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lundi 22 février 2021

Les refuges pour femmes, derniers remparts contre la violence machiste

par Marie Savoie, collaboratrice de Sisyphe






Écrits d'Élaine Audet



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La pandémie de Covid-19 qui déferle sur le monde depuis un an, et le confinement qu’elle a entraîné, ont aggravé la situation des femmes aux prises avec un conjoint dominateur ou violent. Pour savoir ce que vivent en 2021 les maisons qui accueillent ces femmes en difficulté, je me suis entretenue avec Guylaine Simard, la directrice générale du Refuge pour les femmes de l’Ouest de l’Île.

C’est un des plus grands centres du genre au Québec, et aussi l’un des plus anciens. Mis sur pied en 1979 par des pionnières de la lutte contre la violence conjugale, il dessert treize arrondissements sur un territoire correspondant grosso modo au tiers gauche du croissant que forme l’Île de Montréal, si on le coupe de haut en bas le long de l’autoroute 13.

À huit heures pile, une femme souriante, cheveux longs et regard vif, apparaît sur mon écran. Pandémie oblige, Guylaine Simard travaille chez elle aujourd’hui. Le Refuge qu’elle dirige compte plusieurs édifices, dont une maison qui accueille les femmes et leurs enfants dans l’urgence. Conçue pour 15 personnes, elle en a déjà hébergé jusqu’à 21. Les femmes y séjournent trois mois en moyenne, le temps de se remettre sur pied après les événements traumatisants qu’elles ont vécus. Le Refuge compte aussi le plus grand nombre de ressources d’hébergement de deuxième étape au Québec : 14 appartements sécuritaires où les femmes peuvent habiter jusqu’à deux ans, accompagnées et conseillées par des intervenantes. On les oriente vers les services (juridiques, médicaux, psychologiques ou financiers) dont elles ont besoin, et on les aide à faire les démarches nécessaires pour inscrire leurs enfants à l’école, par exemple. Pour garantir la sécurité des femmes hébergées, des consignes très strictes sont en place pour garder secret l’emplacement de ces lieux.

Les effets de la pandémie

Le confinement décrété à Montréal s’est-il fait sentir au Refuge pour les femmes de l’Ouest de l’Île ?

« Pendant la première vague, nous avons vu une baisse des demandes, explique Mme Simard, étant donné que les femmes pouvaient difficilement échapper à la surveillance de leur conjoint, mais le nombre d’appels à l’aide est remonté à l’automne au niveau d’avant la pandémie. »

Beaucoup de femmes s’adressent au Refuge pour avoir de l’information, mais ne veulent pas nécessairement quitter leur conjoint. Il existe à leur intention des services externes, dispensés dans des bureaux à divers points du territoire, où elles peuvent consulter des intervenantes en toute confiance. Chaque mois, 125 familles profitent de ces services.

Une clientèle de plus en plus jeune

Peut-on faire un portrait type des femmes maltraitées par leur partenaire intime ?

« Pas vraiment, répond mon interlocutrice. Notre clientèle est très variée. Il y en a dans tous les milieux, des femmes aux prises avec un conjoint contrôlant. Nous aidons aussi bien des femmes très scolarisées que des adolescentes, des nouvelles arrivantes, ou des femmes dans la soixantaine ».

Elle constate cependant que la violence est très présente dans les relations amoureuses des adolescentes. « Les jeunes sont nourris de modèles culturels où c’est la satisfaction des besoins de l’homme qui compte, pas ceux de la femme. Les vidéoclips, la pornographie et les films populaires que les jeunes consomment transmettent toujours ce message. C’est ainsi que le patriarcat se perpétue, se construit. »

Certaines adolescentes acceptent de se faire insulter par leur copain. D’autres cherchent à imiter les femmes hypersexualisées qu’on leur propose comme modèles. Beaucoup de garçons qui ne se reconnaissent pas dans les modèles machistes que la culture populaire leur propose se sentent désemparés eux aussi.

Une autre tendance inquiétante se dégage des féminicides récents. « Depuis quelques années, les femmes assassinées au Québec sont de plus en plus jeunes, signale Mme Simard, souvent dans la vingtaine ou la trentaine ». Ou même plus jeunes. Je pense, accablée, à celles qui n’étaient encore que des adolescentes, comme Daphné Huard-Boudreault, 18 ans, poignardée par Anthony Pratte-Lops, ou Gabrielle Dufresne-Élie, 17 ans, étranglée par Jonathan Maheutière après lui avoir annoncé sa volonté de rompre.

