|
mardi 25 novembre 2003 La chasse au "politically correct"
|
DANS LA MEME RUBRIQUE Joyeux Noël et Bonne Année 2022 Maternité de substitution : La CIAMS dénonce La conférence de La Haye Luttes de classes et pauvreté plus tabous que le racisme. Entrevue avec Toni Morrison Ma rentrée féministe 2019 Défendre les droits des femmes était son souffle de vie Mettre fin immédiatement à la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens Canada - Un statut égal pour les femmes dans la loi sur les Indiens : demande d’appui La 42e Assemblée Générale annuelle de l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) rassemble jeunes et aînées Les luttes menées à l’échelle locale sont liées et s’inscrivent dans un contexte global À la mémoire de Marie Trintignant L’économie du don, la théorie et les pratiques - Appel de textes 20e anniversaire de la Marche des femmes contre la pauvreté "Du pain et des roses" : des retrouvailles émouvantes et stimulantes La présence des femmes sur Internet "Lockout au Journal de Montréal. Enjeux d’un conflit de travail", chez M éditeur Les garderies commerciales : la réponse du XX1e siècle ? Grande manifestation contre l’austérité, samedi le 29 novembre à Montréal et Québec Services sexuels pour les handicapés : la pitié dangereuse Vatican VS mafia - Qui lave les péchés du monde ? Résister et construire des alternatives au modèle patriarcal, capitaliste, raciste, lesbophobe et colonial Obama ou le "Dream" de Martin Luther King ? La dictature du regard De petits pas contre la faim - Où déposer vos dons Le féminin à géométrie variable - Être nommée pour exister ! Shéhérazade, une filiation possible pour les femmes militantes ou artistes contemporaines La médaille du Barreau de Montréal 2012 décernée à Me Christiane Pelchat, artisane d’un monde meilleur La CHI - Un humour dégradant et complice de l’injustice sociale Grève étudiante - Des féministes de l’Université Laval s’indignent de la violence policière Grève étudiante – "Allô la police !" Témoignage - Mon chemin vers le bonheur Des survivantes de tortures et de mauvais traitements exhortent le Canada à aider à mettre fin aux violations des droits de la personne aux Philippines Discrimination sexiste dans l’industrie de la construction : mémoire Aides domestiques – Le Conseil du patronat du Québec prend encore une fois position contre l’égalité des femmes Québec - Une menace plane sur l’autonomie des organismes communautaires Les femmes demandent réparation Offrez des livres des éditions Sisyphe pour Noël 2010 - Deux forfaits à prix modique Abolition de la Commission de l’équité salariale : un recul inacceptable pour les femmes ! Les crimes haineux déclarés par la police au Canada Les organismes communautaires dénoncent les conséquences des actions gouvernementales Les femmes immigrées et "racisées" font les frais d’une fragmentation du mouvement communautaire et d’un manque de ressources Le réenchantement du monde par les médias Dramaturgie de contes de fées dans les relations internationales Équité salariale - la moitié des entreprises ne suivent pas la loi Le scandale du financement des écoles privées L’utérus national Québec - Il y a 25 ans, Denis Lortie tirait sur des employés de l’Assemblée nationale Mouvement de libération des femmes : 1970-2010 Éliminer la pauvreté : il faut faire plus ... et mieux La Grande Déclaration Jeunesse de Québec Nouveau-Brunswick - Aux personnes qui pensent que les femmes ont atteint l’égalité Équité salariale - Radio-Canada à pas de tortue Radio-Canada et les femmes journalistes - Avancez par en arrière, Mesdames Quand le sexe prit le pouvoir Pour le respect des droits et libertés des travailleuses et travailleurs (im)migrant-es au Québec et au Canada Les nouvelles chaussures du ségrégationnisme Aides familiales, travailleurs agricoles, et autres travailleurs (im)migrant-es à statut précaire : quels droits ? Quelles responsabilités gouvernementales ? La pauvreté a des effets dévastateurs sur la santé des enfants Arrière-pensées des discours sur la "victimisation" Marchons le 7 septembre pour appuyer la Déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples En Congrès, l’AFEAS réclame une loi pour protéger les droits collectifs acquis et l’égalité entre les sexes Syndrome d’aliénation parentale ou SAP, une théorie contestée Tuerie de Virginia Tech - La célébrité au bout du fusil Dignes dingues dons Crime et pauvreté à l’ère du libéralisme Sortir d’un gang criminel et reprendre goût à la vie