Il y en a qui s’étonnent encore de voir l’ancien premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, monter aux barricades pour nous resservir son bréviaire "lucide", s’opposer à l’interdiction de la burqa dans les lieux (sic) publics et à l’introduction d’une "police du voile". Avec un art du paradoxe dans lequel il rivalise avec les plus grands démagogues, il affirme sans sourciller que "la seule limite qu’il faut imposer aux accommodements raisonnables, c’est quand ils entrent en conflit avec l’égalité entre les hommes et les femmes." Comme quoi toute ressemblance entre le port du voile, de la burqa, du niqab et la ségrégation des femmes serait une pure coïncidence, comme le dit la formule, qui n’a rien à voir avec la réalité. On croit rêver !
Il faut avoir la mémoire bien courte pour oublier que c’est ce même Lucien Bouchard qui a fait profession de foi à Standard & Poor’s en 1996, en promettant de faire un beau ménage néolibéral dans la maison du Québec. Celui qui aujourd’hui remet en question l’actualité de la souveraineté est celui-là même qui a voulu en saper les bases lors de l’inoubliable Sommet pour le Déficit Zéro. On se rappellera les compressions budgétaires sauvages, les coupures de $72 millions à l’aide sociale, le 10 sous d’augmentation du salaire minimum en réponse aux revendications de la Marche des femmes, le sabotage des systèmes de Santé et d’Éducation, poussant vers la retraite les employé-es les plus expérimenté-es de l’État, coupures dont le Québec subit encore les effets dévastateurs. Ainsi ironiquement, les adversaires d’hier, Françoise David et Lucien Bouchard, se retrouvent dans le même camp pour défendre le port de signes religieux dans la fonction publique, même si la convergence des liens politiques, économiques et religieux n’ont jamais été aussi évidents, ici et ailleurs dans le monde.
Lorsque Lucien Bouchard supporte la politique du gouvernement Charest à l’égard des écoles juives orthodoxes, il est fidèle aux valeurs que porte le puissant cabinet d’avocats, Davies Ward Phillips & Vineberg, auquel il est associé depuis avril 2001. Lorsqu’il défend le port de signes religieux dans la fonction publique, il ménage les influents lobbies religieux omniprésents dans le monde des affaires. Sous le couvert de protéger la liberté de conscience, il défend du même coup les intérêts financiers, représentés par son employeur, qu’il s’efforce de faire fructifier au maximum.
En consultant, ci-dessous, le mandat du cabinet Davies Ward Phillips & Vineberg, on verra notamment parmi ses clients : DBRS Limited, "l’agence de notation qui a établi la cote du papier commercial émis par les entités restructurées, dans le cadre de la restructuration du papier commercial canadien adossé à des actifs (PCAA)" dont la Caisse de dépôt du Québec, dirigée par Henri-Paul Rousseau a acheté 13 milliards d’actions conduisant à des pertes énormes pour les épargnant-es du Québec (une autre coïncidence ?), la société minière Barrick Gold, à l’origine de la poursuite de 50 millions contre les éditions Écosociété et les auteur-es du livre Noir Canada pour avoir publié un essai critique qui rendait compte de questions d’intérêt public, de nombreuses banques, compagnies minières de par le monde, agences de cotation, etc. La haute finance peut s’enorgueillir d’avoir en Lucien Bouchard l’un de ses plus ardents défenseurs. Quant au mouvement indépendantiste, il a trouvé chez ce caméléon de haute voltige, l’un de ses fossoyeurs les plus habiles. Il serait temps de se réveiller !
À lire : le mandat du cabinet Davies Ward Phillips & Vineberg
Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 février 2010