Et les traitements pour les hommes violents ?

Les programmes pour conjoints violents offerts au Québec sont-ils efficaces pour protéger les femmes ?

« Malheureusement, non, répond d’emblée Mme Simard, car ils sont presque tous axés sur le vécu émotionnel de l’agresseur. Pour qu’une intervention contribue vraiment à protéger la femme, il faut qu’elle amène l’homme à se responsabiliser de ses actes, et cela se fait en déconstruisant ses schèmes de pensée, pas en mettant l’accent sur ses émotions. »

« Il faut amener l’homme à admettre que les besoins de sa conjointe sont aussi importants que les siens, poursuit Mme Simard. Dans l’ensemble, ces hommes sont contrôlants et n’ont aucune considération pour les besoins des autres. Ils se sentent justifiés de faire primer leurs besoins sur ceux de leur compagne. Ils considèrent les femmes comme des êtres inférieurs qui doivent être à leur service. »

Ces propos font écho à ceux de Manon Monastesse, la directrice générale de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes du Québec (1). Elle m’avait expliqué qu’à l’origine, les thérapies pour les hommes violents visaient à responsabiliser les agresseurs, mais qu’aujourd’hui on accorde de plus de place à leurs émotions, ce qui peut les amener à justifier leurs gestes violents ou à en rejeter la responsabilité sur leur conjointe. C’est l’inverse de ce qu’il faudrait faire.

La plupart des études sérieuses sur ces programmes confirment leur quasi-totale inefficacité, signale Mme Simard. Dans Why does he do that ? (Pourquoi fait-il cela ?), l’Américain Lundy Bancroft, qui a travaillé pendant plus de 20 ans auprès d’hommes violents, explique que c’est sur les idées de ces hommes qu’il faut travailler, pas sur leurs émotions (2). Il faut « délégitimer » la violence à leurs yeux. L’échec de la majorité des thérapies offertes actuellement tient au fait qu’elles ne visent plus d’abord et avant tout la protection de la conjointe, mais le bien-être émotionnel de l’auteur des violences.

Le double standard, encore et toujours

Les intervenantes du Refuge, dont l’une est avocate, accompagnent les victimes de violence dans leurs démarches auprès des tribunaux. Il est assez rare que ces femmes intentent des poursuites contre leur conjoint, mais elles doivent parfois s’adresser au tribunal de la famille pour la garde des enfants. Là encore, les attentes de la société sont injustes pour les mères, déplore Mme Simard. « C’est frustrant de voir à quel point le système des deux poids, deux mesures, joue encore aujourd’hui contre les femmes. Il suffit que le père appelle son enfant de temps à autre - même si c’est pour dénigrer la mère - pour qu’il passe pour un bon père. Mais pour la mère, les attentes sont démesurées et la marche est très haute. La Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) accorde la priorité aux droits du père plutôt qu’à la sécurité de la mère. Les conjoints violents se servent de leurs droits parentaux pour maintenir leur contrôle et pour continuer à exercer leur violence après la séparation. »

À cela s’ajoute la notion d’aliénation parentale, qui a été popularisée par les masculinistes et instrumentalisée contre les mères, selon les auteur-es d’un rapport paru en février 2019 : « L’aliénation parentale est un concept qui invalide, nie et occulte les propos et les craintes exprimés par les femmes et les enfants face à la violence des hommes » (3). Bref, le conjoint dominateur tente de garder le contrôle en accusant sa femme de monter les enfants contre lui.

Un rempart contre la violence machiste

Après ma conversation avec Gabrielle Simard, je pense au rôle capital que jouent les refuges pour protéger les femmes et les enfants en danger. Combien de féminicides ont-ils permis d’éviter ? Combien d’enfants ont-ils mis à l’abri des desseins criminels de leur père ?

La société tout entière a une dette de reconnaissance envers les intervenantes de ces maisons, qui aident des femmes terrorisées à se mettre en lieu sûr. Les refuges sont des bouées de sauvetage pour les femmes en détresse, le dernier rempart contre la violence des hommes.

Notes
1. Comment prévenir les féminicides conjugaux ?
2. Lundy Bancroft, Why does he do that ? Inside the minds of Angry and Controlling Men, Berkeley, 2003
3. Isabelle Côté et Simon Lapierre, L’aliénation parentale au Québec : stratégie d’occultation de la violence conjugale ?, UQAM, 2019 Lire ici

Mis en ligne sur Sisyphe, le 21 février 2021



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Marie Savoie, collaboratrice de Sisyphe


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