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mars 2003


Le règne de l’ingéniosité
L’essor des femmes d’Afrique subsaharienne

par Julienne Zanga, écrivaine<BR>






Écrits d'Élaine Audet



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Quelle est la condition des femmes africaines sur le continent noir ? Vaste question qui nécessiterait plus qu’un article, car contrairement à une idée tenace, l’Afrique n’est pas uniforme. C’est un continent et non un pays. Lapalissade certes, mais qui mérite d’être redite. L’Afrique subsaharienne - puisque c’est d’elle qu’il s’agira ici - n’est pas une vaste entité porteuse d’une même réalité. A l’instar de la diversité des pays qui la forment, les vécus refléteront des spécificités qu’il ne faut pas ignorer. Et dans un même pays, selon la religion (animisme, islam, catholicisme…), les règles instituées par la tradition (patriarcat, matriarcat, droit foncier…), le milieu social, la condition des femmes peut varier d’un endroit à un autre.

Le choix de commencer cet article par cette remarque m’a semblé nécessaire. Il part de la dénonciation d’une attitude qui déteint sur les femmes africaines. Quand on parle de ces femmes, c’est souvent par généralisation, oubliant toute la pluralité qui gravite autour d’elles. Cette démarche, sans doute commode sur le plan intellectuel, est réductrice car désormais, ce qui est mis en avant, c’est "ce qui peut susciter une réaction chez l’autre". Femme entravée, privée de ses libertés fondamentales, femme-martyre dans une Afrique exsangue où règnent la misère et la violence, femme sans instruction… C’est ainsi que l’Africaine que je suis se perçoit dans la plupart des études. Il ne s’agit pas d’occulter ou de nier cette triste réalité, mais elle n’est pas la seule. Elle ne doit pas faire oublier une autre dont on parle rarement : les actions au quotidien de multiples femmes de l’Afrique subsaharienne qui, finalement, voient leurs efforts pas ou peu reconnus, car leur existence même, l’existence de cette Afrique positive est trop souvent oblitérée. Comme disait la chanteuse d’origine béninoise Angelique KIDJO (1) dans une interview :

"Les gens ne se rendent pas comptent que l’Afrique n’est pas seulement un endroit où il y a de la misère, il y a aussi des personnes qui entreprennent des choses (…) Les braves ont besoin de courage et d’amour."

Eviter le piège de l’apitoiement, c’est aider à changer le regard porté sur les femmes africaines et par-delà, leur continent. En dehors de la pauvreté et de l’exotisme véhiculé, il y une autre réalité et s’il y une chose dont les Africaines n’ont certainement pas besoin, c’est qu’on s’apitoie seulement sur leur sort. Elles ont besoin d’aide et non de pitié. On pourrait rétorquer que souvent, l’aide naît de la pitié. On décide d’aider parce qu’on a été ému et de l’émotion à la pitié, la frontière est ténue voire floue. C’est sans doute vrai mais alors, il ne faut pas oublier que l’émotion-pitié risque de se transformer en paternalisme, en condescendance. Oui, il y un fossé entre le rôle économique réel des femmes d’Afrique subsaharienne et leur pouvoir dans la société. Oui, les Africaines qui ont conquis, au prix de multiples efforts, leur autonomie, ne sauraient faire oublier l’extrême précarité socio-économique d’une immense majorité. Mais, que l’observateur averti ne s’arrête pas là. Qu’il se souvienne de ces Africaines anonymes qui, de Douala à Accra, de Ouagadougou à Lomé, instruites ou pas, font preuve d’une ingéniosité qui symbolise plus que tout autre chose, leur ardent désir "de s’en sortir".

Cette mise au point faite, il s’agira par la suite de répertorier les freins majeurs à l’essor de la condition des femmes africaines aujourd’hui. Surtout, il s’agira de voir comment, malgré leur précarité socio-économique, les femmes africaines font preuve d’inventivité dans un monde souvent hostile.

ESSOR DES FEMMES D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE

Freins majeurs

Pour s’en tenir à la définition du dictionnaire, essor renvoie à développement, progrès. Développer, c’est rendre plus fort, améliorer de façon durable. L’essor s’inscrit donc dans la durée. A l’image de la situation délétère de l’Afrique subsaharienne, les difficultés auxquelles sont confrontées les femmes africaines semblent insurmontables.
Étant originaire d’Afrique centrale, j’appuierai plus mon argumentaire sur cette région, car c’est celle que je connais le mieux. De même, les femmes dont il s’agit ici vivent dans une relative stabilité socio-politique.

