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mercredi 7 février 2007 La dépression au-delà des préjugés
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Du 4 au 10 février 2007, la 17e édition de la Semaine de Prévention du suicide rappelle que la dépression conduit parfois à un geste d’autodestruction fatal. Pendant des mois, j’ai mené une recherche préparatoire à cet article : entrevues, lectures, formation, visionnements. Afin de circonscrire cette réalité vaste et en progression qu’est la dépression et son aspect le plus redoutable, le suicide, je partage mes observations sur ses composantes et les possibilités d’intervention les plus récentes et courantes. Je vous réfère aux notes de la fin pour les références relatives à mes sources d’information. Au-delà des préjugés
Les femmes entreprennent plus d’actes suicidaires que les hommes, mais leurs tentatives aboutissent moins. Elles utilisent des moyens lents permettant l’interruption (absorption de pilules, coupure des veines, asphyxie avec le gaz), alors que les hommes agissent de façon plus rapide et posent davantage de gestes irréversibles (pendaison, « crash » en auto, sauts dans le vide, armes à feu). En connaissant le processus de la dépression et en intervenant à temps, des suicides pourraient être évités. Lincoln, Virginia Woolf, Churchill, Sylvia Plath, René Lévesque, Yves St-Laurent, Marie-Claude Savard ont fait une ou des dépressions. Une composante émotionnelle et un état physique sont reliés à l’état dépressif qui parfois peut être en rapport avec un événement déclencheur. Des antécédents familiaux, le Trouble d’Anxiété Généralisé (le TAG), l’alcoolisme, la toxicomanie, le burn-out, peuvent aussi l’influencer. La dépression cause une tension musculaire qui fatigue, diminue la concentration, la mémoire, l’apprentissage et amène une perte de contrôle ; s’en suivent culpabilité, désarroi, tristesse, insomnie ou hypersomnie, variations de l’humeur et de l’appétit. L’énigme réside dans le fait que deux fois plus de femmes que d’hommes font des dépressions. Les statistiques prouvent que, plus que les hommes, les femmes vivent de la pauvreté, de la discrimination, des agressions, des injustices, dans la famille, l’éducation, le travail, la société. Ces iniquités expliqueraient-elles le taux de dépressions féminines ? Y a-t-il un facteur hormonal ? Actuellement, la cause de cet écart est inconnue. La dépression est une maladie mentale, pas une maladie imaginaire. Notre société construit des tabous qui permettent d’assurer un contrôle et une sélection. En marginalisant les personnes affectées par une maladie mentale, elle nie un problème qui n’en augmente pas moins. Les malades ostraciséEs, isoléEs, démuniEs se sentent, et sont, impuissantEs. Au Québec, l’absence de volonté politique (notre gouvernement préférerait une affluence vers le privé) et le manque de ressources en santé mentale empirent la situation. Une personne déjà fragilisée est contrainte à des efforts surhumains, des délais, du mépris, du déni, une mobilisation exigeante, frustrante, pénible, ne serait-ce que pour obtenir une consultation auprès d’unE médecin. De plus en plus de gens n’ont pas de médecin de famille (médecin généraliste). Ghislain Goulet du collectif Action Autonomie fait remarquer que « 80% des personnes qui consultent pour des problèmes de santé mentale ne sont pas satisfaites ». La sectorisation, pourtant illégale - elle contrevient à l’article 12 de la Charte des droits et libertés - est maintenue, affectant 25,000 personnes qu’elle discrimine sans que l’ensemble des psychiatres ne protestent, sans que le gouvernement n’agisse là non plus. Le Dr Georges Lévesque admet « que les ressources soient encore déficientes dans le réseau public de la santé ». Des préjugés, des humiliations, même parmi le personnel médical, des erreurs de diagnostic, des équipes inadéquates, aggravent la situation, comme le constate Me Jean-Pierre Ménard : « C’est un système qui est très coercitif, qui est très dur pour les gens en santé mentale. C’est une machine. Les citoyens doivent s’adresser aux tribunaux ». Au Québec, s’occuper de sa dépression, ou de celle d’un proche, relève de l’exploit olympique. La médication
