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CHOI-FM : L’idée de censure récupérée à des fins démagogiques
CHOI-FM a été l’artisane de son malheur

1er août 2004

par Guy Giroux, Université du Québec à Rimouski


On s’expose très certainement à une entreprise de délire et de manipulation sociale par le fait que l’on tentera de nous faire croire que le sort qui a été réservé par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) à la station de radio commerciale CHOI-FM de Québec, qui a refusé de renouveler sa licence d’exploitation, soit de l’ordre d’une atteinte à la liberté d’expression. Pas davantage la liberté de la presse n’est en danger.

Dans chaque cas, il n’en est rien, car l’exercice de la liberté implique nécessairement la prise en compte des conséquences qui en découlent, dans un contexte social de relations aux autres et de droits qui doivent être pondérés entre eux à l’intérieur des sociétés démocratiques. Or, faute pour la station de radio d’avoir assumé ses responsabilités - ce qui représente par le fait même de sa part un acte de liberté, bien qu’à rebours -, elle ne saurait se présenter en victime sur la place publique.

Déjà, il y a plusieurs années, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec a déclaré, à propos du droit du public à l’information qui sert à légitimer le rôle des médias lorsqu’ils présentent et analysent des sujets d’actualité, qu’il « peut entrer en conflit avec d’autres droits fondamentaux individuels et collectifs qui lui imposent des limites » (Charte du journalisme, 1987). C’est pourquoi reconnaissait-elle que la « liberté de l’information s’exerce à l’intérieur des limites du droit à l’information ».

Quant au droit d’une entreprise de radiodiffusion à continuer à exercer ses activités, il est soumis au Canada, comme ailleurs dans les sociétés démocratiques, au respect des cadres légal et réglementaire existants. Il ne s’agit donc pas d’un droit inconditionnel. Aux États-Unis, on a fait remarquer, d’après une jurisprudence de la Cour suprême du pays, que c’est le droit du public et non celui de la presse qui doit avoir préséance.

Dans un communiqué émis le 13 juillet, le CRTC a suggéré qu’il y avait eu aggravation de ce que l’on pouvait reprocher à CHOI-FM. C’est ainsi qu’il fait mention « d’un comportement de la titulaire qui s’est poursuivi et a même empiré au cours de deux périodes de licence consécutives et malgré des rappels à l’ordre clairs et sans équivoque de la part du CRTC, du Conseil des normes de la radiotélévision [CCNR, l’organisme d’autoréglementation de l’industrie de la radiodiffusion] et même, à l’occasion, par son propre Comité aviseur ». Entre autres, on relève que le code de déontologie de CHOI-FM, « dont le respect est l’une de ses conditions de licence », a été enfreint à plusieurs reprises.

On ne peut donc pas alléguer que la station de radio commerciale n’a pas agi de façon délibérée, en exerçant - comme il importe de le rappeler - pleinement sa liberté, tout en suggérant implicitement qu’elle ne devrait pas être liée par les conséquences de ses actes, ce qui est contraire à l’idée même de liberté. Il y a là une totale irresponsabilité qui devait être sanctionnée, faute de s’autoréguler.

Enjeu de pouvoir et d’équité

Bien avant que le CRTC n’intervienne, se posait un enjeu incontournable, soit celui qui est proprement éthique et dont CHOI-FM n’a pas tenu compte. On peut l’exprimer sommairement en parlant d’un enjeu de pouvoir et d’équité ; le premier de ces termes se rapporte au pouvoir que l’on a d’influencer l’opinion publique par le recours à une station de radio, alors que le second requiert sa prise en compte nécessaire et incontournable par le fait des dangers d’abus d’un tel pouvoir.

Or, les abus ont été légion et furent intentionnels. Dans son récent communiqué, le CRTC mentionne que « la programmation de la station CHOI-FM a fait l’objet de nombreuses plaintes concernant la conduite des animateurs et le contenu verbal en ondes, entre autres au sujet de propos offensants, d’attaques personnelles et de harcèlement ». La station de radio commerciale avait pourtant été avisée des conséquences éventuelles du fait d’ignorer les mises en garde qui lui avaient été adressées. N’ayant pas voulu se prendre en main, elle est la propre artisane de son malheur.

Il est donc inutile de pleurnicher sur la place publique, en voulant du même coup ameuter les foules pour suggérer que CHOI-FM a été victime de « censure ». En effet, en aucun cas on ne pourra prétendre de bonne foi et en connaissance de cause que le CRTC a voulu empêcher le radiodiffuseur de faire circuler librement de l’information et de commenter l’actualité, et cela sur quelque sujet que ce soit. Aucun exemple de censure en provenance du CRTC ne pourra donc être invoqué, car il n’a fait lui-même que tenir compte implicitement de l’enjeu éthique du pouvoir et de l’équité dans sa décision de ne pas autoriser le renouvellement de la licence du radiodiffuseur. Tout ce que l’on voudrait prétendre sur la base de généralités en matière de censure, dans le cas présent, ne représenterait qu’un épouvantail, en prenant des vessies pour des lanternes.

Ce qu’est la censure

L’idée même de censure, au sens où elle a été employée dans certains régimes totalitaires, est tout à fait étrangère à sa récupération démagogique. Elle comporte un contrôle, préalable et généralisé à l’ensemble des entreprises de presse, de tout sujet traité par les journalistes et s’accompagne d’une procédure de non-publication pour empêcher la mise en circulation d’informations sur des événements ou de propos jugés condamnables par les autorités.