Les sociétés africaines actuelles, tout comme les États, sont un pur produit de la colonisation (française, anglaise, portugaise…). Avec elle, l’Europe se partage l’Afrique, fixant arbitrairement ses frontières, créant au passage quelques aberrations. Des peuples qui auparavant vivaient sur un même territoire, partageant une histoire commune, se retrouvent séparées du jour au lendemain. D’autres, ennemies de toujours, sont obligés de mettre en place une difficile cohabitation. Le but ici n’est pas de faire le procès de la colonisation, mais de montrer qu’elle aura influé sur la condition de la femme africaine et pas toujours en bien. Ainsi, dans certaines sociétés, les Africaines n’ont pas toujours été ces laissés-pour-compte de la société. Souvent même, la tradition leur octroyait un rôle décisionnel non négligeable. Ce qui fera dire à la journaliste d’origine camerounaise Corine MANDJOU (2) :

"La condition de la femme africaine, telle qu’elle a toujours été présentée par les Occidentaux, est un leurre. Il est faux de dire que la femme africaine est soumise, qu’elle ne prend pas part aux décisions. Ceux qui ont écrits sur l’Afrique, dès le 19ème siècle, étaient des fils de famille qui apportaient avec eux leurs préjugés de classe. Ils avaient pour interlocuteurs les chefs de village et comme ils ne voyaient pas les femmes, en déduisaient qu’elles n’avaient aucun pouvoir. Or, dans les sociétés africaines traditionnelles, on demande toujours l’avis des femmes avant de prendre une décision, même si celles-ci ne parlent jamais en public. En outre, dans la société africaine traditionnelle, la reine-mère et la première épouse ont un rôle politique crucial."

L’accès à la terre, une gageure

Avant la colonisation, les sociétés africaines ont leurs propres règles qui régentent la vie sociale. Pendant la colonisation, en fonction de l’occupant, ces règles sont plus ou moins vouées aux gémonies. Dans les colonies britanniques, c’est la politique de l’indigénat qui prévaut, avec pour objectif de tenir compte des coutumes indigènes dans la gestion de la colonie. Côté français, l’heure est plutôt à la politique de l’assimilation. On apprend à des générations d’enfants noirs que leurs ancêtres sont les gaulois ; on diabolise tout ce qui peut freiner la marche vers "la civilisation". On n’hésite pas à qualifier les rites et règles locales de coutumes rétrogrades favorisant l’obscurantisme. Pourtant, ces règles issues de ce monde "traditionnel" ne disparaîtront jamais, créant parfois des dualismes où la femme a souvent bien du mal à trouver sa place. Au Cameroun par exemple, il existe deux droits : le droit dit "moderne" et le droit coutumier. Chez les Beti (3), société patriarcale, la femme étant amenée à se marier et à suivre son époux, n’avait pas droit - sauf exception - aux terres issues de la lignée paternelle. Il va sans dire qu’il en était de même du côté de son époux, où elle était considérée comme une "étrangère". Plus tard, les terres de l’époux revenaient aux enfants mâles. De même, si la femme avaient eu des enfants mâles hors mariage, étant donnés "qu’ils appartenaient" au père de leur mère, ils pouvaient eux prétendre à une part de l’héritage foncier de leur aïeul. On le voit, la femme n’est pas vue comme maîtresse de sa propre destinée. Force de travail et génitrice, elle se contente essentiellement de mettre en valeur une terre dont elle n’est pas propriétaire. L’écrivain camerounais René PHILOMBE (4) usera d’une expression qui hélas n’est que trop vrai. la femme est vue comme "machine à plaisir et machine agricole".

Or, dans le droit dit "moderne", les enfants d’un même père, quel que soit leur sexe, ont droit à la terre. Si de nombreuses femmes spoliées n’osent réclamer leur dû, il n’est plus rare aujourd’hui de voir une sœur exiger de son frère sa part d’héritage foncier en vertu de la loi en vigueur. De même, il n’est plus rare de voir une veuve s’opposer à sa belle-famille, afin que le bénéfice du travail de toute une vie ne lui échappe. Malheureusement, il s’agit encore d’une minorité.

Autre difficulté récurrente que rencontrent les femmes africaines, financer leurs projets.

