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jeudi 14 janvier 2010 Femmes afghanes, un échec partagé par le gouvernement Karzaï et l’aide internationale
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En décembre, l’ONG Human Rights Watch (HRW) a publié son rapport sur la situation des femmes afghanes (1). Le constat est atterrant. A la suite de la destruction des tours jumelles à New York, le 11 septembre 2001, l’opinion publique s’est enfin intéressée au traitement des femmes par le régime taliban, jusqu’ici critiqué principalement par des associations féministes occidentales. Une vaste entreprise humanitaire fut lancée. Un déferlement médiatique, l’arrivée des ONG, d’innombrables commissions et enquêtes, des élections, le tout suivi de projets encourageant l’autonomie des femmes, paraissaient augurer un avenir plus clément. De 2002 et 2005, le progrès était tangible, la scolarisation des filles, surtout en ville, l’accès au travail et un début de changement des mentalités laissaient leurs marques sur une société épuisée par la guerre. Pourtant, un déclin rapide a suivi. L’état des lieux de HRW met en cause toute politique d’aide et de reconstruction. Le rapport passe en revue cinq aires emblématiques : l’agression des femmes dans la sphère publique, la violence, les mariages forcés, l’accès à la justice et la scolarité secondaire des filles. Si un quart des députés est féminin, leur parole est étouffée. Les députées, avocates et militantes qui osent protester sont menacées. Les assassinats ne sont pas rares, perpétrés par les talibans et leurs alliés et destinés à inhiber toute ambition féminine. Le nombre de femmes dans la fonction publique est en baisse. Du fait de l’impunité de ces crimes, le gouvernement augmente l’effet dissuasif de cette campagne de violence croissante. Ce qui se passe en haut lieu reflète une tendance élargie. Selon une enquête réalisée en 2008, 87,2% des femmes de tout âge ont subi au moins un acte de brutalité physique, sexuel, psychologique (2). La police et les juges n’interviennent pas, estimant que cela relève du domaine privé. Les problèmes se règlent selon le droit coutumier préislamique, principale référence juridique du pays, au détriment du droit coranique ou constitutionnel. Moins de 15% osent porter plainte, par manque de confiance dans la justice des tribunaux. Le viol n’est pas criminalisé, seul l’est le zina, le rapport sexuel non réglemente, soit hors mariage, assimilé à l’adultère : c’est ainsi que les victimes de viol se retrouvent souvent derrière les barreaux, et les violeurs en général s’en sortent en soudoyant les juges. Près de 60% des filles sont mariées avant l’âge de seize ans, souvent sans leur consentement. Les grossesses précoces suivent, dans un contexte de brutalité et de malnutrition. La mortalité maternelle et infantile reste l’une des plus élevées sur terre. La majorité des filles n’étant pas scolarisée et le taux d’alphabétisation féminin se situant à un niveau très bas, aucune politique de santé publique ou de prise de conscience des droits humains ne risque d’être efficace. Comment l’Afghanistan en est-il arrivé là, après huit ans de présence d’experts étrangers, d’aide financière massive (8,9 milliards de dollars, provenant de soixante pays différents) et d’assistance ininterrompue ? L’échelle du Pnud situe l’Afghanistan au numéro 181 sur 182, juste avant le Niger. Et le taux d’alphabétisation féminine est le plus bas avec une moyenne nationale de 12,8%(3) et un taux de presque zéro à Kandahar. Certes, le détournement des aides et la corruption doivent être incriminés dans ce pays qui a tourné au narco-État, produisant plus de 90% de l’opium mondial. L’organisation de l’aide humanitaire porte sa part de responsabilité. Son but n’est pas une simple reconstruction post-conflit, mais une tentative de créer in fine un avatar de la société mondialisée, qui rendrait possible le développement sur le modèle capitaliste. Dans les années 70, l’aide soviétique à l’Afghanistan procédait d’un élan comparable, avec un autre idéal de société en vue. Des erreurs de tactique ont été commises en considérant les femmes selon un référent occidental, séparées des hommes et du contexte familial. Une réflexion sur la nature des espaces privé et public en Afghanistan n’a pas été entreprise, ce qui a invalidé des efforts pourtant considérables, décriés comme une ingérence inacceptable. Dans un contexte ultra-patriarcal, les droits des femmes ne constituent guère une urgence, en dépit d’une Constitution supposément égalitaire. Malgré tous ses défauts, l’éthique humanitaire exige l’application d’une notion universelle de droits humains difficilement recevable en Afghanistan. La sonnette d’alarme avait déjà été tirée quand, en mai 2009, le président Karzaï fit adopter une loi restreignant les droits des femmes chiites, d’un niveau de sévérité inconnu depuis les talibans. Malgré la protestation internationale, il fit discrètement passer une version allégée, pour s’assurer le vote des fondamentalistes chiites. Pour demeurer au pouvoir, Hamid Karzaï n’a cessé de faire des compromis avec des politiciens conservateurs, au détriment des femmes. L’opposition aux talibans n’est pas fondée sur des motifs idéologiques, mais des raisons de stratégie opportuniste. C’est pourquoi des chefs de guerre réactionnaires assistent le gouvernement contre les insurgés et il a fallu les récompenser, en sacrifiant toute mesure en faveur des femmes : l’abject traitement de ces citoyennes de seconde zone seul fait consensus. Les maladresses des agences humanitaires sont présentées comme autant de tentatives pour discréditer l’honneur viril. La béance d’un quelconque état de droit en Afghanistan ne laisse guère espérer une véritable amélioration de la vie des femmes. Notes 1. “We Have the Promises of the World”. * L’auteure a publié également cet article dans Libération sous le titre « Femmes afghanes, un échec partagé », le 14 janvier 2010. Mis en ligne sur Sisyphe, le 14 janvier 2010 |