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Politique et médias

25 juin 2002

par Micheline Carrier

J’entendais récemment un immigrant de l’Inde s’étonner que les hommes politiques occidentaux se comportent comme des stars. Il les comparaît aux gourous de son pays, qui ont toujours quelque message à livrer aux disciples qui les entourent.



Il ne faut toutefois pas se méprendre. Nos chefs politiques ne possèdent pas une parcelle de la sagesse et du désintéressement de certains chefs spirituels de l’Inde ou du Tibet. Ils jouent les stars, parce que c’est le jeu des médias qui se font leurs propagandistes. Les médias n’aiment que les vedettes. Au besoin, ils en créent pour les vendre à une certaine clientèle affamée de sensations fortes.

Si les hommes et les femmes politiques voulaient échapper au pouvoir des médias et prétendaient servir la vérité et le peuple sans détour, ils ne feraient pas long feu en politique. Les médias les ignoreraient ou les démoliraient, car ils ne pardonnent pas à ceux qui leur résistent. Cependant, le danger n’est pas grand, les chefs et les sous-chefs politiques collaborent volontiers à l’entreprise de fabrication d’images parce qu’ils aiment se donner en représentation. Ce sont des acteurs consommés.

Un jour, un éminent professeur d’université, écrivain par surcroît, a affirmé que l’information diffusée par la télévision et les journaux constitue une drogue dont il s’est tout à fait désintoxiqué. D’abord, à raison d’un mois de sevrage par an, puis davantage, jusqu’au sevrage définitif. Le professeur rapportait les propos d’une conférencière européenne : « Quand vous lisez un journal, disait-elle, regardez-vous les mains. Votre esprit finit par leur ressembler. »

Mais alors, de demander l’animatrice, pourquoi avez-vous accepté de participer à cette émission de télévision ? Pour témoigner qu’il est possible d’être heureux, informé et tout à fait intégré au monde sans lire un journal ni regarder la télévision, a repris le professeur. Il estime que l’information sur soi-même, puisée à l’intérieur, a plus d’importance que "les insanités", le mot est de lui, transmises par les médias. Il croit avoir trouvé une certaine sérénité depuis qu’il a cessé de s’abreuver à l’information des médias et il s’estime aussi bien informé et politiquement engagé.

Cette théorie de l’information-drogue a peut-être un certain fondement. Chacun peut la vérifier en renonçant pour quelque temps à regarder les journaux télévisés et à lire les quotidiens. À des degrés divers, le manque se fera sentir. D’ailleurs, des études américaines sérieuses ont démontré que des personnes privées de télévision pendant quelques semaines présentent des symptômes de sevrage.

Quel rôle joue vraiment la télévision dans l’information du public ? Il me semble souvent qu’elle se dispense d’informer complètement sous le prétexte qu’une image vaut mille mots. Elle fournit rarement le contexte de la nouvelle, souvent brève, parfois un fait divers, qu’elle nous sert comme un spectacle. Les manchettes des journaux imprimés ont le même attrait pour le spectaculaire au détriment de l’information véritable.

Le monde de l’information est une industrie, et tous les moyens sont bons, aux yeux des gens qui la dirigent, pour accroître leurs profits. Que de scandales les médias peuvent créer au nom du droit du public à l’information ! Pendant ce temps, ils se dispensent d’expliquer à ce public les causes lointaines ou rapprochées de l’injustice sociale. Pourvu que les propriétaires des médias encaissent des millions de dollars.

© 2001 MC

Micheline Carrier


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