La condamnation de propos, en particulier, par la censure ne vise jamais à établir un équilibre entre des libertés et des droits fondamentaux existants. Or, c’est cette question d’équilibre au sein d’une société libre et démocratique que devait évaluer et pondérer le CRTC dans sa décision, en respectant — comme nous le dirons une dernière fois — l’enjeu éthique du pouvoir et de l’équité.

On est donc aux antipodes d’une pratique de censure comme celle que nous venons d’évoquer lorsque l’on se rapporte à la décision du CRTC. Cet organisme n’a fait qu’accomplir le mandat qui lui a été dévolu par le Parlement canadien, dans le respect des libertés et des droits existants, y compris dans le respect de la Charte canadienne des droits et libertés, où il est dit à son article premier qu’elle « garantit les droits et libertés qui y sont énoncés [...] [et qui] ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ».

Les libertés d’expression et d’opinion en particulier, qui ne sont pas des prérogatives de la presse mais de chaque citoyen, ne sont pas consubstantielles au droit du public à l’information, puisqu’il s’agit de libertés privées. Même en pareil cas, la Cour d’appel du Québec a déjà statué que cette double liberté « n’est toutefois pas sans limite ». En se rapportant particulièrement aux titulaires de charges publiques, le tribunal stipulait : « Le droit fondamental à leur réputation, à leur honneur et à la dignité leur est aussi garanti, tout hommes publics qu’ils soient » (CA, 1983 : Dubois c. la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal).

En renonçant à s’autoréguler, c’est-à-dire en ayant fait défaut de s’assurer que ses animateurs allaient adopter une attitude responsable vis-à-vis des personnes dont l’identité allait être divulguée sur les ondes radiophoniques, ou non divulguée mais sujettes à des propos discriminatoires, CHOI-FM ne pouvait faire autrement que de s’exposer au recours à un mode hétérorégulatoire de contrôle.

Il est fait allusion ici aux lois et règlements applicables qui balisent l’usage des ondes publiques. Advenant des situations à la fois graves et récurrentes, comme celles sur lesquelles le CRTC s’est appuyé pour rendre sa décision, il serait tout à fait non approprié de suggérer que l’on devrait laisser aller les choses, comme si chaque personne qui serait victime de propos offensants, non fondés et portant préjudice à ses droits allait à la fois pouvoir entreprendre des poursuites devant les tribunaux et décider facilement de le faire. Ce type d’argument sert les abuseurs, de façon générale, car on sait que la plupart des personnes lésées ne porteront pas plainte. Par exemple, cette situation est tragique et bien connue dans les cas d’abus sexuel.

Lorsque des problèmes deviennent manifestement systématiques, voire « structurels », c’est en amont qu’il faut intervenir afin de prévenir des torts. En effet, il serait imprudent, mal avisé et irresponsable de laisser vraisemblablement survenir un mal lorsqu’il est hautement probable qu’il va surgir de nouveau à la moindre occasion. Il se produit alors un déséquilibre majeur entre la liberté de la presse (un pouvoir) et l’intérêt public (garant de l’équité), la première ne servant alors plus de relais au second.

Aussi, le type d’argument qui a déjà été invoqué, soit le recours aux tribunaux lorsqu’on se croit lésé, est impertinent pour deux raisons principales. Premièrement, par le fait qu’il fait l’impasse sur l’éthique comme mode de contrôle volontaire et responsable de politiques éditoriales par la direction d’une station radiophonique, d’une part, et d’animateurs par eux-mêmes, d’autre part. Globalement, il est ici question de la responsabilité sociale d’une entreprise. En quoi, par exemple, pourrait-on invoquer cette responsabilité à l’encontre de toute entreprise manufacturière lorsqu’elle pollue l’environnement, alors que l’on ne le pourrait pas à l’encontre d’entreprises de presse dont le but est de faire de l’argent ?

Deuxièmement, lorsqu’il devient manifeste qu’un radiodiffuseur fait fi des avertissements réitérés qui lui sont signifiés, et dès lors qu’il est mis au fait des conséquences auxquelles il s’expose en cas de refus de collaborer, le recours aux tribunaux ne peut pas servir à prévenir des torts à répétition que l’on sera susceptible de réparer éventuellement ou qui ne le seront jamais, vu la disproportion des moyens économiques dont disposent les parties en présence pour se défendre.

Le CRTC, comme protecteur de l’intérêt public dans son champ de compétence, n’avait donc pas d’autre choix crédible que de ne pas renouveler la licence de CHOI-FM, une radio commerciale, comme il est utile de le rappeler, dont les activités sont essentiellement axées sur la quête de profits. Par conséquent, il ne sert à rien pour elle de vouloir se draper faussement de vertu, comme si elle était la défenderesse d’une liberté prétendument censurée, alors même qu’elle se place en situation de dénier ses propres responsabilités qui sont nécessairement liées à l’exercice d’une telle liberté.

Publié également dans Le Devoir, le 22 juillet 2004

Mis en ligne sur Sisyphe le 22 juillet 2004

Guy Giroux, professeur, membre du Groupe de recherche Ethos, Université du Québec à Rimouski, 300, allée des Ursulines, C.P. 3300, Rimouski (Québec), G5L 3A1

Guy Giroux, Université du Québec à Rimouski

P.S.

Lire également :

 Le texte de la décision de radiodiffusion CRTC 2004-271
http://www.crtc.gc.ca/archive/FRN/Decisions/2004/db2004-271.htm
 Le communiqué du CRTC : "Le CRTC décide de ne pas renouveler la licence de CHOI-FM Québec"
 Le CRTC a raison, par Josée Boileau, Le Devoir
 Un débat sur le CMAQ
  Pétition d’appui à la décision du CRTC




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