AVANT-PROPOS
La notion d’un traitement des auteurs de violences conjugales est présentement imposée par un lobbying incessant, lequel fait naître d’énormes espoirs, tant chez les femmes violentées que chez les décideurs. En période de crise économique, des hommes politiques peuvent se voir tenter par les économies apparentes que suggère une déjudiciarisation des crimes qui semblent le mieux se prêter à une approche et à des mesures psychologisantes. Toutefois, comme l’écrivent R. Karl Hanson et Liz Hart, les auteurs du document L’Évaluation des programmes de traitement pour conjoints violents (1991) :
« Lorsque d’importantes décisions dépendent de la participation de l’agresseur à un traitement (la décision de la femme de quitter ou non son conjoint, l’imposition d’une peine d’emprisonnement ou d’une période de probation, p. ex.), il est primordial de savoir si le traitement suivi s’est révélé efficace. »
C’est à cette fin que Hanson et Hart ont organisé, il y a quelques années, un colloque réunissant plusieurs des principaux intervenants dans ce domaine. Le document précité constitue les Actes de ce colloque. Le Collectif masculin contre le sexisme en a réuni des extraits pour rédiger le présent mémoire, qui veut mettre en lumière les limites et les risques de l’intervention psychologisante auprès des batteurs de femmes. [Les passages en caractères gras sont soulignés par nous.]
Comme on le verra, il ressort des propos mêmes des intervenants dans ce domaine qu’une intervention de type pénale et un soutien centré sur la victime s’avèrent des facteurs plus efficaces pour réaliser l’objectif premier de l’intervention auprès du conjoint violent, c.-à-d. amener celui-ci à cesser d’agresser et de contrôler cette femme.
C’est donc dans l’intérêt des hommes comme des femmes qu’il importe de faire preuve de réalisme et d’exigence face aux prétentions et aux modèles d’intervention psychologisante que propose le lobby de la déjudiciarisation. Comme nous le rappellent tous les jours les manchettes des journaux, des vies humaines sont en jeu.
Robert J. Brown, psychologue, Hôpital de Calgary : ...les ressources privées et publiques en ce qui touche la violence familiale sont extrêmement restreintes. En conséquence, il est de plus en plus important de nous assurer que nous utilisons ces ressources aux endroits les mieux choisis et de façons optimales. (82)
Enfin, si nous parlons d’intervention "psychologisante", c’est qu’une véritable analyse psychologique de la misogynie et de la volonté de contrôle masculine demeure généralement absente du débat sur "la thérapie", parce que censurée à titre d’analyse féministe. Ce qui se présente comme une théorie et une pratique psychologique élude les véritables données du problème et tient beaucoup plus d’une politique masculiniste que d’une analyse psychologique réaliste et progressiste de la dynamique de la violence sexiste.
SOMMAIRE
– Évaluation de l’efficacité des "thérapies"
a. La plupart des fournisseurs de ces soi-disant thérapies n’ont ni le temps, ni les ressources d’évaluer réellement l’efficacité de leur programme
b. Une évaluation valable serait extrêmement onéreuse et coûteuse
c. On ne sait pas encore comment faire d’évaluation comparative de ce genre de programmes
d. On n’a pas encore identifié d’approche efficiente ou suffisamment intégrée
e. Les analystes se posent de graves questions au sujet de la compétence et de la formation des animateurs de ces "thérapies"
– Problèmes méthodologiques : Le règne de l’improvisation
f. Il n’existe pas d’approche universelle du problème
g. Des modèles dangereux, qui blâment les victimes
h. À faire du psychologisme, on ferme les yeux sur une véritable épidémie sociale
i. On surreprésente les facteurs intra-psychiques
j. "Thérapies" ? On n’a pourtant identifié aucune pathologie
k. On s’est trompé dans l’identification de "caractéristiques" du batteur de femmes qui justifieraient un traitement clinique
l. Même en présence de certains facteurs communs chez des batteurs de femmes, on ignore s’il s’agit de causes ou d’effets de la violence
m. Par exemple, on sait maintenant que la dépression n’est pas un facteur explicatif
n. Il ne s’agit pas non plus d’un problème de colère
o. Ce n’est pas non plus le stress qui fait problème
p. Ni la violence subie par le sujet au cours de son enfance
q. Les batteurs de femmes ne souffrent d’aucun manque d’aptitudes
r. La prédiction de la récidive par l’approche psychologisante est encore impossible
s. On ignore même la façon dont les changements d’attitudes visés pourraient affecter la récidive
t. Les modèles de traitement n’arrivent pas à tenir compte de l’effet des nouvelles relations qu’entreprennent les sujets
u. Bref, on ne sait pas du tout où on s’en va
v. Mais en se servant du mot "thérapie", on tire le voile sur ces problèmes de fond
w. Même au prix d’une démarche réellement scientifique
x. Et de risques évidents de dérapage
y. Faute de savoir qui peut changer, on essaie d’identifier qui ne peut pas changer
z. Et on se lave les mains d’une proportion croissante des agresseurs
aa. Sans pour cela nuire à la pratique croissante de la déjudiciarisation, qui profite à tous les batteurs de femmes, quelles que soient leurs chances de "guérison"
– Problèmes méthodologiques : Des chiffres de succès suspects.
