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vendredi 7 mars 2003 Femmes et Internet Prendre sa place sur la Toile ou la belle aventure de Sisyphe.org
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Personne n’a visité le premier site que j’ai créé en 2000 dans le réseau Internet. Pas très portée sur la techno, je ne voulais pas de témoins à mes premiers balbutiements dans l’univers virtuel. J’ai tout juste réussi, au cours de cette première expérience, à éditer deux textes, puis je n’ai plus rien compris au procédé d’édition... Pas de quoi pavoiser...
Certaine de ne jamais apprivoiser "le monstre", j’ai tout abandonné pendant un an et demi, jusqu’à ce que l’envie de participer à cette aventure collective me taraude à nouveau. D’essais en essais, j’ai fini par créer un site convenable, puis un second, mais la technologie n’étant toujours pas ma matière forte, je ne parvenais qu’à y publier quelques textes à intervalles irréguliers. Les symboles et les codes HTML me laissaient - et me laissent toujours - perplexe et, surtout, ils bouffaient tout mon temps. Quelle frustration ! Découvrir un formidable moyen de communication et ne plus avoir le temps de s’en servir ! Un gourou informatique sur ma route Comme la vie réelle, la vie virtuelle nous réserve parfois de belles surprises ! Un jour, en effet, un bon samaritain a traversé ma route électronique et, depuis, je suis devenue une mordue de la cyber-édition. Je vous raconte mon aventure. Un matin du printemps 2002, un inconnu de la lointaine France, un cousin, comme on dit au Québec, m’écrit à peu près ceci : "J’ai visité vos sites et je partage vos préoccupations concernant les droits humains. Vos idées méritent d’être diffusées davantage. Si vous le voulez, je vais vous aider à créer un site plus accessible aux internautes et plus facile à éditer pour vous. Walk". Intriguée et de nature plutôt méfiante, je visite d’abord les sites que ce Walk me suggère. J’y trouve de belles pages aérées, des caractères parfaitement lisibles, un menu et un plan qui permettent de capter l’essentiel en un coup d’oeil. Bref, la simplicité alliée à l’efficacité. Quelques-uns de ces sites appartiennent à l’inconnu, qui me propose de les visiter de l’intérieur afin d’y examiner de près le procédé d’édition. Cette confiance ébranle ma forteresse... Je me mets à rêver d’un site de ce genre, où j’aurais grand plaisir à écrire, sans devoir apprendre par coeur ces simagrées de balises, et où je pourrais éventuellement inviter d’autres auteur-es. C’est par la démonstration pratique que Walk a finalement raison de mes dernières résistances. Le jour où je reçois l’url d’un nouveau site - sisyphe.org - , j’en suis émue et excitée ! C’est à moi, cela ? Mon espace, mon territoire, mon lieu de liberté, le jardin où je pourrai planter mes choux ? C’est bien la première fois que je m’approprie un petit morceau du monde. Mes chroniques ont fière allure sur le fond de page aux couleurs que j’avais choisies pour mes sites antérieurs et c’est avec la même ardeur que la petite souris, le premier logo de Sisyphe, se livre à son écriture en accueillant les internautes. La possibilité de répondre sur le site même aux articles et de discuter dans les forums ne me déplaît pas non plus. Quant aux fameuses balises, elles sont réduites au strict minimum, ce qui rend l’édition accessible même pour une cancre en technologie. De plus, sans me consulter, Walk a choisi pour mon éventuel site le nom de Sisyphe qu’on retrouve dans mes chroniques sur la liberté, sous cette même rubrique. J’en suis touchée. Sisyphe est, en effet, le personnage mythique que je préfère (sur le même pied qu’Antigone, disons) en raison de la quête de sens et de la liberté que ce mythe symbolise dans un monde souvent absurde. Vraiment, ce Walk, il m’a bien perçue... Mais l’enthousiasme et la confiance ne suffisent pas à créer et à éditer un site sur Internet. Au départ et par la suite, il y faut du travail et de la persévérance. J’ai passé un été à me familiariser avec le fonctionnement du système SPIP, qui rend possible l’édition de sites comme Sisyphe. Le SPIP est un système de publication développé pour la gestion du site uZine. Il est sous licence libre (GPL), c’est-à-dire que tout le monde peut l’utiliser librement pour son propre site, qu’il soit personnel, associatif ou marchand. Il est même possible de l’adapter à ses besoins et il évolue sans cesse, grâce à des personnes comme Walk et à ses