L’accès au crédit, un parcours de la combattante

Paysannes, vendeuses de produits frais, petites commerçantes… les femmes sont le poumon économique de l’Afrique. Lorsque, dans les années 80-90 les institutions financières internationales (FMI, Banque Mondiale) imposent des P.A.S. (Plans d’Ajustement Structurel) à plusieurs pays africains, il s’agit officiellement de recréer les conditions d’une croissance économique durable. Une des directives sera notamment de réduire le train de vie drastique de l’État. C’est l’ère des compressions de personnel, des licenciements en masse de fonctionnaires, sans véritable plan social. De même, en demandant aux États de recentrer leurs efforts agricoles sur l’agriculture de rente (cacao, coton, café…), on favorise les grandes concentrations dans un souci de rentabilisation maximale, au détriment des exploitations individuelles. C’est "la crise économique", une expression avec laquelle des millions d’africains vont se familiariser. Aujourd’hui, de nombreux pays africains ont un niveau de vie inférieur à celui des années 60. Dans la course à la réduction des dépenses publiques, les secteurs les plus touchés sont l’éducation, la santé. Des milliers d’étudiants qui jusque-là bénéficiaient d’une bourse publique sont obligés de payer désormais pour leurs études. Beaucoup quitteront les bancs et viendront agrandir la masse des sans-emploi. De même, les fonctionnaires licenciés se lancent dans un secteur jusque-là réservé aux femmes (petit commerce de savon, d’aliments, d’eau glacée…). Ces dernières voient d’ailleurs s’amenuiser le rendement de leurs activités, car les plans d’ajustement structurel ont largement contribué à réduire le pouvoir d’achat de leurs potentiels clients.

Dans cette âpre compétition pour la survie, les femmes rencontrent un autre handicap : l’accès au crédit. Solliciter un emprunt se traduit généralement par une fin de non-recevoir. Tout se passe comme si le système financier formel les rejetait. Au Cameroun par exemple, alors qu’elles représentent plus de la moitié de la population (environ 52%), plus de 55 % des femmes ne disposent pas d’un compte bancaire, d’après une étude menée par une organisation non gouvernementale, le RDG (Rural Development Group) (5). Selon cette étude, "Cette frange importante de la population, force économique et productrice indéniable est handicapée par les mécanismes réglementaires traditionnels et le fonctionnement des institutions bancaires".

En général, l’emprunt étant conditionné par un compte bancaire, des garanties (caution, biens mobiliers…), un apport personnel important, la majorité des femmes s’en voit d’office écartée. Ce qui ne leur permet pas d’avoir accès au crédit, principale source de financement des investissements.

Comme si cela ne suffisait pas, il leur faut aussi surmonter un obstacle d’autant plus pernicieux qu’il est immatériel : l’image de la femme.

Le poids culturel, un ennemi invisible

L’image que la société se fait des femmes africaines ne joue pas toujours en leur faveur. Mères et gardiennes du foyer, elles sont garantes de la pérennisation de ce qui fait l’essence d’une société : sa culture. Or, même s’il est vrai qu’à l’ère précoloniale certaines sociétés accordaient un pouvoir de décision non négligeable à la femme, force est de reconnaître qu’en règle générale, la culture (tradition) ne leur est pas très favorable. Dans un système patriarcal, appelée à se marier et étrangère en sursis chez son époux, elle n’a pas accès à la terre. Dans un système polygame, son mari peut la répudier à chaque instant. Elle est sensée représenter la vertu, l’abnégation et on comprend difficilement qu’elle veuille s’émanciper, qu’elle ose exiger plus de liberté. Encore aujourd’hui, dans des campagnes reculées du continent, des jeunes filles, au contraire des garçons, n’ont tout simplement pas accès à l’instruction. Après tout, qu’en fera une future mère au foyer ? A-t-elle besoin de se pervertir avec ces idées venues des livres ? Le propos est sans doute délibérément exagéré, mais malheureusement, cela existe encore. En somme, la femme doit rester à sa place, ne pas faire de vague. Essaye-t-elle d’aller à l’encontre de ce qu’on attend d’elle, et certains auront tôt fait de dire qu’elle bafoue la tradition.

Un exemple tiré de mes souvenirs d’adolescente. Jeune lycéenne à Yaoundé, je ne m’étais jamais posé la question de savoir si une femme avait la possibilité de voyager hors du pays sans l’aval de son mari. Pour moi, hormis l’obstacle financier, rien ne pouvait l’empêcher de mener à bien un tel projet. Un jour, quelle ne fut ma surprise d’entendre aux informations que désormais, les femmes camerounaises avaient le droit d’aller dans un pays étranger sans l’accord de leur mari. Je tombais des nues ! Ainsi, jusqu’à cette date, aucune femme ne pouvait prétendre établir un passeport, acheter un billet d’avion sans l’autorisation écrite de son mari ! Pour beaucoup de filles de mon âge, cette nouvelle passa sans doute inaperçue, mais, en décidant de mettre fin à cette mesure inique, le gouvernement prenait une mesure qui profiterait à de milliers de femmes par la suite. Sans doute que la pression et le rôle des associations féminines locales fut déterminant dans la prise de cette mesure.

