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mercredi 5 juin 2013

Prostitution - "Se vendre est dégradant, violent et contraire à la liberté"

par Collectif d’auteures






Écrits d'Élaine Audet



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Auteures : Tanja Rahm, sexologue et auteure ; Alice Viola, conseillère et thérapeute ; Christina Christensen, éducatrice ; Lita Malmberg, éducatrice sociale au chômage ; Pia Christensen, cand. mag. (Bacc. au Danemark) ; Odile Poulsen, auteure et psychothérapeute.

Nous sommes six femmes qui avons été dans la prostitution. À bien des égards, nous sommes semblables aux femmes décrites par Politiken* dans sa série d’articles « Le Bordel - Un milieu de travail au Danemark ». Leurs paroles étaient les nôtres quand nous étions dans la prostitution.

Cinq d’entre nous se sont dit à elles-mêmes et au monde autour d’elles qu’elles choisissaient de le faire. Que nous aimions le sexe, gagnions beaucoup d’argent et recevions beaucoup de reconnaissance. Que nous contrôlions complètement ce que nous faisions.

Les médias décrivent souvent les femmes en prostitution comme des personnes fortes, libres, avides de sexe et ayant une relation saine– ce fut récemment le cas dans la série d’articles « Le bordel ». La plupart des gens, et surtout les hommes qui achètent du sexe, veulent aussi entendre le récit de la femme aimant le sexe qui libère sa sexualité dans la prostitution.

Les personnes comme nous vivent exactement le contraire. Quand nous prenons part au débat public sur la prostitution et signalons les éléments et conséquences destructrices de la prostitution, on nous dit que quelque chose d’autre doit clocher chez nous.

Car ce ne peuvent pas être les années passées dans la prostitution qui nous ont valu insomnie, dépression, perte de mémoire, pensées suicidaires, haine de soi, douleur, arthrite, anxiété, problèmes dans les rapports intimes et ainsi de suite.

Même si des centaines de femmes dans notre situation témoignent des mêmes conséquences douloureuses de la prostitution, cette connaissance ne compte pas dans le débat actuel. « Le bordel » véhicule le discours dominant : la prostitution est libératrice et inoffensive.

Mais ce qui n’est pas signifié clairement dans ce discours, c’est que l’industrie du sexe peut apparaître sous un jour très différent quand on en est sorti. Écarter cette perspective peut contribuer à la banalisation de la prostitution et amener des jeunes femmes à penser que c’est un moyen sans danger de gagner de l’argent, ce qui n’est pas le cas.

Nous sommes nombreuses à avoir dû constater que la prostitution n’est pas un choix libre ou libérateur, mais une transgression de nos limites, une activité violente et non libre. Nous avons perdu contact avec nous-mêmes. Afin d’arriver à y résister.

Les « travailleuses du sexe satisfaites » sont acclamées par les médias avec une rectitude politique exceptionnellement acritique.

Le journaliste de la série « Le bordel » a accepté sans broncher toutes les contradictions en cause. Pourtant les femmes qui sont dans la prostitution ne sont pas faites de verre. Pourquoi ne devraient-elles pas répondre à des questions cruciales ? Comment, par exemple, vont-elles éviter d’être exploitées par des proxénètes s’il leur faut un-e téléphoniste et un garde de sécurité ? Comment vont-elles inciter les hommes à cesser d’acheter des étrangères qui n’ont pas accès à ces fameux « droits » – parce qu’après tout, elles coûtent bien moins cher ? Comment le fait d’être membre d’un syndicat vous protège-t-il d’être agressée par les acheteurs ? Comment une prostituée peut-elle avoir accès à l’assurance-chômage ? Après tout, vous n’auriez qu’à vous poster sur le trottoir.

« Le bordel » donne l’impression que la stigmatisation réside dans le fait que certaines personnes démentent que la prostitution est une profession acceptable. La vision dégradante des femmes qu’entretiennent les acheteurs de sexe est occultée quand les femmes interrogées les décrivent comme des hommes doux qui aspirent simplement à un peu de proximité et d’intimité.

On parle beaucoup de liberté de choix. Mais ce discours semble dénué de sens à nos yeux, parce que la prostitution, qu’elle soit ou non librement choisie, dévore notre dignité. Quand la société ne veut pas renoncer à l’idée qu’il est naturel que certaines femmes soient vendues, la stigmatisation persiste. Et notre douleur est balayée sous le tapis, sous prétexte que nous l’avons nous-même choisie.

Nous avons énuméré ci-dessous nos expériences et nos opinions respectives sur le fait d’être dans la prostitution.