Printemps Réaction du Comité des femmes des communautés culturelles de la FFQ sur les accommodements raisonnables Rencontre laïque internationale le 10 février Toutes les Montréalaises devraient disposer d’un logement de qualité, sécuritaire et abordable Un goût de lendemain de veille Lulu love Lili ou histoire d’L Association étonnante d’une psychologue aux ateliers "Initiative vraie Beauté" de Dove La Commission de l’équité salariale refuse la demande du gouvernement d’étaler le paiement Devons-nous nuancer notre critique de l’islam ? La menace de tuer Redeker, un test pour l’état de notre démocratie Point de rupture L’R des centres de femmes du Québec à la recherche d’une travailleuse polyvalente J’ai rencontré le quinquagénie Le calendrier girl power 2007 s’inscrit dans le phénomène de l’hypersexualisation de la société Jeux olympiques 2006 - J’ai perdu mes eaux limpides !!! Déménagement du casino : une hausse du crime est prévisible Ressources pour les femmes Le gouvernement Harper veut museler les groupes de femmes Dérives des banlieues : les filles, premières victimes Les Misérables du XXIe siècle Attention à la boîte de pandore de l’eugénisme scientifique La France et le Québec, deux définitions divergentes de la laïcité dans l’espace public Tout le monde en parle, de la peste raciste Le mouvement étudiant et le renouvellement du projet social québécois La longue marche des femmes vers l’égalité dans les métiers non traditionnels Libre : la loi du genre La Loi sur les normes de travail interdisant le harcèlement psychologique est en vigueur au Québec Un couvre-feu pour les jeunes afin de réduire le vandalisme ? Femmes, migration et frontières L’amour a-t-il changé ? Pauvreté : bouc émissaire La Cour supérieure du Québec rend un important jugement sur l’équité salariale Le totalitarisme "politically correct". Mythe ou réalité ? - Le milieu universitaire et la droite Le totalitarisme "politically correct". Mythe ou réalité ? - Culture occidentale et analyse féministe S’unir pour être rebelles - Rassemblement de jeunes féministes La féminisation linguistique : nommer notre présence au monde Équité salariale et dérives masculinistes La malbouffe n’est pas toujours un choix personnel Appel pour un Québec d’abord solidaire ! Les derniers titres de Sisyphe en permanence sur votre site Radio France Outre-Mer attise le feu La Charte mondiale des femmes pour l’humanité Pourquoi cette rage ? Privatiser les services de santé, un pis-aller Une justice à géométrie variable Quand l’industrie de la charité imite les « grandes » |
En 1990, paraissait dans Newsweek (1) un dossier explosif contre ce qu’on nommait le "politiquement correct", qualifié de néo-maccarthysme et de chasse aux sorcières. Qu’en est-il réellement ? Il n’est pas inutile de revenir à l’origine de ce terme au moment où l’expression continue d’être utilisée à tort et à travers tant par la droite que par la gauche et qu’il refait aussi surface dans les débats sur la liberté d’expression qui ont lieu actuellement dans les médias électroniques alternatifs.
En 1945, la chasse aux sorcières avait pour objectif principal de favoriser l’ascension politique de conservateurs républicains comme Nixon dont Bush est le fidèle continuateur. Le F.B.I. ne pourchassait ni le crime organisé ni le Ku Klux Klan qui continuait à lyncher les Noirs mais s’attaquait aux artistes et aux syndicats ouvriers, forçant ces derniers à prêter "serment de non-communisme". Un million de membres des syndicats furent ainsi mis au pas de l’ordre politiquement conservateur et l’American Federation of Labor - Congress of Industrial Organizations (AFL-CIO) put s’engager tranquillement sur la voie de la concertation patrons-syndicats. Pour le sénateur McCarthy et la droite, il fallait se débarrasser de progressistes comme Chaplin, Losey, Kazan dont les films dénonçaient la corruption, les inégalités sociales et le racisme. On les accusera de trahison envers les "valeurs nationales" et McCarthy contraindra les uns au silence et à l’exil, les autres à la délation ou au suicide. Le maccarthysme d’aujourd’hui Il faut d’abord dire qu’il n’existe ni aux États-Unis, ni ailleurs, un parti ou un mouvement nommé politically correct comme ceux qui ont inventé le terme tentent de le faire croire en jouant sur l’analogie avec PC, parti communiste, pour évoquer le stalinisme. Le terme politically correct a été créé par les membres de la National Association of Scholars (NAS), l’Association nationale des