semblables qui font profiter toute la communauté virtuelle de leur ingéniosité. Cet été-là, au grand dam de mes chats insultés que je leur préfère une souris inanimée, Walk m’a enseigné l’essentiel de la cyber-édition tantôt par courriel, tantôt par la messagerie interne de Sisyphe , dans la mesure où les fuseaux horaires le permettaient. Maintenant que Sisyphe a le vent dans les voiles, je peux toujours compter sur le soutien technique et l’amicale patience de mon gourou cyber-éditeur. Les femmes et les affaires de ce monde Si je raconte ma petite histoire en cette Journée internationale des femmes, c’est afin d’encourager ces dernières à s’approprier, nombreuses, ce moyen d’expression, de création, de discussion, de recherche, de diffusion, de revendication, d’engagement, de promotion des droits, et j’en passe ! Vous avez compris que je retrouve dans le camp des pro-Internet. Je connais les lacunes et les travers de ce monde virtuel : il est à l’image du monde réel et des êtres humains qui le créent et l’habitent. Je crois néanmoins qu’Internet représente une révolution impressionnante dans le monde des communications et ce n’est pas parce que certain-es en font un usage abusif qu’il faut le bouder. Les femmes, les féministes en particulier, doivent y prendre leur place et y imprimer leur marque comme elles le font dans une réalité plus tangible. Quand on aspire à changer le monde, il faut en prendre les moyens, et si les femmes se mêlaient davantage des affaires de ce monde, il s’en porterait peut-être mieux. Ne venez pas me dire qu’Internet est une affaire de jeunes et que vous ne pourrez jamais vous y adapter. Je ne suis pas de la première jeunesse, je vous assure. S’il est vrai que les femmes de ma génération sont plus rompues aux humanités qu’aux technologies, rien ne prouve qu’il s’agisse d’un handicap pour apprivoiser et maîtriser "le monstre". De nos jours, les gens qui contrôlent et savent utiliser tous les moyens de communication sont en meilleure posture pour atteindre leurs objectifs et imposer leurs valeurs. Nous en avons un exemple chez nos voisins du Sud, qui manipulent l’opinion par tous les moyens possibles afin de justifier auprès d’elle leurs menaces impérialistes. Il faut nous équiper pour résister à ces manipulations de masse, et l’une des façons d’y parvenir n’est-elle pas d’abord de connaître et de comprendre les instruments qu’utilisent les manipulateurs d’en face ? Internet est un instrument privilégié pour qui nourrit des intérêts planétaires. Le champ de mes intérêts, comme celui de la majorité des femmes, s’étend au-delà de la condition féminine, il embrasse tout ce qui se vit et se trame sur la planète, et tout cela exerce une influence déterminante sur la vie des êtres humains : la politique, l’économie, l’environnement, la science, la technologie, les arts, les médias, pour ne nommer que ces domaines. Internet n’est pas seulement le témoin des enjeux du monde, il en est le théâtre, d’où la nécessité pour les femmes d’y prendre leur place et d’y tenir un rôle d’actrices plutôt que de simples figurantes ou spectatrices. (Nota bene 2015 : certains de ces sites et liens n’existent plus) D’excellents sites féministes, comme Cybersolidaires et Netfemmes, peuvent enseigner tout ce qu’il convient de faire pour prendre sa place sur la Toile. Pour les femmes d’Africaine, Famafrique, le site Internet des femmes d’Afrique francophone, est un incontournable. Webgeneraction et uZine 3 représentent aussi des sources d’information précieuses pour l’ensemble des femmes, où qu’elles soient. Il n’est pas nécessaire que toutes les femmes se créent un site, mais je crois que les groupes trouveraient de nombreux avantages à le faire. On peut aussi publier sur des sites collectifs - comme celui du CMAQ - transmettre de l’information et participer à des débats dans les listes de discussions, comme dans Netfemmes, un réseau d’information féministe francophone, et dans PAR-L, un réseau féministe canadien bilingue, ou se créer soi-même une liste ou un forum. Si on préfère écrire en groupe ou si on a besoin d’être guidé-e au départ, c’est possible sur les sites construits avec le système SPIP : une rédactrice (ou un rédacteur) soumet un texte que les autres commentent et corrigent via la messagerie interne jusqu’à ce que le groupe l’estime assez satisfaisant pour être mis en ligne. Cependant, le procédé nécessite du temps et une bonne maîtrise du système. L’été dernier, j’ai vécu