source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=1212 -



Le sadisme sexuel dans notre culture, en temps de paix et en temps de guerre

31 juillet 2004

par Katharine Viner, "The Guardian"

J’ai reçu hier d’horribles photos par courriel. Censées provenir d’Irak, elles décrivaient des abus sexuels sur des femmes par des militaires américains. Sur certaines, les chadors étaient remontés au-dessus de la tête des femmes. Sur d’autres, les femmes étaient nues pendant qu’elles étaient violées par un groupe d’hommes. Il est impossible de dire si ces photos sont vraies - les images que nous connaissons ont été vues par les sénateurs américains - ou falsifiées. Elles vous rendent malades. Et elles ont un aspect singulièrement familier - comme les films XXX dans les chambres d’hôtel, comme ces courriels "viol en direct" envoyés aux utilisateurs d’Internet, comme porno.

Si les photos sont authentiques, elles sont la preuve visuelle de l’abus sexuel sur des femmes irakiennes - des abus qui, nous le savons déjà, sont habituels, avec ou sans ces images monstrueuses. Nous savons que de telles images existent parce qu’un rapport du gouvernement américain le confirme. Et nous savons que des Irakiennes sont violées dans tout le pays, parce que, à la fois, Amal Kadham Swadi, l’avocat irakien, et une enquête américaine interne disent que les abus sont systémiques et très répandus. Nous le savons aussi parce que toutes les guerres s’accompagnent d’abus sexuels sur les femmes comme produit accessoire ou comme arme. Les anciens Grecs considéraient le viol comme socialement acceptable ; les Croisés ont violé tout au long du chemin vers Constantinople ; les envahisseurs anglais ont violé les Ecossaises à Culloden Moor. La première guerre mondiale, la seconde guerre mondiale, la Bosnie, le Bengladesh, le Vietnam - où le viol en groupe et le meurtre d’une paysanne par des soldats américains ont été photographié par étapes par l’un de ses participants.

Mais même si les photos sont simulées, on se demande d’où proviennent ces images. Une femme quelque part a dû être violée ou faire comme si elle avait été violée. Les poses, le grand nombre d’hommes pour une femme, la violence - ils ont tous les marques du porno contemporain. En effet, on soupçonne ces photos de faire partie d’une nouvelle tendance épouvantable - la fabrication de films montrant des femmes habillées en Irakiennes par des hommes habillés en militaires américains.

Il y a évidemment une différence entre faire de la pornographie pour de l’argent et photographier des poses pornographiques comme trophée de guerre : le consentement de la femme est impliqué. Mais pour les consommateurs de ces images, il n’y a pas moyen de savoir s’il y a eu consentement ou non. Elles sont semblables.

Le porno moderne est devenu de plus en plus brutal. "On voit davantage de vidéos de femmes (getting dragged on their faces ???) sur lesquelles on crache et la tête plongée dans le WC", dit même Nina Hartley, qui pourtant fait campagne en faveur de la porno. En même temps, l’industrie du film porno qui vaut plusieurs milliards de dollars, plus importante même que Hollywood, est largement considérée comme acceptable ; cette semaine précisément, l’acteur Nigel Harman de Eastend a déclaré à Heat Magazine : "J’ai toujours voulu faire de la porno, je pense que cette industrie est fortement sous-estimée." C’est un courant dominant agressif.

Néanmoins, en ce moment, l’industrie américaine de porno est en état de choc. Non seulement l’armée lui a volé son scoop percutant, en exécutant devant la caméra ses propres humiliations sexuelles rituelles, mais aussi trois interprètes ont été testés positifs du VIH, ce qui signifie que pendant 60 jours aucun film porno ne sera tourné jusqu’à ce que tous les acteurs soient testés. Ainsi, par une bizarrerie fascinante de synchronisation, alors que la fabrication de porno est à l’arrêt, la pornographie continue à être produite - par des soldats américains recréant les images que beaucoup avaient vus chez eux.

Lara Roxx a 18 ans et est arrivée à San Fernando Valley, Californie, la capitale de l’industrie porno américaine, seulement quelques jours avant de contracter le VIH. Elle était venue du Canada avec l’intention de se faire vite de l’argent. Elle a été infectée lors d’une pénétration anale par deux hommes, simultanément, mais aucun des deux ne portaient de préservatif. Cet acte, c’est ce qui est en vogue aujourd’hui en pornographie : les préservatifs sont rarement utilisés, et la double pénétration d’un seul orifice. quelles que soient les conséquences physiques ou les limitations, est considéré comme très recherché.