Dire « ça va passer », « ne t’apitoie pas », prendre un rôle de thérapeute, tenter d’inciter la personne dépressive à faire un effort, « à se secouer » pour se sortir de son état, tout cela est inutile. D’abord, le problème de la dépression ne concerne pas la volonté, mais des couches plus profondes du cerveau. De plus, c’est parce qu’elle a fait trop d’efforts qu’une personne risque de se retrouver en dépression. Enfin, la personne dépressive affectée déjà par la culpabilité se dépréciera en constatant qu’elle n’a pas la force de répondre aux incitations qu’on lui fait. La complexité de la dépression demande une intervention réunissant plusieurs composantes dans une approche dite bio-psychosociale. La dépression concerne une partie de notre cerveau qui nous influence et que l’on peut influencer. On parle alors de neuro-transmetteurs (la partie chimique entre 2 neurones) et de médication (transformation de la connexion interneuronale), et de valeurs d’ancrage, de modes relationnels, de valorisation personnelle, de conviction et de psychothérapie. Les médicaments peuvent avoir une efficacité de 70 à 75% en 6 semaines. Ils ne causent pas de dépendance psychologique car leur effet n’est pas immédiat, mais ils entraînent une dépendance physique. La médication doit amener la personne à se sentir mieux ; c’est elle qui conserve sa capacité d’observation et d’évaluation. Chez des personnes ayant eu plusieurs rechutes, la durée de la médication peut être plus longue. Dire pour guérir
Une thérapie cognitivo-comportementale peut contribuer à l’amélioration de la dépression entre autres, par l’acquisition ou l’augmentation d’un pouvoir personnel sur soi et sur sa vie malgré les inéluctables souffrances. Ce peut être aussi pour se libérer de frustrations accumulées ; selon Brenda Rabkin, « la dépression ce n’est pas autre chose que la colère que l’on tourne vers soi-même ». L’une des étapes peut inclure le renoncement à la pensée magique d’une vie parfaite sans difficultés et l’apprentissage de moyens permettant d’affronter et de résoudre ses problèmes. Elle peut être l’occasion de réfléchir à ses comportements pour induire de nouvelles réactions. Il faut des millénaires pour fabriquer un organe. Au cours de son évolution, il y a 200,000 ans, l’humanité a sélectionné un organe qu’elle a transformé ; le pharynx (organe de phonation) a descendu afin de produire des sons plus complexes alors que l’oreille (organe d’audition) n’a pas changé. Nous avons élaboré le langage davantage pour nous exprimer que pour écouter. L’émotion compose une grande partie de notre narration ; en freinant cette composante, nous nous infligeons des torts coûteux pour notre santé. Parler, c’est se construire en tant qu’humainE. Parler de ce qui est ressenti, utiliser le langage non pas tant pour communiquer que pour se « narcissiser » correspondrait à un devenir. D’ailleurs, cette importance de la formulation sans écho se retrouve dans l’écriture secrète du journal intime. Le plus important dans une psychothérapie réside dans l’aisance de la personne dépressive, sa confiance, pour faire ses aveux, admettre ses torts, reconnaître ses erreurs, sans être blâmée ni jugée. Dans une (véritable et bonne) thérapie, il est possible d’observer et de travailler des aspects de sa vie qui entravent et ne sont peut-être pas glorieux. La croissance humaine est favorisée par la verbalisation de ces noeuds qui tordent l’intérieur de l’être. Ce qui est dit n’est plus bloqué à l’intérieur. Dire pour guérir. Extériorisée, la douleur sort de soi au lieu d’y stagner, d’y progresser. Perspectives épidémiques
Il appert qu’il y a des dépressions ponctuelles, récurrentes, cycliques, chroniques ; « il y a des dizaines de sortes de dépressions », fait observer la psychologue Marie Bérubé. Leur point commun : elles sont en augmentation. Il faut considérer la prévalence de la dépression et certaines statistiques :
Le Dr Martin Tremblay affirme : « La dépression est une maladie de notre temps. Notre course effrénée a de la misère à trouver son sens. Avant, les gens avaient moins d’anxiété. Maintenant, les événements nous causent plus d’anxiété. Cette maladie est influencée par le contexte social même si elle a un facteur biologique et qu’elle peut se résorber. » La dépression peut resurgir, simplement s’estomper, rester en latence. Elle n’est pas toujours reliée à un déclencheur, elle peut correspondre à un état persistant. La recherche pourrait établir l’influence d’une transmission multigénique. Les enfants et les adolesentEs peuvent en souffrir comme les adultes. En terminant, précisons que la dépression est une maladie mentale qui affecte l’individuE, mais qui concerne tout la société. Elle correspondrait même à une épidémie dans les pays industrialisés. Son incidence augmente au point qu’elle atteindrait la prévalence des maladies cardio-vasculaires. Il importe de la prendre au sérieux, de s’en occuper, personnellement et collectivement. Notes Démarches pour la recherche préparatoire à cet article : 1. En octobre 2006, lors de son passage à Montréal, je me suis entretenue avec Jean-Louis Dessalles, de l’École Nationale Supérieure des Télécommunications de Paris, et j’ai assisté à une conférence qu’il donnait avec Stevan Harnad, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en Sciences cognitives de l’UQAM. Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 février 2007 |