chercheurs, qui s’est donné pour but de défendre "le discours rationnel comme base de la vie académique" avec l’appui des milieux les plus conservateurs aux États-Unis. Dénoncer la rectitude politique a d’abord été une réaction raciste face à la nouvelle réalité multiethnique dans tous les pays occidentaux où les Blancs se retrouvent minoritaires de plus en plus souvent. La NAS est composée de professeurs titulaires qui exercent une forte influence dans le milieu universitaire et tentent d’annuler les politiques d’accès à l’égalité pour les femmes et les minorités, mises de l’avant dans les années 60-70. Ils refusent d’accepter les notions de différence et de relativisme culturel qui remettent en question la suprématie de la culture occidentale ou le patriarcat. Ce sont des professeurs ultra-conservateurs qui ont repris du poil de la bête avec les régimes de Reagan et de Bush père dont ils ont reçu un appui inconditionnel dans la défense de la suprématie "civilisatrice" occidentale, blanche et mâle. Liberté d’expression ou propagande haineuse ? Un des champs de bataille préférés des anti-pc est la lutte contre la féminisation de la langue parce que, pour eux, celle-ci doit être immuable comme leurs privilèges. Sous prétexte qu’il ne faut pas prendre les mots pour la réalité et au nom de la liberté d’expression, des professeurs mènent la chasse au politiquement correct et revendiquent le droit d’être racistes, sexistes, élitistes et ethnocentristes, refusant de reconnaître le pouvoir des mots et la responsabilité des intellectuels dans la montée de l’intolérance. Mots et discours qui ont légitimé, provoqué ou camouflé l’esclavage des Noirs, la solution finale envers les Juifs, le génocide amérindien ou la chasse aux sorcières durant l’Inquisition. Et des fémicides comme celui de Polytechnique et du Texas dont le mobile, encore une fois, est ouvertement misogyne, le meurtrier ayant laissé, comme Marc Lépine, une lettre d’explication qualifiant les femmes de "vipères traîtresses" (2). L’art de retourner les faits En France, Pascal Bruckner est représentatif de ceux qui cherchent continuellement à stigmatiser celles et ceux qui ripostent aux atteintes faites à leurs droits ou à leur dignité. Dans La Tentation de l’innocence (3), il écrit que "la victimisation est la forme même de l’infantilisme", de l’innocence qui refuse d’assumer la responsabilité de soi et désire être prise en charge. L’exemple même de ce comportement serait le féminisme américain qui a conduit les femmes à l’apartheid en exagérant la notion de différence. Leur discours politically correct sur la violence conjugale, le harcèlement sexuel, le viol, la pornographie, remplirait les journaux et infantiliserait les femmes. Bruckner accuse tranquillement les femmes d’irresponsabilité chronique alors qu’elles ont depuis toujours démontré leur sens des responsabilités, non seulement à l’égard d’elles-mêmes mais aussi de leurs proches. Par un savant retournement des faits, dont sont friands à travers l’histoire les tenants de l’idéologie patriarcale, Bruckner cherche à rendre les femmes responsables de la violence masculine à leur égard. Pour ce philosophe pop le rôle de victime recèlerait plein d’avantages ! Contrairement à ce que prétend Bruckner, ce n’est pas par un prétendu discours politiquement correct de victimisation des femmes que les journaux sont envahis, mais par la liste noire bien réelle de toutes celles que leurs conjoints assassinent parce qu’elles refusent justement d’être victimes et assument les risques de la liberté. Une telle malhonnêteté intellectuelle se passe de commentaires. Bref, il s’agit encore une fois de défendre la libéralisation de la pensée et l’ordre établi fondé sur des rapports sociaux et sexuels de domination. Masquer la violence et la pauvreté L’individualisme dominant cherche à nous convaincre que nous sommes toutes et tous libres de choisir notre destin. Il suffit simplement de le vouloir. On se moque des statistiques sur la pauvreté qui touche la majorité des femmes et des enfants et de la violence grandissante qui leur est faite en prétendant qu’il s’agit d’une pure fabulation. Mentir gros, faire de la vie un spectacle, transformer l’agresseur en victime, telles sont aujourd’hui les armes employées contre celles et ceux qui osent se lever pour dénoncer l’oppression et la discrimination à leur égard. Quand des féministes se plaignent de la permanence des attaques haineuses et diffamatoires publiées contre plusieurs