Quelque chose qu’il vaudrait de souligner ici, c’est que, souvent, les femmes sont artisanes de leur difficile condition. L’écrivaine E. BADINTER (6) dans XY de l’identité masculine, a bien démontré ce mécanisme. En effet, ce sont souvent des mères qui, par l’éducation donnée à leurs enfants, perpétuent involontairement un système de pensée qui leur est défavorable. Beaucoup d’Africaines élèvent leurs fils comme "des petits coqs" appelés à régner alors qu’à leurs filles, seront dévolues les tâches jugées subalternes comme le ménage, les courses, la cuisine… Beaucoup de jeunes filles africaines ont un jour entendues ces remarques : "Une bonne fille ne fait pas ci… une bonne fille ne fait pas ça". "Apprends à t’occuper d’une maison si tu veux trouver un mari" "Ta place, c’est à la cuisine". "Tais-toi, c’est l’homme qui décide" et j’en passe. Habituée dès l’enfance à de telles remarques, il va sans dire que la personnalité de la jeune fille en sera fortement influencée. Même s’il existe une nouvelle génération de couples pour qui vie commune rime avec partage des tâches, beaucoup d’Africaines n’ont qu’une hantise à la venue de leur belle-mère : qu’elle ne se rende surtout pas compte que "son fils joue la femme chez sa bru", qu’elle ne le voit pas faire le ménage ou autre tâche "avilissante" sinon, que va-t-on penser d’elles ? Des épouses incapables de s’occuper comme il se doit de leurs foyers au point de déléguer leur rôle à l’homme.

Comment parler du poids de la culture sans évoquer ces Africaines vivant en Occident, et le regard porté sur elles ? J’omets volontairement de parler des Africaines sans papiers, de ces prostituées nigérianes des boulevards parisiens vivant dans une précarité totale couplée à la peur d’être découvertes au détour d’un contrôle d’identité, de ces femmes condamnées à travailler sans être déclarées pour un salaire dérisoire. J’omets celles qui, du jour au lendemain, sont parachutées de leur lointaine campagne vers une grande métropole occidentale suite à un mariage arrangé ou pour rejoindre un conjoint et qui, ignorantes de la langue de leur pays d’accueil, se retrouvent à partager un appartement vétuste avec une co-épouse. Très vite, elles deviennent des abonnées des services sociaux. J’omets de parler des victimes politiques, réfugiées et apatrides ayant tout perdu. Leur cas, qui interroge nos consciences, mériterait plus qu’un simple paragraphe. Je parlerai donc des Africaines disposant d’atouts pour postuler sur le marché du travail de leur pays d’accueil. Malheureusement, elles doivent là aussi faire face à l’image qu’on se fait d’elles et généralement, elle est peu flatteuse. Lorsqu’on a été gavé d’idées négatives ou exotiques sur un continent, difficile de prime abord de considérer une de ses ressortissantes comme une égale, de penser qu’elle peut être autre chose qu’une analphabète. Comment regarder sans à priori une femme issue du continent le plus pauvre, d’une terre où fleurissent les conflits ?

La situation socio-politique du continent, une gangrène

On ne saurait terminer ce survol des freins à l’épanouissement des Africaines sans évoquer le climat social où elles évoluent. En effet, en dehors de toutes les causes suscitées, les Africaines souffrent d’un climat social plus que délétère : mauvaise gouvernance du pouvoir en place, tribalisme, intégrisme religieux…. Burundi, Rwanda, Angola, République Démocratique du Congo, Liberia, Sierra Leone et plus récemment la Côte-d’Ivoire, la liste des pays où sévissent les conflits est longue. Les plus durement touchées sont sans doute les femmes et les enfants. Dans un camp de réfugiés, ce sont des jeunes qui sont obligées de se prostituer pour un sac de riz, êtres fragiles exploités par ceux-là même censés leur apporter de l’aide. A côté de ces scandales impliquant du personnel humanitaire, il y a le drame de ces mères qui n’ont plus de nouvelles de leur progéniture, car enrôlée de force pour servir de chair à canon dans tel ou tel groupuscule rebelle. Il y le drame de ces milliers de femmes, burkinabé, guinéennes prises comme boucs émissaires dans une Côte-d’Ivoire en plein marasme social. Du jour au lendemain, il leur faut quitter un pays où elles sont installées depuis des années, abandonner une relative stabilité socio-économique pour un avenir hypothétique. Il y a le drame de ces femmes victimes de l’intégrisme religieux, condamnées à être lapidées pour adultère et autres prétextes discutables.