cette expérience conviviale d’écriture pendant une semaine sur uZine 3, un site de spécialistes de la Toile, alors que j’ignorais tout du système SPIP et de l’usage que j’en ferais éventuellement. J’ai trouvé l’expérience agréable. Si la technologie nous donne de l’urticaire, on peut collaborer à des sites personnels comme plusieurs le font sur Sisyphe. J’en profite en passant pour répondre aux quelques personnes qui m’ont demandé pourquoi des hommes écrivent sur un site féministe d’expression et d’analyse. Pourquoi pas ? Je ne choisis pas des collaboratrices(teurs) en fonction de leur sexe ni de leur orientation sexuelle, mais en fonction d’affinités de valeurs et d’engagements, sans qu’il soit nécessaire que les opinions des unes/uns et des autres soient identiques en toutes choses. Sur un axe directeur - l’engagement féministe et social - il y a place sur ce site personnel sans prétention pour diverses expressions et divers modes d’expression : de l’analyse politique, de la poésie, des nouvelles, des oeuvres d’art, des témoignages, etc. En outre, sans que j’aie prévu la chose, des femmes et des hommes d’origines ethniques, de milieux culturels et d’âges différents publient sur Sisyphe. Je m’en réjouis. Je remercie toutes ces personnes qui font de Sisyphe ce qu’il est. Mis à jour 2015. Depuis, je me suis presqu’entièrement affranchie de mon gourou internet, j’ai apprivoisé le travail de webmestre (le contenant) et le travail d’éditrice (le contenu), et j’administre moi-même Sisyphe. Élaine Audet, poète et essayiste québécoise, y écrit régulièrement et collabore à la mise en ligne. À quelques reprises, depuis sa création, Sisyphe a subi des attaques de piratage, dont la plus sévère en août et septembre 2014. Nous avons eu des menaces de poursuites à quelques reprises, auxquelles nous n’avons pas cédé et ces menaces n’ont mené à rien. Parmi ces menaces, certaines venaient de masculinistes, d’autres d’islamistes. J’ai parfois croisé le fer avec des commentateurs masculinistes sur divers sites, dont le CMAQ. Il est amusant de constater que plusieurs sites masculinistes n’existent plus depuis plusieurs années alors que Sisyphe a poursuivi sa route avec peu de moyens, sans subvention (nous n’en avons jamais demandé), ni influence politique. Pendant 5 ans, soit jusqu’à l’été 2014, l’hébergeur iScream nous a fourni l’hébergement en retour d’une publicité sur toutes les pages du site. Sisyphe paie maintenant son hébergement chez l’hébergeur français Nursit, qui a remis le site sur les rails après le piratage sauvage de l’été 2014. Le nom de domaine est hébergé par Domaine Plus. – Plus d’information dans À propos de Sisyphe. Les sabots des censeurs Consoeurs, que vous envisagiez de créer ou non un site sur Internet, il se peut que vous deviez défendre farouchement votre place et celles de vos semblables avant même de l’occuper... En effet, le bruit de sabots des censeurs se rapproche de plus en plus de ce lieu de liberté. Voyez-vous, la possiblité de s’exprimer librement, d’abolir les frontières pour créer des solidarités, d’exercer des pressions sur les puissants de ce monde, de défendre des causes, de contribuer à la démocratie appliquée, bref la possibilité d’utiliser Internet pour s’approprier un peu de pouvoir et pour travailler à un monde meilleur déplaît grandement à certains milieux. Certain-es ont pour devise " diviser pour régner " et ils/elles saisissent tous les prétextes de la mettre en pratique. C’est le cas de certains gouvernements, notamment, qui se croient autorisés par les attentats du 11 septembre 2001 contre les États-Unis de mettre en péril les libertés et les droits humains fondamentaux. Le gouvernement du Canada est du nombre des aspirants censeurs. Le projet qu’il propose dans le document "Accès légal " (1) vise à instaurer une surveillance policière des communications de l’ensemble de la population sous prétexte de lutter contre la criminalité (pédophilie, terrorisme, criminalité informatique, etc.) Le Canada a signé le 21 novembre 2001 la Convention sur la cybercriminalité élaborée par le Conseil de l’Europe avec la participation active des États-Unis, du Canada, du Japon et de l’Afrique du Sud. Les pays signataires sont fortement encouragés, sinon contraints, à se doter de législations facilitant la surveillance électronique de leur population respective. Beau programme ! Les objectifs prétendus du gouvernement du Canada sont peut-être louables, mais les moyens qu’il