d’entre elles dans des sites électroniques alternatifs québécois sans que les responsables ne jugent bon, au nom de la liberté d’expression, d’y mettre fin une fois pour toutes, on les accuse d’être pour la censure. Quand elles disent que les médias alternatifs en question ne feraient pas preuve d’autant de laxisme s’ils avaient affaire à des attaques contre les Noirs ou les Juifs, ou quand elles démontrent que les attaques misogynes des masculinistes sont de la propagande haineuse, on leur reproche d’être politically correct (4). Injure suprême supposée clore le bec des récalcitrantes. De leur côté, les regroupements qui protestent contre la violence à la télévision se demandent si leurs préoccupations légitimes peuvent être entendues sans qu’on les étiquette de politically correct, sans qu’on les juge comme des "capotés", des "frileux" qui jouent aux censeurs et s’opposent à la liberté d’expression (5) ? Encore une fois, on assimile à un conformisme intellectuel, une rigidité, une censure, une pensée straight et bornée, le fait de réagir aux attaques haineuses, de défendre ses droits et de lutter contre la discrimination et la violence. On confond systématiquement les euphémismes exagérés de quelques fonctionnaires avec la lutte contre la propagande misogyne, homophobe ou raciste. On invente même des termes plus ridicules et on les fait passer pour la réalité. Lors d’un hommage à Simonne Monet-Chartrand, je me souviens avoir entendu dire qu’elle détestait le politically correct c’est-à-dire, dans l’esprit de l’orateur, qu’elle était une femme libre et tolérante. Ce qui ne l’a pas empêchée de consacrer sa vie à lutter contre toutes ces formes d’oppression et de discrimination qu’il est si bien vu aujourd’hui et très « tendance », comme on dirait à Radio-Canada, de pourfendre comme politically correct. L’instauration d’un ordre politiquement conservateur Il y a une sorte d’escalade depuis quelques années pour faire du terme politically correct le synonyme de conservatisme et de conformisme. Pourtant, on n’en accuse rarement Bush et ses adjoints, ni la cour suprême dont l’ultra-conservatisme n’est plus à démontrer, que ce soit face à l’avortement, à la peine de mort ou aux droits de la communauté noire. Non, ce sont plutôt les groupes de femmes qui sont visés dont la dénonciation du harcèlement sexuel et du discours pornographique ne serait que "pudibonderie délirante", ou comme l’affirme Élisabeth Badinter, du "puritanisme passéiste" (6). Au Québec, c’est Denise Bombardier qui, dans ses émissions et sa chronique du Devoir, ne rate jamais une occasion d’accuser de rectitude politique quiconque ne pense pas comme elle, comme on l’a vu lors du récent débat sur le mariage gai qui se déroulerait, selon elle, "dans un climat de rectitude politique extrêmement malsain (7)". Dans un même bel élan d’incorrection politique, dont toute analyse des rapports de domination est par définition bannie, elle se porte courageusement à la défense des hommes, considérés comme "le nouveau sexe faible", victime du féminisme. Chaque année à cette époque-ci, lors de la commémoration du massacre de Polytechnique, on accuse les féministes d’entretenir la haine envers les hommes et de victimiser les femmes. Ce massacre serait une exception, l’œuvre d’un "tireur fou", d’un "cinglé qui a pété les plombs" ! C’est faire preuve de rectitude politique que de citer les chiffres de Statistiques Canada ou de l’Enquête sur la violence envers les femmes en France (ENVEFF). On se croirait de retour au pamphlet misogyne de Roch Côté, Manifeste d’un salaud qui, en 1990, a marqué au Québec le début de la chasse au politically correct (8). Pour Karim Benyekhlef, il s’agit de rien de moins que de "l’imposition d’une orthodoxie idéologique qui attente aux libertés par des minoritaires en mal de singularité" (9). Contrairement à de telles affirmations, les groupes accusés de rectitude politique ne sont pas minoritaires mais bien majoritaires parce que composés des femmes (52%), des autochtones, des minorités ethniques, visibles, sexuelles, etc. La lutte, dite politiquement correcte, contre toutes les formes de discrimination ne constituerait-elle pas, plutôt qu’un "danger potentiel pour les libertés", la remise en question des privilèges et préjugés d’une minorité confortablement installée aux postes de contrôle du savoir et du pouvoir ? Notes Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 novembre 2003. – Lire aussi cet article – Et cet autre article |