Et quand bien même elles vivent dans des États "socialement stables", ce sont d’autres qui décident de la destinée de leurs pays. Dans une ère de mondialisation où L’Afrique noire est la grande oubliée, elles triment chaque jour, ignorant souvent que le fruit de leur travail, loin d’être réinvesti en programmes de santé ou d’éducation, ira servir à rembourser une dette extérieure qui n’en finit jamais. Elles suent sous le soleil et la pluie pour une production dont la valeur sera fixée non pas par elles, mais par le marché mondial. Elles travaillent dans des conditions difficiles, peu ou pas du tout écoutées par des pouvoirs dictatoriaux souvent maintenus en place avec l’aide des grandes puissances. Dans le champ des grandes batailles géopolitiques, la femme africaine pèse peu dans la balance.

Face à ce sombre constat, doit-on définitivement croire que la cause est perdue d’avance ? Assurément pas. Les Africaines sont les premières à en donner la preuve, elles qui, malgré les multiples obstacles rencontrées, font preuve au quotidien d’une inventivité qui mérite le respect.

Notes

1. Interview d’Angélique KIDJO dans le mensuel MISS EBENE de novembre 2002 (France)
2. Corine MANDJOU, journaliste d’origine camerounaise, auteure d’une monographie sur l’histoire politique des femmes en Afrique du 17ème au 19ème siècle, citée par la journaliste française Elisabeth LEQUERET de RFI dans son article "Femmes oubliées du continent noir : les mille et une (petites) mains de l’Afrique" (Le Monde-diplomatique.fr de janvier 2000)
3. BETI : groupe ethnique du sud Cameroun. (Lire Philippe LABURTHE-TOLRA : Le Tombeau du Soleil, roman ethno-historique, 1986, Seuil - Vers la lumière ? Ou le désir d’Ariel. A propos des Béti du Cameroun, essai, Karthala 1999).
4. René PHILOMBE (1930 - 2001) De son véritable nom Philippe Louis OMBEDE. Considéré comme un auteur politiquement engagé, son premier livre "Lettres de ma cambuse", CLE 1964, Yaoundé a obtenu le prix Mottard de l’Académie Française.
5. Séminaire organisé au CRADAT (Centre Régional d’Administration et du Travail), avec l’ONG Rural Development Group (RDG) et le Gender and Economic Refors in Africa (GERA)- Yaoundé - Cameroun, Juillet 1999. Thème : Comment faire davantage participer les femmes au secteur financier formel ?
6. Elisabeth BADINTER, XY, de l’identité masculine, Odile Jacob, Paris, 1992.

Mis en ligne sur Sisyphe le 2 mars 2003


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2. Ingénieuses femmes d’Afrique. Les tontines
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Les internautes peuvent se procurer les livres de l’auteure sur son site personnel.



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Julienne Zanga, écrivaine<BR>

Née à Yaoundé, capitale du Cameroun, en 1973, Julienne ZANGA a fait un baccalauréat en lettres avant de poursuivre des études de maîtrise en Sciences Sociales à l’Université Catholique d’Afrique Centrale (Yaoundé). En 1996, elle s’installe en France et en 1997 se lance dans l’écriture pour atténuer le mal du pays. Depuis, elle n’a plus cessé d’écrire. Les écrits de Julienne Zanga abordent autant le genre jeunesse que la nouvelle ou le roman. Elle est l’auteure de deux romans : Alima et le prince de l’océan (Dapper, 2001) et Eboni. Celui qui courait après un corps (TrialEditions, 2003). Julienne Zanga vient de recevoir le prix du roman jeunesse 2002, décerné par l’Ile Maurice. L’écrivaine caresse le désir de s’essayer plus tard à la BD (scénario). Même si ses écrits s’inspirent essentiellement de l’Afrique, son continent d’origine, elle n’hésite pas à mélanger les lieux, les temps, les races : "La diversité culturelle est une richesse", dit-elle. Julienne Zanga vit aujourd’hui en région parisienne. Elle vous invite à visiter son site personnel.



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