Avec cet ensemble de traductions, voici enfin une occasion de faire découvrir aux lecteurs et lectrices francophones une large sélection d’interventions publiques et d’essais rédigés par Adrienne Rich, poète engagée, théoricienne féministe et essayiste. […]

Dans son essai – sans doute le plus célèbre, Adrienne Rich renverse les perspectives habituelles : au lieu de voir l’existence lesbienne comme marginale et déviante, elle choisit de problématiser l’hétérosexualité comme quelque chose qui ne va pas de soi. Dans cette remise en cause des évidences naturalistes patriarcales, elle se demande comment les femmes sont contraintes aux normes hétérosexuelles, et comment l’institution politique de l’hétérosexualité féminine, clé du maintien de la suprématie masculine, se perpétue. Une des originalités d’Adrienne Rich a sans doute été aussi d’avoir développé dans ce texte le concept de « continuum lesbien ». Pour elle, ce « continuum » recouvre une continuité (et une solidarité) entre femmes hétérosexuelles, bisexuelles et homosexuelles. Elle nous fait ainsi réfléchir à la situation que les femmes auraient, si leurs désirs étaient libérés de la contrainte à l’hétérosexualité et à la procréation. Cet essai avait déjà été traduit par Christine Delphy et Emmanuèle de Lesseps et fut publié en 1981 dans le premier numéro des Nouvelles Questions Féministes. J’ai estimé indispensable de faire connaître certains de ses essais en langue française, et c’est donc vers la même revue, à présent basée à l’Université de Lausanne, avec Patricia Roux et Christine Delphy comme rédactrices responsables, que je me suis tournée pour publier une sélection d’essais prélevés dans l’immense œuvre d’Adrienne Rich. […]

Pour Adrienne Rich, il n’y a pas de contradiction entre la poésie, la philosophie politique, et la confrontation militante avec une autorité illégitime. Elle fait une critique du capitalisme états-unien et lutte pour des réformes sociales et contre le racisme. Elle plaide pour la reconnaissance de la poésie comme pratique sociale, et appelle à « une poétique engagée qui endure le poids de l’inconnu, du non repéré, du non réalisé ». Dans sa prose, elle fait longuement référence à la poésie et à la posture du poète engagé en relation avec de nombreux autres poètes. L’essai le plus long, « La poésie et le futur oublié » (2007), avait été tout d’abord préparé pour une conférence sur la poésie et la politique en 2006 en Écosse à l’Université de Stirling sous le titre de Poetry and Commitment (Poésie et engagement). Elle en a donné une version plus brève en recevant la même année le prix du National Book Fondation Medal for Distinguished Contribution to American Letters. La verve de ce texte - « J’espère ne jamais idéaliser la poésie - elle en a assez souffert. La poésie n’est pas une lotion, un massage émotionnel, une sorte d’aromathérapie linguistique. Ce n’est pas non plus un plan d’instruction détaillé, ni un manuel, ni un panneau d’affichage » complète magnifiquement cette collection d’essais.

Extraits de l’introduction de Rina Nissim, Genève.

Adrienne Rich, La contrainte à l’hétérosexualité et autres essais, éditions Mamamélis et Nouvelles Questions Féministes (NQF), Genève, 2010, 181 p..

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Mis en ligne sur Sisyphe, le 24 mars 2011

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