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Mis en ligne sur Sisyphe, le 7 février 2011 Commenter ce texte © Sisyphe 2002-2014 | ||||
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