Les régisseurs de porno sont catastrophés par la nouvelle de l’infection de Roxx. David Bret CEO (???) de Films passion, a déclaré sur le site AVN de l’industrie : " Je serais mortifié si quelqu’un tombait malade en relation avec un de mes projets. Je dois pouvoir dormir la nuit... Je ne gagnerais jamais ma vie aux dépens de la santé et la sécurité d’autres êtres humains." Ainsi, on discute à présent de l’obligation de porter un préservatif. Mais il n’y a aucune discussion pour savoir à quel point il est "sain" et "sûr" de brutaliser des adolescent-es au nom du divertissement.

L’interview de Roxx elle-même montre la fluidité du "consentement" en ces matières. "J’ai dit (à mon directeur) que l’anal ne m’intéressait pas du tout et que j’étais aussi un peu réticente sur le fait qu’on ne porte pas de préservatif", a-t-elle dit. En arrivant à la prise de vues, le régisseur Marc Anthony a fait pression sur elle pour qu’elle joue la scène de la "double anale". "J’arrive et Marc Anthony me dit que c’est une DA, ce qui signifie double anale. Et je lui dit quelque chose comme : "Quoi ? Je n’ai jamais fait de double anale". Et lui a dit quelque chose comme : "Eh bien, c’est cela dont nous avons besoin. C’est ça ou rien". Et c’est comme cela qu’ils font...Je pense que c’est un tas de conneries, parce qu’il savait qu’une double anale était dangereuse." Plus tard, dit-elle, j’ai eu mal et je ne pouvais plus m’asseoir.

Il est difficile de ne pas voir de liens entre le comportement culturellement inacceptable des soldats à Abu Ghraib et les actions acceptées culturellement représentées dans la porno. Il y a bien sûr un fossé entre les deux, et il serait insultant de considérer que tous les acteurs porno se trouvent dans la même situation que les Irakiens, confinés et brutalisés dans des conditions terribles. Et pourtant, les images sont les mêmes dans les deux cas. La culture pornographique a clairement influencé les soldats ; du moins dans leur exhibitionnisme, leur enthousiasme à photographier leur oeuvre. Et les victimes, dans les deux cas n’ont pas de sentiments : pour les auteurs de sévices, elles n’en avaient pas à Abu Ghraib ; pour le client, elles n’en ont pas en pornographie. Les deux indiquent combien le sexe s’est dégradé dans la culture occidentale. Depuis des décennies, la porno n’a même pas la prétention de montrer du sexe par amour ; dans les films et à la TV, le sexe, la plupart du temps, est violent et sans joie. Les tortionnaires d’Abu Ghraib agissent simplement conformément à leur culture : l’humiliation sexuelle du faible. Ainsi, Charles Graner et ses collègues peuvent humilier des prisonniers irakiens parce que des prisonniers sont de la merde ; ils peuvent humilier des femmes, en les forçant à se dénuder et en les violant, parce qu’ainsi ils peuvent montrer leur pouvoir.

L’anéantissement de Lynndie England - alors que son supérieur, qui avait clairement le contrôle de la situation et avait déjà une histoire de violence contre des femmes, n’a pas été inquiété (was left alone ???) - colle bien avec cette histoire aussi. Dans les deux cas, il s’agit de tortionnaires répugnants, mais elle a été diffamée pour son implication, tandis que lui s’en tire avec un haussement d’épaules. Certaines femmes dans l’armée - si elles ne sont pas violées elles-mêmes par des soldats (en février, des soldats américains ont été accusés d’avoir violé plus de 112 de leurs collègues en Irak et en Afghanistan) - semblent devoir prouver qu’elles font partie de la fratrie en humiliant sexuellement les seules personnes moins importantes qu’elles-mêmes : les prisonniers irakiens, quel que soit leur sexe. C’est une leçon qui donne froid dans le dos, que des femmes soient capables d’être des sadiques sexuelles tout comme les hommes. Il suffit de les mettre dans les bonnes conditions - et leur donner quelqu’un de plus faible à botter. Cela prouve que l’agression sexuelle ne concerne pas réellement le sexe ou le genre, mais concerne le pouvoir : le puissant humiliant l’impuissant.

Les véritables images d’abus sexuels de femmes irakiennes, si on les publie un jour, apparaîtront directement sur les sites pornographiques. Elles seront utilisées comme des gratifications sexuelles. Des gens sont déjà en train de plaisanter, disant qu’England (mais pas Charles Graner) a une jolie petite carrière en porno en perspective. Bien sûr, nous sommes horrifiés par ces images. Mais nous devrions aussi être horrifiés par leur caractère familier, et par ce qu’elles racontent sur nos sociétés.

The sexual sadism of our culture, in peace and in war, par Katharine
Viner, The Guardian ou ici

 Traduction : Édith Rubinstein de Femmes en noir

NDLT : Je voudrais ajouter un petit commentaire : c’est Luce Irigaray qui disait que quand il s’agit des femmes, on utilise toujours des exceptions. Edith Rubinstein

Katharine Viner, "The Guardian"

P.S.

Lire également

La domination sexuelle en uniforme : une valeur américaine




Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=1212 -