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Lettre sur la prostitution au Parti Vert du Canada
À Lynette Tremblay, leader-adjointe et candidate du Parti Vert du Canada

20 juin 2004

par Micheline Carrier

Lettre à Madame Lynette Tremblay, leader-adjointe et candidate du Parti Vert pour Ahuntsic

Madame,

Je me proposais de voter pour votre parti, le 28 juin prochain, mais la position ambiguë (1) que vous venez de prendre sur la prostitution me retient de le faire. C’est une chose de ne pas ostraciser les personnes prostituées, de les décriminaliser et de leur donner les services dont elles ont besoin (il y a consensus à cet égard, c’est même le seul consensus qui existe sur le sujet). C’est autre chose de légitimiser la prostitution comme un travail ordinaire ainsi que le proxénétisme, et de décriminaliser les prostitueurs ou clients, comme certains groupes et individu-es le réclament. Je ne crois pas que cette position rallie la majorité de la population canadienne (qui n’a d’ailleurs jamais été invitée à débattre de la question), ni les groupes de femmes, ni l’ensemble des femmes du Canada.

Vous parlez de protéger les mineur-es. Savez-vous que la prostitution tend de plus en plus à être au départ une affaire de personnes "mineures" exploitées ? Que l’âge moyen d’entrée dans la prostitution est de 13 ans, que cet âge diminue sans cesse dans les pays industrialisés comme le Canada, et que, selon un rapport publié par le Conseil du statut de la femme du Québec, il y a quelques années, 92% des femmes prostituées voudraient quitter le milieu de la prostitution ? Les gouvernements ne leur proposent aucune aide pour en sortir, pas plus d’ailleurs qu’ils ne proposent de programmes pour prévenir l’entrée des jeunes dans ce milieu. Je ne crois pas que la reconnaissance légale de la prostitution comme travail améliore les conditions de vie des personnes prostituées. Leur situation ne s’est améliorée dans AUCUN des pays qui ont libéralisé les lois sur la prostitution, mais leur nombre et leurs problèmes ont augmenté partout. Dans tous ces pays, la traite des femmes et des enfants à des fins de prostitution a également augmenté de façon considérable.

Par ailleurs, en Suède, pays qui a DÉCRIMINALISÉ les personnes prostituées mais CRIMINALISÉ les prostitueurs (clients) (et mis en place des programmes de soutien pour les unes et pour les autres), la lutte contre la prostitution et la traite des personnes a donné quelque résultat. La prostitution n’est pas un travail comme un autre, mais principalement une conséquence des inégalités sociales dont les femmes et les enfants sont les premières victimes. Elle est l’expression de rapports de domination et une forme d’aliénation. Il n’est pas question de légitimiser ces rapports et cette alinéation, comme on tend à le faire à la faveur de la mondialisation capitaliste parce que c’est plus facile et plus économique que de prendre les mesures nécessaires contre les injustices et les inégalités.

Soyez cohérente, prenez le parti de l’humanité comme vous prenez le parti de la terre (écologiquement parlant), et nous serons plusieurs à vous appuyer. Pour l’instant, je n’ai pas assez de garanties pour faire confiance à votre parti. OUI à la décriminalisation des personnes prostituées, MAIS NON à la décriminalisation du proxénétisme et des prostitueurs (clients), à moins que cela ne nous dérange pas que la prostitution juvénile et la traite des êtres humains à des fins de prostitution prennent de l’ampleur au Canada, comme c’est le cas dans des pays comme les Pays-Bas et la Thaïlande, et qu’on en arrive à proposer la prostitution comme "choix" de travail, aux femmes et aux jeunes défavorisé-es, plutôt de prendre des mesures pour assurer une plus grande justice sociale. Bref, je ne suis pas d’accord pour légitimiser et légaliser une forme d’exploitation des êtres humains du seul fait qu’une minorité n’y voit qu’un travail comme un autre.

Pour vous informer, vous pouvez lire le livre de Yolande Geadah : "La prostitution, un métier comme un autre ?", vlb, Montréal, 2003 et un dossier sur ce site. Je vous propose aussi la lecture d’un important document présenté au congrès de l’ACFAS en mai dernier, par des chercheuses de l’Université du Québec à Montréal, et dont le titre est "Le trafic des femmes au Québec et au Canada - Bilan des écrits" :
Également : "Rapport sur les conséquences de l’industrie du sexe dans l’Union européenne", par Marianne Éricksson, députée du Parlement europen.

En outre, le chercheur et professeur Richard Poulin, de l’Université d’Ottawa, publiera à l’automne un livre intitulé "La mondialisation des industries du sexe" (Sous-titre : Pornographie, prostitution et traite des êtres humains).

Une personne bien informée en vaut deux - et même plus !

Acceptez, Madame, mes salutations cordiales.

Micheline Carrier
Éditrice de Sisyphe
http://sisyphe.org

P.S. Cette lettre pourrait être adressée à des candidat-es libéraux, bloquistes et néo-démocrates. Je réponds à Lynette Tremblay, car c’est elle qui a d’abord soulevé la question. Rassurez-vous, je ne voterai pas pour le Parti conservateur du seul fait que ce parti veut criminaliser les prostitueurs. Même si la majorité des partis politiques canadiens ont une vision néolibérale et complaisante de la prostitution, on peut tout de même exercer son droit de vote de plusieurs façons...

1. http://www.cybersolidaires.org/actus/canada.html

Micheline Carrier

P.S.

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