a. Une importance disproportionnée à des programmes qui rejoignent bien peu d’hommes
b. Des échantillons non représentatifs
c. Très peu d’études de suivi
d. Des autoévaluations discutables
e. Le risque de rapports faussement positifs
f. Des périodes de suivi trop courtes
g. Une période d’"euphorie" trompeuse
h. L’absence d’occasions d’agresser a été identifiée à des succès !
i. Alors que la présence d’une conjointe semble à certains essentielle au traitement
j. Impossible de savoir si c’est la thérapie qui fonctionne
k. Absence de groupes témoins
l. On ne tient pas compte de l’influence de l’intervention judiciaire malgré des preuves de son efficacité
m. On n’a très peu tenu compte du facteur de désirabilité sociale des réponses dans les autoévaluations et les réponses des sujets
n. Des autoévaluations peu descriptives des comportements réels
o. Des programmes qui ne reflètent que des valeurs de classe moyenne et supérieure
p. Loin de se raffiner, les programmes sont de plus en plus élagués de leurs contenus significatifs
q. Les intervenants doutent même des véritables chances de succès des programmes allégés et trop courts auxquels ils sont ainsi de plus en plus limités
r. Les données sur la récidive ignorent habituellement la violence psychologique
s. On va jusqu’à compter aussi les victimes pour bonifier les statistiques de succès...
t. Les agresseurs qui abandonnent un programme ne subissent habituellement aucune sanction
– Quand la "thérapie" devient contre-productive
a. Résultats de l’étude menée à Baltimore (Harrell, 1991)
b. Hausse de la manipulation et de la violence psychologique
c. Une lecture réductrice de la violence conjugale peut créer l’impression de faux succès
d. Les hommes peuvent même se servir des thérapies pour raffiner leurs méthodes de contrôle
e. Les hommes utilisent ces "thérapies" pour échapper à des sanctions qui auraient un réel effet dissuasif
f. Les budgets de soutien aux victimes et de judiciarisation sont ouvertement menacés
g. L’approche clinique dissimule l’utilité pour les agresseurs du recours à la force
h. La multiplication d’"explications" théoriques non vérifiées a un effet déresponsabilisant
i. Au plan structurel, les batteurs de femmes sont beaucoup plus confortés que confrontés par les programmes de "thérapie" actuels
j. Un parti pris à l’encontre de toute sanction
k. Une dynamique où l’on plaint les hommes
l. Une surprenante et dangereuse absence d’empathie pour les victimes
m. Les thérapies maintiennent la conjointe dans une situation à haut risque, en comparaison de mesures plus efficaces
n. Dans son idéalisation des hommes, le discours thérapeutique en vient à mimer et renforcer celui de l’agresseur lui-même
o. Les prétendus profils-type banalisent la violence conjugale
p. Particulièrement dangereuses, les approches de "thérapie de couple" sont présentement en expansion
– Pour une véritable priorité aux femmes
– Recentrer l’intervention : deux principes de base
– Choisir l’efficacité
– La meilleure façon d’aider l’homme ? Soutenir la femme.
Conclusion
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Conversion du document en PDF : Michel Pelletier