Tanja : « J’étais supérieure, forte. Mais la façade s’effritait. Je suis devenue accro à la cocaïne pour pouvoir continuer. Ai-je été une victime trop faible, veule ? Non. J’ai survécu et je me suis dotée d’une vie valable. Mais je vois comment les femmes dans ma situation doivent constamment lutter contre des problèmes psychologiques, retourner à l’hôpital, subir des chirurgies. » (...) « Les femmes qui quittent la prostitution parlent d’autre chose que d’orgasmes et d’hommes doux. Nos expériences sont les plus stigmatisantes. Parce que les autres femmes ne veulent pas se rendre compte que leurs hommes sont peut-être des acheteurs de sexe, des tricheurs. Les hommes, eux, ne veulent pas perdre leurs illusions au sujet de femmes constamment en chaleur qui adorent baiser pour de l’argent. Quant à la société, elle craint d’être perçue comme moralisatrice et frigide si elle n’accueille pas à bras ouverts n’importe quels excès sexuels. Le coût de dire ce que personne ne veut entendre est la condamnation. »

Alice : « En tant que mentore à l’organisme Swan Groups, je rencontre beaucoup de gens qui trouvent très pénible l’idéalisation habituellement unilatérale de la prostitution par les médias. Dans un groupe Swan, vous pouvez acquérir une meilleure perspective sur cet enjeu. En effet, laquelle d’entre nous ne se disait pas heureuse avant de découvrir quelque chose de différent ? Un très grand nombre des femmes réunies à Swan n’ont découvert que plus tard la pénible réalité. La quasi-totalité d’entre elles éprouvent des problèmes avec la proximité, l’intimité, la confiance et le sexe. Cela a de graves conséquences pour leurs relations avec leurs partenaires, leurs enfants et d’autres personnes. En prostitution, la liberté est une illusion, une impression factice de puissance et un mensonge qui empêche l’acheteur de sexe et la femme de sortir du ring. »

Christina : « Quand j’étais dans la prostitution, je suis allée parler aux médias, en vantant les joies de la prostitution. C’était une énorme auto-illusion que j’entretenais pour survivre. Je me suis plusieurs fois depuis interrogée au sujet de mes droits. Aurais-je pu éviter le syndrome de stress postraumatique, la perte de mémoire, la dépression, les troubles du sommeil et mon anxiété générale, si j’avais eu le droit de consulter un-e professionnel-le de la santé aux deux semaines ou si j’avais été membre du syndicat et autorisée à des prestations d’assurance-maladie ? Non. Les acheteurs de sexe diffèrent des autres hommes sur un seul point : ils peuvent justifier à leurs propres yeux l’achat de sexe. Je les trouvais pitoyables quand ils pensaient avoir le droit de se servir de moi parce qu’ils avaient payé pour cela. Ils justifiaient leurs actions en me disant : « Wow, c’est tellement cool que vous soyez si forte ; je ne pourrais jamais baiser avec une femme faible. » À leurs yeux, je ne pouvais faire partie de celles qui étaient brimées. Comme ils avaient tort. Faire semblant d’être forte est juste la façon de livrer la marchandise. »

Lita : « Ce qu’il faudrait obtenir comme droit devrait être le droit de quitter la prostitution. De l’aide pour résoudre les problèmes dont écopent habituellement les femmes dans la prostitution, de l’aide pour accéder à des formations et à des emplois. Les gens devraient avoir le droit de ne pas avoir à se vendre. Et ne vous méprenez pas : c’est vous-même qui êtes vendue. Ce n’est pas une simple performance. Vous êtes seule et nue avec un étranger couché sur vous, qui grogne et sue et vous suce les seins pour finalement se vider en vous. Voilà ce que c’est que d’être prostituée. Oui, il y en avait toujours un pour dire : « Je serai rapide, pour que ce ne soit pas trop désagréable pour vous. » Mais s’il pensait que c’était si désagréable pour moi, pourquoi le faisait-il ? Ce manque de maîtrise de soi me dégoûtait. La seule chose qui les intéressait réellement était nos mensurations et ce qu’il leur en coûtait. Nous étions décrites et vendues comme de simples sandwiches. »

Pia : « J’ai été violemment forcée à me prostituer. Que des femmes danoises puissent également être forcées à la prostitution est une chose dont on ne parle jamais, mais je suis loin d’être la seule. Ma situation ressemble à celle des prostituées étrangères, qui ont elles aussi souvent des proxénètes – oui, même les prostituées danoises « volontaires » ont parfois de ces types. Beaucoup de femmes ont honte, même si elles ont choisi de se prostituer, et aimeraient beaucoup arrêter. Alors pourquoi certains politiciens s’activent-ils tellement à normaliser l’industrie du sexe, pour que le plus grand nombre possible de femmes puissent y rester aussi longtemps que possible ? On devrait faire beaucoup plus pour sortir les femmes de la prostitution. »

Odile : « Il est devenu inacceptable de parler des dommages que nous laisse la prostitution – ce serait détruire l’image courante de la prostitution comme activité sexuelle mutuelle et libertaire. Les femmes qui n’ont pas été dans la prostitution et qui ne pensent pas que celle-ci sert la société, les prostituées ou les acheteurs de sexe, sont traitées de frigides, de sexuellement réprimées, de vieilles filles moralisatrices. Alors, comment est-il possible de discuter ? »

* Politiken est un quotidien danois publié par JP/Politikens Hus, un des plus grands groupe de presse du pays.

Version originale danoise

Version anglaise du texte traduit par « Sister Trinity ».

Version française : Martin Dufresne

Mis en ligne sur Sisyphe, le 2 juin 2013



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