veut accorder à la police pour les atteindre représenteraient une menace certaine pour la vie privée et la liberté d’expression et d’association. Si le Canada va de l’avant avec ce projet, il pourrait, par exemple, "obliger les fournisseurs de communications informatiques (les " serveurs" privés ou publics), à stocker et conserver des données (autant les données de " trafic " que de "contenu") afin de les remettre éventuellement aux personnes chargées de l’application de la loi, y compris le ministère du Revenu. Ainsi, toutes les transmissions informatiques seront susceptibles d’être placées sous surveillance, non seulement les courriels, mais aussi les transactions bancaires, les prescriptions pharmaceutiques, les informations médicales, etc. "(2) Et tout cela se ferait à l’insu des personnes concernées, qui ne pourraient faire rectifier des données erronées ou mal interprétées. Le projet "Accès légal" ne prévoit aucune sanction spécifique "pour réprimer les abus dans l’utilisation des nouveaux pouvoirs donnés aux policiers, au contraire, l’article 25.1 du Code criminel leur accordera l’immunité dans le cas d’une interception illégale pour fin d’enquête ! Rien ne garantit que l’utilisation de ces pouvoirs spéciaux par les divers corps de police sera scrutée de façon indépendante et aucun mécanisme d’imputabilité n’a été prévu pour que les personnes et organismes responsables de l’application de la loi aient à rendre des comptes au Parlement ou à la population ! "(3) Le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, M. George Radwanski, a déclaré que le projet de surveillance de la population canadienne "est caractéristique des pays totalitaires et non d’une société libre et démocratique comme le Canada (...). La compilation de dossiers sur les activités privées de citoyens respectueux des lois est le genre de choses que faisait la police secrète de la Stasi dans l’ancienne Allemagne de l’Est" (4). J’en entends déjà me dire qu’on ne devrait pas craindre si on n’a rien à se reprocher, car un pays démocratique comme le Canada empêchera les abus. Sauf votre respect, je crois que c’est une opinion naïve. Avant l’élaboration du projet "Accès légal", comme d’autres cyber-éditeurs/trices, j’ai goûté à la médecine des censeurs politiques. J’ai raconté cette histoire ailleurs sur Sisyphe, et en ai présenté les preuves sur l’un de mes anciens sites ainsi que sur uZine 3. En bref, le Consulat général du Japon à Montréal a menacé les fournisseurs dont j’étais cliente, les obligeant à bloquer l’un de mes sites sans que le ministre des Affaires étrangères du Canada, de qui relèvent les milieux diplomatiques, ne veuille intervenir. Refusant de me taire, j’ai créé sept sites identifiques chez des fournisseurs différents et, avec des solidarités européennes, j’ai fait faire le tour du monde au dossier litigieux qui m’avait valu cette censure ! Les menaces ont cessé, car le "mal" que l’intimidateur voulait éviter était déjà fait grâce à Internet : la diffusion à grande échelle d’un cas de harcèlement sexuel et moral dans un milieu diplomatique à Montréal. Advenant l’adoption du projet "Accès légal", je me demande même si le fait d’écrire ces lignes ne suffira pas aux censeurs à me taxer de personne subversive et à me placer sous surveillance électronique permanente. En dépit des ennuis passés et des incertitudes présentes, il n’est pas question de me taire, et plus nous serons nombreuses et nombreux à parler haut et fort pour dénoncer le régime qu’on veut nous imposer, plus la démocratie s’en porta mieux. Je crois que les féministes, regroupées ou non, ont de bonnes raisons de s’opposer à cette surveillance électronique universelle : elles pourraient être parmi les premiers groupes bâillonnés quand les censeurs s’aviseront, si ce n’est déjà fait, qu’elles mettent en péril l’ordre (patriarcal) établi, celui-là même auquel appartiennent ceux qui font la guerre et qui sapent les libertés individuelles et collectives partout sur la planète. Ne faut-il pas de toute urgence l’empêcher de réduire les citoyennes et les citoyens à l’état de marionnette ? Notes 1. "Accès légal", Document de consultation, Ministère de la Justice, Industrie Canada, Solliciteur Général du Canada, 25 août 2002, Gouvernement du Canada (http://canada.justice.gc.ca/fr). Suggestion de Sisyphe « Le féminisme et les logiciels libres sont tous deux opposés à une culture dominante forte. » Mise en ligne sur Sisyphe, le 6 mars 2003 |