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Un couvre-feu pour les jeunes afin de réduire le vandalisme ?

20 mai 2004

par Jacques Brodeur, consultant en éducation et en prévention de la violence

Le Conseil municipal d’un village en banlieue de Montréal a décrété un
couvre-feu pour réduire le vandalisme et les agissements antisociaux de
certains jeunes.

Certaines personnes ont été promptes à condamner le couvre-feu mais restent peu loquaces sur les moyens de réduire l’insécurité des gens du village tard durant la nuit. Condamner le couvre-feu est une chose, régler le problème en est une autre. Organiser des activités pour ces jeunes est bien, les occuper, leur donner une place dans le village ou dans la cité, c’est bien. Leur donner une voix, encourager les arts, la poésie, les loisirs sains et diverses formes d’expression, bravo ! Un rassemblement ou un tournoi de planches à roulettes n’est pas une méchante idée.

Mais faut-il fermer les yeux sur la perte d’importance de la vie humaine,
sur la popularité des sports extrêmes et de l’automutilation du type
Jackass, sur la culture du spectacle imbécilisateur, sur l’humour cruel ?
Dans ce débat sur le couvre-feu, il faut saisir l’occasion de pousser le
questionnement citoyen sur les modèles inaccessibles proposés aux jeunes d’aujourd’hui qui les conduisent à risquer leur vie, leur santé et à ignorer l’impact de leurs comportements sur leur entourage. Il faut s’interroger sur la misogynie propagée par certains chanteurs "gros-vendeurs", sur l’omniprésence de la porno soft, son impact sur l’accoutrement des petites filles et sur les fantasmes des petits garçons, sur la réduction de la masculinité à un égoïsme irresponsable et brutal ?

Je pense que la réflexion sur la solution du couvre-feu par un conseil
municipal dépassé qui veut rassurer ses citoyens insécures doit nous
conduire hors des sentiers battus et de la simple répétition des Droits des jeunes. La criminalité violente augmente chez les jeunes. Et les victimes sont la plupart du temps des ... jeunes. Le nombre de jeunes décroît dans notre société depuis un quart de siècle mais ils commettent (et subissent) assez de crimes violents chaque année pour empêcher la moyenne de tout le pays de décroître, contrairement aux crimes contre la propriété. Au Québec, le taux de criminalité violente des jeunes est deux fois plus élevé que celui des adultes.

Pour être citoyens, il faut se sentir responsables. De quoi les jeunes de
nos villages et de nos quartiers urbains se sentent-ils responsables ? Se
sentent-ils responsables de la sécurité de leurs concitoyennes et
concitoyens ? Comment notre société a-t-elle valorisé et inculqué le sens
des responsabilités ? Si plusieurs d’entre nous pouvons penser que nos
familles et nos écoles y sont parvenues, force nous est de constater que
c’est de moins en moins le cas autour de nous. Il existe un phénomène en
occident appelé la déparentalisation.

Le gouvernement familial existe-t-il ? Les géniteurs se sentent-ils des
responsabilités parentales ? Les enfants d’aujourd’hui souffrent de manque d’affection, de manque de temps avec leurs parents ou avec des adultes signifiants. Se pourrait-il que nous, adultes, ayons confié la garde de nos enfants à une télé et à des jeux vidéo durant 25 heures par semaine et que nous soyons réduits à parler avec nos enfants durant 38 minutes par semaine ?

Au cours des 8 dernières années, les télédiffuseurs privés ont augmenté les doses de violence de 432%, et 88% de cette violence est maintenant diffusée avant 21 heures. Se pourrait-il que la gardienne, prête à tout pour hausser ses cotes d’écoute, ait abusé de nos petits ? Et qu’elle ait éloigé ces derniers de leurs parents ? Se pourrait-il que les jeunes soient devenus privés affectivement, fragiles émotivement, irresponsables socialement ?

Ce que je comprends de la situation, c’est que de plus en plus de jeunes, de plus en plus jeunes, jusqu’à de plus en plus tard dans leur vie, se plaisent à penser : "Mon plaisir d’abord, les autres, qu’ils aillent au diable, surtout s’ils sont vieux." J’aimerais bien me tromper. Un nombre croissant de jeunes prennent plaisir à faire peur, à insulter leurs pairs plus faibles ou plus timides, à blesser verbalement, discrètement au primaire, plus bruyamment et grossièrement au secondaire. C’est leur façon de dire "j’existe, regardez-moi, voyez, je fais comme à la télé".

Non seulement plusieurs parents se sentent-ils dépassés, mais le personnel de plusieurs écoles aussi. L’épuisement professionnel en milieu scolaire augmente de façon vertigineuse. Je crois ne pas me tromper en disant qu’en ce moment, et depuis 2 décennies, les jeunes forts en gueule ont gagné du terrain au détriment de la démocratie. Ces forts en gueule sont les héritiers d’une société qui a glorifié l’égoïsme, la violence et le plaisir de faire souffrir. Oui, il faut de toute urgence alimenter les jeunes épris de démocratie, de solidarité, d’écologie et de Paix. Ainsi, on réduira le pouvoir des forts en gueule sur leurs pairs.

Les victimes de la violence juvénile ont besoin de sécurité et devront, tôt
ou tard, se protéger autrement qu’avec des couvre-feu. Le couvre-feu n’est pas plus une solution que la présence policière dans les écoles, parce qu’ils ne touchent pas aux causes du problème. Huntingdon est un microcosme qui peut nous enrichir comme société, autant à Maniwaki, à Montréal, à Paris qu’à San Francisco, à la condition que nous refusions de nous cacher la tête dans le sable.

Jacques Brodeur, consultant en prévention de la violence

Sisyphe.org, le 20 mai 2004.

Jacques Brodeur, consultant en éducation et en prévention de la violence


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